Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée
1725
1726
JUGEMENT, DOCTRINE DE L’ÉGLISE


sujet des damnés : Deflnimus insuper quod… anima : decedenlium in actuali peccato morlali mox post mortem suam ad inferna descendunt. Chemin faisant, le pape y emploie à deux reprises l’expression : judicium générale, qui laisse entendre aussi nettement que possible l’existence du jugement particulier. Aussi termine-t-il en reprenant sous la même clause définitive le paragraphe Nihilominus, qui réserve formellement la réalité du jugement général. Denzinger-Bannwart, n. 530-531. La doctrine du double jugement est, non seulement conservée, mais précisée, et introduite, explicitement pour le jugement général, implicitement pour le jugement particulier, dans le cadre d’une définition de foi.

Un siècle plus tard, le concile de Florence (14281431) réédite encore à l’usage des Grecs la doctrine du concile de Lyon ; mais il se contente de la formule mox, sans y ajouter le paragraphe complémentaire Nihilominus. Denzinger-Bannwart, n. 693. C’est un simple rappel, où reparaît, sans addition ni modification notables, l’essentiel de l’enseignement déjà défini.

Origine de cet enseignement.

Il est remarquable

que cette formule désormais classique, où se lit pour la première fois l’indication précise d’un jugement autre que le jugement général, apparaisse au moment où l’Église entre en contact avec les Grecs schismatiqu es en vue de réaliser leur union avec l’Occident. Sur la position des orientaux aux conciles de Lyon et de Florence, voir Hefele-Leclercq, Hist, des conciles, t. vi a, p. 153 sq. et t. vii b, p. 969 sq.

Ceux-ci, en effet, semblent avoir eu, en matière eschatologique, des idées passablement confuses. Non seulement ils étaient hostiles au dogme du purgatoire, mais plusieurs retenaient volontiers la doctrine archaïque d’après laquelle la possession de l’enfer et du ciel serait plus ou moins complètement différée jusqu’au dernier jour. Ainsi divers auteurs jacobites du haut moyen âge rapportés dans Assemani, Bibliotheca orientalis, t. ii, p. 130, 166-167, 294, 504, et Disserlatio de Monophysilis, n. 5, ibid., texte non paginé. Il en était de même chez beaucoup de Grecs. Quelques apologistes n’ont voulu trouver cette conception que chez de rares polémistes postérieurs au schisme de Photius, ainsi Pitzipios, L’Église orientale, Rome, 1855, t. i, p. 91. Saint Thomas la signalait seulement, Sum. contra Gent., IV, xci, comme e.rror quorumdam Grœcorum. En réalité, il y eut toujours en Orient un courant théologique très fort en faveur du retardement des sanctions, qui a précédé les conciles d’union et qui devait leur survivrLe P. Jugie en a recueilli d’incontestables témoignages dans les livres liturgiques et chez les théologiens à partir du ix c siècle. Échos d’Orient t. xvii, 1914, p. 209-228. Ce fut un des thèmes des toutes premières controverses entre Grecs et Latins. Voir le traité Conird errores Grsecorum, publié en 1252 par les dominicains de Constantinople. P. G., t. cxl, col. 487 et 510-514.

De plus, on voyait encore traîner dans quelques sectes dissidentes, sinon dans l’Église officielle d’Orient, des notions directement contraires au jigement particulier. Certains hérétiques d’Arabie, contemporains d’Origène qui les réfuta, auraient enseigné que l’âme meurt avec le corps pour ressusciter avec lui au dernier jugement. Eusèbe, H. E., t. VI, c. xiii, P. G., t. xx, col. 597 ; renseignement adopté par saint Augustin, De hær., 83, P. L., t. xiii, col. 46. Sans aller aussi loin, plusieurs Orientaux professaient la vieille idée du sommeil des âmes. Voir P. Schanz, art. Seelenschlaf, dans Kirchenlexicon, t. xi, col. 57-58. Telle était, en particulier, ainsi qu’en témoigne déjà un écrivain du ixe siècle, l’évêque Moïse Bar Kepha, la doctrine des Nestoriens de Syrie. Ose. Braun, Moses bar Kepha und sein Buch von der Seele, Fribourg-en-Brisgau, 1891,

p. 102. Voir également Assemani, Bibliotheca orientalis, t. ii b, p. cccxlii. Les textes sont publiés au t. iii, p. 95 et 128. et de nouveau, avec un lot considérable d’inédits, dans O. Braun, op. cit., n. xviii, p. 142148. On trouve aussi trace de la même croyance chez quelques Arméniens. Voir Arménie, t. i, col. 1953 et Ame (chez les Syriens), 1. 1, col. 1018-1019.

Au xvie siècle, le P. Éliano crut encore constater chez les maronites la négation du jugement particulier. Voir Thomas de Jésus, De unione, v, 6, dans Migne, Théologies cursus, t. v, col. 695. Mais c’est là un faux renseignement dû aux informations superficielles de l’auteur. P. Dib, dans Revue des sciences religieuses, 1924, p. 203-206.

Pour arrêter ces erreurs, l’Église voulut imposer aux Grecs cette profession formelle de foi, qui allume l’échéance immédiate des sanctions après la mort et postule par là-même l’existence d’un jugement particulier.

/II. temps modernes. — Depuis lors, aucun acte nouveau du magistère ecclésiastique n’est venu s’ajouter aux précédents ; mais l’Église a marqué son intention d’en conserver la lettre et l’esprit.

Les premiers protestants, à l’exception du purgatoire, ont à peu près retenu les traits constitutifs de l’eschatologie traditionnelle. Voir Eug. Picard, art. Eschatologie, dans Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. iv, p. 498-499. Chez les anabaptistes, on vit bien revivre l’idée du sommeil des âmes, sous le nom grec de psychopannychie, et Luther avouait, au moins dans sa correspondance privée, ses préférences pour ce sentiment : Proclive mihi est concedere tecum in eam sententiam justorum animas dormire ac usque ad judicii diem nescire ubi sint… Idem de damna-Us sentio… Igitur sententia mea est incerla hœc esse. Verisimile autem, exceptis paucis, omnes dormire insensibiles. Lettre à Amsdorf, du 13 janvier 1522, dans Enders, Luther’s Briefivechsel, n. 477, t. iii, p. 269-270. Il s’appuyait pour cela sur les nombreux passages de l’Écriture qui présentent la mort comme un sommeil.

Mais cette opinion trouva un adversaire en la personne de Calvin, qui la combattit dans sa Psychopannychia, publiée à Strasbourg en 1542. Opéra omnia, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. v, Brunswick, 1866, col. 165-233. De sa préface même il résulte que cet ineptum dogma, cette insania avait à peine gagné aliquot hominum millia et, ne pouvant encoi’e s’autoriser d’aucun théologien connu, se répandait en brochures clandestines distribuées sous le manteau. I bid., co. 169170. Néanmoins, pour ne pas devenir veritatis prodilor, Calvin en veut ruiner les prétendus fondements scripturaires et s’applique particulièrement à montrer comment on peut concevoir la réalité de sanctions avant le dernier jugement, col. 210-217, bien que, suivant une de ses idées familières, elles soient encore incomplètes jusque-là. Inslitntio religionis christianæ, III, xxv, 6 ; ibid., t. ii, col. 735-736. Au total, l’erreur visée n’entra pas dans les symboles officiels de la Réforme et l’Église put se contenter d’opposer au protestantisme son enseignement ordinaire résumé par le Catéchisme romain, part. I, c. viii, 3-4.

Il n’y eut pas davantage de fait nouveau du côté des Grecs. Mais on trouve toujours, chez beaucoup de théologiens orthodoxes, avec l’affirmation nette du jugement particulier, la même tendance à retarder les sanctions qui se manifestait au moyen âge. Dossier dans Jugie, Échos d’Orient, t. xvii, 1915, p. 402421. Voir aussi la recension spéciale consacrée aux doctrines de deux théologiens hellènes contemporains, Androutsos et Dyovouniotis, ibid., t. xi, 1908, p. 262264. Cf. K. Lùbek, Théologie und Glaube, t. i, 1909, p. 782-783. A la fin du xviiie siècle, Eugène Boulgaris et son disciple Théophile Papaphilos allèrent même