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JOACHIM DE FLORE. LE JOACHIMISMK


et describens ordinem et habitum monuil fratres suos ut posi mortem suam, cum talis ordo exurgerel, suscipercnt cum dévote. Quod et fccerunt, recipienles fratres eum cruce et processione quando primo vénérant ad eos. Galvagno délia Fiamma le répète dans sa Cronica ordinis prwdicalorum, édit. Reichert, ibid., t. ii, p. 9. Lorsque fut augmenté le nombre des provinces de l’ordre, qui depuis 1228 était de douze, il y eut de vives protestations : on donnait un démenti à Joachim, qui avait annoncé que dans l’ordre spirituel il y aurait unus major et cum eo et sub eo duodecim prafatum ordinem régentes. Martène et Durand, Amplissima collectio, t. vi, p. 335 et 348.

Quant aux frères mineurs, saint Bonaventure lui-même dit dans le prologue de sa Lcgenda S. Francisci : Sub apertiones exti sigilli vidi, ait Johannes in Apocalypsi, alterum angelum ascendenlem ab ortu solis habenlem signum Dei. Hune Dei nunlium amabilem Christo… servum Dei fuisse Franciscum indubitabili fide colligimus. Or cette assimilation de François à l’ange du sixième sceau était familière aux néo-joachimites, et finit d’ailleurs par leur être reprochée. La commission d’Anagni a censuré chez Gérard de Borgo San Donnino une proposition analogue, Denifle, Archiv.., t. i, p. 101 ; l’Inquisition languedocienne, au début du xrve siècle, condamnait les béguins qui l’acceptaient sur la foi de leur maître Pierre Olivi. Limborch, Historia Inquisitionis, p. 301. Il y a là une petite concession au néo-joachimisme que l’amour de son ordre a arrachée à Bonaventure. Bien entendu Salimbene fait chorus, p. 20, 21, 101, 266, 288-9, 293, 580. Les mendiants sont les pêcheurs et les chasseurs prophétisés par Jérémie, d’après Y Interprétatif) in Jeremiam du pseudo-Joachim ; ils sont les deux témoins du c. xi d l’Apocalypse ; ils sont figurés par Enoch et Élie, qui doivent revenir à la fin du monde ; la grande preuve qu’au contraire les apôtres groupés autour de Gérard Segarelli n’ont pas une véritable mission, c’est que Joachim ne parle pas d’eux. Ceci s’applique aux deux ordres, mais, d’ailleurs, Salimbene, en bon franciscain, assure un privilège au sien. « L’abbé Joachim, à qui Dieu a révélé l’avenir, a dit que l’ordre des prêcheurs devait souffrir avec celui des clercs [dans la persécution de l’Antéchrist ] ; celui des mineurs durera jusqu’à la fin. » Même un document officiel et solennel comme l’encyclique commune adressée aux deux ordres par les deux généraux, Jean de Parme et Humbert de Romans, au plus fort de la querelle avec le clergé séculier et l’université (Lilteræ encyclicœ…, édit. Reichert, p. 25), exalte les mendiants dans un style très joachimite, avec des allusions à l’Apocalypse et à « la Sibylle » ; le symbole des duæ stellæ lueidœ… habenles speciem quatuor animalium, qui nomen agni vociférant, est en effet emprunté presque textuellement à la prophétie de la Sibylle Erythrée. Ilolder-Egger, Neucs Archiv, t. xv, p. 165.

Une histoire chère aux deux ordres voulait que Joachim eût fait peindre d’avance, dans sa cellule, le portrait d’un dominicain (ou d’un franciscain), annonçant que des religieux porteraient un jour ce costume. Cf. Continuatio I de la Chronique d’Erfurt, dans Monumenla Germ. hist., . xxiv, p. 207 ; et pour les mineurs hs Flores te.mporum, ibid., p. 239.

Dans l’ordre des mineurs tout au moins et malgré les circonstances qui auraient dû rendre suspect le souvenir de [’abbé de Flore, l’utilisation de Joachim ta nue tradition durable. Barthélémy de l’ise, qui a écrit vers la fin du xrve siècle le laineux De eon/ormitair vilm beali Francisci </</ vitam Domini Jesu, édité dans Analecta Franciscana, t. iv, n’était certainement pas un spirituel ni à proprement parler un Joachimite.

S’il dit beaucoup de bien de Jean de l’arme, p. 275-76

ci :  !. » 7, il loue Pierre Olivi, mais en rappelant qu’il a dû

rétracter quelques erreurs, p. 339 et 540, et, ce qui est un sûr critère, il est très dur pour Ubertino de Casale, qualifié de membre pourri, p. 440, et de schismatique, p. 541. Seulement sa thèse veut que saint François ait été prédit et préfiguré, comme le Christ ; et c’est pour une bonne part à Joachim — ou au pseudo-Joachim — qu’il en emprunte la démonstration. Renchérissant sur la légende du portrait, il veut, entre autres, p. 56, que Joachim ait fait représenter saint François avec les stigmates, en mosaïque, à Saint-Marc de Venise ; ce que saint Antonin me manque pas d’attribuer aussi à saint Dominique. Acta Sanctorum, août, t. i, col. 378. Et pour autoriser son garant, il n’hésite pas à écrire, ce qui était aller un peu loin : « l’abbé Joachim, dont les œuvres ont été approuvées par l’Église, sauf le livre écrit contre maître Pierre Lombard. »

Ce n’est pas par hasard que, parmi les mendiants, les franciscains surtout adoptèrent le joachimisme. Ils avaient avec lui une affinité particulière. Ils n’étaient pas au début, comme les prêcheurs, un ordre universitaire et savant ; ils ne le furent jamais d’une conviction aussi unanime. Ils n’étaient pas prémunis contre les chimères par une aussi solide culture théologique. Des méthodes intellectuelles du temps, beaucoup d’entre eux ne savaient pratiquer que la plus mauvaise, ayant l’habitude de l’interprétation allégorique et symbolique, la manie des sens multiples et cachés. Encore laïques en grande partie, exaltés dans le culte de la pauvreté, arrachés pour leur propre compte aux cadres ordinaires de la société, et, partant, enclins à croire prochaine la fin de toute société, ils formaient un milieu très prédisposé aux rêveries apocalyptiques. La chronique de Salimbene nous le fait connaître avec une vie extraordinaire. Elle est à cet égard un document de premier ordre, encore qu’il faille l’utiliser avec précaution, comme tous les mémoires, car les défaillances de souvenir de l’auteur, son imagination excessive et son besoin de pittoresque lui jouent parfois des tours fâcheux. Cf. Holder-Egger, dans Neues Archiv, t. xv, p. 150. Mais Salimbene, sait tout du mouvement joachimite ; pour beaucoup d’ouvrages, il apporte la première attestation ; il permet de dresser une liste des principaux adeptes ; il fait revivre les diverses altitudes, dans l’ordre et hors de l’ordre, depuis les sceptiques, comme frère Pierre de Pouille, qui « ne se souciait pas plus de Joachim que de la cinquième roue d’un chariot », p. 239, jusqu’aux convaincus de types variés ; comme ce Benvenuto Ardenti de Parme, professionnel de l’interprétation, pauvre cordonnier illettré « qui avait l’esprit illuminé pour comprendre les dires.. de tous ceux qui avaient prédit l’avenir, » p. 512 et 532, ou au pôle opposé frère Raoul de Saxe, « grand théologien et logicien etdisputeur », qui, saisi par les livres de Joachim, avait tout abandonné pour cette étude, p. 236, et surtout frère Hugues de Digne, « un des plus grands clercs du monde…, à la voix pareille à une trompette sonore ou aux éclats du tonnerre, » d’une extrême audace de langage, collectionneur infatigable de toute la littérature joachimite, très personnel à l’occasion dans son exégèse, et persuadé que Joachim avait souvent été trahi par ses disciples, toujours prêt à discuter avec ses confrères de passage, avec un curieux mélange de conviction naïve, de charlatanisme et de chicane scolastique, tenant école permanente de joachimisme pour les notaires, juges, médecins et autres lettrés qui s’assemblent dans sa cellule les jours de fête, p. 226236 ; — en passant par des personnages du type de Salimbene lui même, croyant à l’ordinaire, sauf à renoncer à tout devant le démenti des faits, mais se raccrochant toujours à quelque explication nouvelle qui lui paraît tout sauver. La propagande très active était 1res facilitée par les habitudes nomades des reli-