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JUGEMENT, CROYANCES DU PAGANISME


Dharma qui juge les morts, du feu qui éprouve les âmes, de la balance où sont pesés leurs mérites. Voir W, Jackson, Actes du Xe congrès international des orientalistes, Genève, 1894, IIe partie, p. 67-75. Mais le caractère moral de ce jugement est de plus en plus compromis par le fait que la transmigration tend à devenir une sorte de loi physique au détriment de la personnalité et que le suprême idéal offert aux êtres contingents est de s’absorber à leur tour dans l’être universel. En devenant panthéiste, le mysticisme brahmanique ne pouvait qu’effacer ou atténuer l’idée de sanction.

2. Bouddhisme. — Dans son principe, le bouddhisme n’est qu’une sagesse athée, conçue pour échapper au cycle tyrannique des renaissances. Les sanctions ultraterrestres n’y pouvaient, dès lors, tenir qu’une place restreinte. Il conserve cependant la loi du karma, en vertu de laquelle les hommes sont dirigés vers la joie ou la peine par le propre poids de leur conduite, qui devient, comme on a dit, « un principe automatique de jugement, t Mac-Culloch, loc. cit., p. 375.

Ces abstractions n’ont d’ailleurs pas suffi au bouddhisme populaire, qui les a concrétisées sous la forme d’un jugement proprement dit. Un tribunal de dix juges, présidé par Yenlo ( = Yama), a charge de se prononcer sur la conduite des humains. Ailleurs il est aussi question du pont des âmes. Sur les murs des temples ou sur les pages des livres bouddhiques on trouve souvent peintes des scènes de jugement.

/II. CROYANCES DES CIVILISÉS : RELIGIONS OCCI DENTALES. — Si les religions orientales ont eu une aire d’action plus étendue, leur influence sur la civilisation moderne a été moins directe et moins profonde que celles qui modelèrent le monde occidental. £ 1° Religion égyptienne. — Mère et nourrice de toute la civilisation méditerranéenne, l’ancienne Egypte se distingue par une préoccupation spéciale de la mort et de l’au-delà. Le célèbre Livre des morts atteste combien vive y était la croyance à la survivance de l’âme, aux sanctions qui l’attendent dans l’autre monde et au jugement qui les répartit. Or « c’est un des textes les plus anciens qu’on connaisse ; il remonte jusqu’aux premières dynasties, et on le trouve gravé sur les tombeaux de la dernière époque.. Il était si populaire et si utile dans l’autre vie que chacun voulait l’emporter avec soi dans la tombe. » A. Mallon, dans Christus, p. 488.

Grâce à lu i l’eschatologie égyptienne nous est connue en détail. « Immédiatement après la mort ; le défunt subit un jugement devant Osiris et quarante-deux autres juges assesseurs. Cette scène du jugement est célèbre ; elle est reproduite sur presque tous les papyrus funéraires, copies plus ou moins étendues du Livre des morts. Osiris, le dieu des morts, est assis sur son trône ; à ses côtés, se tiennent, sceptre en main, les quarante-deux juges ; devant lui, est posée une balance ; dans un plateau est une feuille droite, symbole de la justice ; dans l’autre, le cœur du défunt. Anubis, le dieu qui avait inhumé Osiris, fait la pesée du cœur ; Thot, le secrétaire des dieux, inscrit le résultat ; dans un coin, un cerbère pour faire exécuter la sentence. En avant, le défunt assiste à la scène. » Mallon, ibid., p. 489-490, reproduit dans Dictionnaire apologétique, 1. 1, col. 1332. C’est alors que le défunt, pour obtenir la faveur de ses juges, récite devant chacun cette fameuse confession négative, qui offre un si curieux monument du code moral égyptien. Voir V. Ermoni, La religion de l’Egypte ancienne, Paris, 1909, p. 342-353. Reproduction de la scène dans E. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, Paris, 1895, t. i, p. 188-189.

D’un commun accord, « cette croyance est affirmée sous le nouvel empire et même sous le moyen empire :

ce qui nous mène près du troisième millénaire avant Jésus-Christ. » Qu’en était-il dans les périodes précédentes ? i Jusqu’à ces derniers temps, on n’en avait pas de traces claires dans les documents antérieurs au moyen empire, et plusieurs égyptologues avaient émis l’hypothèse que l’idée de la sanction était inconnue des Égyptiens primitifs. » Or des découvertes récentes ont mis au jour un texte de la sixième dynastie ainsi conçu : i Je serai jugé par le dieu grand, maître de l’occident, dans l’endroit où se trouve le vrai », ou, d’après des variantes, « dans le lieu où l’on juge ». Mallon, op. cit., p. 491-492 et col. 1334. Ainsi donc, aussi loin que remonte l’histoire, on trouve en Egypte l’idée d’une justice ultra-terrestre et de la rétribution qui la suit. S’il est vrai que « les Égyptiens ont souvent entrevu des solutions que le christianisme apportera, » J. Capart, dans Bricout, Où en est l’histoire des religions, 1. 1, p. 126, ceci est particulièrement vrai en matière de jugement.

Religion gréco-romaine.

Leur action s’est fait

sentir de la manière la plus certaine et la plus heureuse sur le monde hellénique.

1. A l’origine, les Grecs n’avaient aucune idée de sanctions futures. Homère témoigne encore de cet état archaïque. « Quelle qu’ait été leur vie terrestre, l’Hadès ne réserve aux âmes ni châtiments ni récompenses personnelles. Trois criminels seulement nous sont signalés comme soumis à des supplices extraordinaires : Tityos, Tantale et Sisyphe, tous trois châtiés vraisemblablement pour des attentats contre les dieux. Du séjour bienheureux, il n’est fait mention qu’une fois » (Odys., iv, 561-568), pour le seul Ménélas, et à cause de son alliance avec Zeus. « Les autres mortels… sont destinés, pêle-mêle, à l’existence lamentablement terne et monotone de l’Érèbe. » J. Huby, dans Christus, p. 317.

Deux influences vinrent élargir cet horizon borné. La première fut celle de Pythagore, qui introduisit l’idée orientale de métempsychose et qui, au rapport de Jamblique, enseignait formellement l’existence du jugement futur : èv qcSou y^P xeïaOai xptaiv. Vita Pyth., 29. Plus importante encore fut celle de l’orphisme et des « mystères », qui mirent l’hellénisme en contact avec l’eschatologie égyptienne : la préoccupation anxieuse du salut individuel qui les domine entraîne pour conséquence la croyance au jugement.

La plus ancienne attestation connue est fournie par une ode de Pindare, où on lit qu’aux enfers il y a « quelqu’un » qui juge, xotTà yàç, SixâÇei tiç, Olymp., ii, 60. Eschyle connaît aussi « l’implacable justice de l’Hadès », Eumen., 267 sq., et il en attribue l’exercice à Zeus, « qui punit les morts des crimes qu’ils ont commis. » Suppliantes, 230. Mais bientôt se forma la tradition d’après laquelle le jugement est confié à trois mortels remarquables par leurs vertus : Éaque, Rhadamante et Minos, celui-ci étant parfois remplacé par Triptolème. Platon, qui atteste à plusieurs reprises la croyance ferme à cette magistrature souterraine, a décrit les attributions respectives des juges et le fonctionnement du tribunal. Rhadamante a dans son ressort les habitants de l’Asie ; Éaque, ceux d’Europe ; Minos juge en dernière instance les cas douteux. Les âmes comparaissent nues devant eux et les juges sont également nus, a fin que rien ne trouble la perspicacité de leur regard. Ils ne savent d’ailleurs jamais à qui ils ont affaire. Leur sentence est gravée sur un écriteau, que les justes portent par devant et les coupables par derrière. Elle est aussitôt mise à exécution. Car le tribunal siège au carrefour des routes qui mènent dans l’autre inonde : les justes sont dirigés sur celle de droite qui conduit au séjour des bienheureux ; les pécheurs prennent celle de gauche qui les achemine vers les supplices de l’Hadès. Gorgias, 523-524 ; Rep., xeni sq.