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JUDÉO-CHRÉTIENS, APRÈS L’AGE APOSTOLIQUE


2. Histoire.

Il est peu probable que ces judaïsants ébionites aient formé au début des communautés distinctes, indépendantes des églises judéo-chrétiennes ; mais bien plutôt ils demeurèrent disséminés, en groupes plus ou moins compacts, parmi les chrétiens de la circoncision. Thébutis pourrait être placé à la tête des judaïsants de Jérusalem et de la Transjordane ; ils paraissent avoir été asse/ remuants, puisqu’Hégésippe attribue à des hérétiques l’accusation <jui causa le martyre de Siméon. Eusèbe, II. E., III, xxxii, P. G., t. xx, col. 281. L’influence de Cérinthe s’est certainement exercée à Éphèse, où saint Jean le désignait comme un hérétique dangereux. Irénée, Cont. hær., III, iii, 4, P. G., t. vii, col. 853. La tradition en fait l’adversaire de Pierre, lors de la conversion du païen Corneille, celui des apôtres, à la réunion de Jérusalem. Il se serait surtout opposé à Paul, en exigeant la circoncision de Tite, en ameutant la foule contre lui, en organisant sur ses pas une contre-prédication, qui avait pour but d’imposer la loi aux gentils. Hippolyte, dans Denys Bar-Salibi, loc. cit., p. 1 ; Épiphane, Hær., xxviii, 2-4, P. G., t. xli, col. 580-581 ; Filastrius, Hær., xxxvi, 4, P. L., t.xii, col. 1152 sq. Cette action directe de Cérinthe a certainement été exagérée : on ne comprendrait pas que Paul, si prompt à démasquer ses adversaires, fussent-ils d’un rang plus élevé, n’eût pas désigné Cérinthe. On ne saurait cependant rejeter toute participation de ce dernier à l’opposition faite à l’apôtre des gentils : mais il agissait par des moyens détournés, sans se dévoiler. On ne se trompera pas en groupant autour de Thébutis et de Cérinthe, les judaïsants pharisaïques, qui maintinrent, malgré le décret de Jérusalem et l’autorité de Paul, la nécessité absolue de la circoncision.

Saint Justin combat ces chrétiens circoncis qui, non contents d’observer eux-mêmes les prescriptions légales, veulent les imposer aux chrétiens de la gentilité, affirmant que sans cela ils ne seront pas sauvés. Dial., 47, P. G., t. vi, col. 576. Il connaît des Juifs, « qui reconnaissent que Jésus est le Christ, tout en affirmant qu’il fut homme entre les hommes ». Ibid., 48, col. 580. Les auteurs postérieurs ne nous disent rien sur le développement de la secte, ni sur son histoire. De sa diffusion nous savons seulement que ces judaïsants se rencontraient en Syrie, dans le pays de Moab, à Kokhaba et dans l’île de Chypre. Épiphane, Hær., xxx, 18, P. G., t. xli, col. 430. Mais à l’époque où Épiphane donne ces renseignements, l’ébionisme s’est bien modifié : il a subi les influences du dehors, qui en ont fait une secte nouvelle, celle des elcésaïtes.

3. Doctrine.

a) Leur évangile. — Comme les nazaréens, les ébionites avaient leur évangile. Il nous est connu par Épiphane, qui en cite quelques fragments. Les ébionites appelaient cet évangile selon Matthieu, ou même selon les Hébreux. Mais Épiphane prend soin de noter que ce sont les ébionites qui donnent ces noms à leur texte. Hær., xxx, 3, P. G., t. xli, col. 409. C’est un évangile écourté, mutilé, oùj( ôXw 8s 7rXv ; peaTocTw, àXkà. VEVoQeuu.évo> xai /)xpcoT - /)piaa[i.évco. Ibid., 13, col. 428. Il est plus mutilé encore que celui de Cérinthe, qui avait conservé les généalogies. Il commence au baptême, èyévE-ro tiç àv/jp b^61an’Iyjaoùç, supprimant les récits de l’enfance, la conception surnaturelle, à laquelle ne croyaient pas les ébionites. Il ne ressemble pas plus à l’Évangile selon les Hébreux des nazaréens, qu’au premier évangile canonique. En réalité, il a été composé en grec, d’après Matthieu et Luc, vers l’an 200. Lagrange, L’Évangile selon les Hébreux, dans Revue biblique, 1922, p. 164-171. C’est vraisemblablement un remaniement de celui de Cérinthe.

b) La Loi. — L’ébionisme est la continuation de l’erreur des judaïsants, qui prétendaient imposer

l’observation intégrale de la Loi, non seulement aux Juifs, mais aux païens convertis. Il pousse cette doctrine jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes. Il suflira d’en marquer ici les grandes lignes ; on recourra pour plus de détails à l’art. Ébionites, t. iv, col. 1989. Ces dissidents restent attachés à la circoncision et aux autres observances de la loi juive. Et quia scriplum sit : nemo discipulus supra magistrum, ne~ servus supra Dominum, legem cliam proponit (Ebion), scilicet ad excludendum evangelium et vindicandum judaismum. Pseudo-Tertullien, /Je priescript., 48, P. L., t. il, col. 67. Ainsi la Loi conserve son autorité et son efficacité. Le salut ne peut être obtenu que par elle.

c) Le Christ. — Une pareille conception de la Loi et du salut devait amener les ébionites à diminuer singulièrement le rôle du Christ. Celui-ci n’est pas supérieur à Moïse, son enseignement demeure subordonné à celui du grand législateur d’Israël. On le reconnaît pour le Messie ; mais ce Messie n’est qu’un homme, fils de Marie et de Joseph. Telle est du moins la conception commune parmi les ébionites ; car Origène connaissait de ces hérétiques qui admettaient la naissance virginale. Contra Cels., v, 61, P. G., t. xi, col. 1277. Irénée leur reproche leurs idées hétérodoxes sur la personne du Seigneur, non recle præsumentes de Domino. Cont. hær., III, xi, 7, P. G., t. vii, col. 884. De fait, ils nient sa divinité et rejettent la conception surnaturelle. Ibid., III, xxi, col. 946. Le Christ n’est plus pour eux le Sauveur. IV, xxxiii, col. 1074 ; V, viii, col. 1122.

Jésus reçut de Jean le baptême de pénitence. Comme il sortait de l’eau, l’Esprit de Dieu descendit sur lui et le pénétra. Et une voix se fit entendre : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi j’ai mis mes complaisances. Aujourd’hui je t’ai engendré. » Épiphane, Hær., xxx, 13, P. G., t. xli, col. 429. Jésus devint ainsi le fils adoptif de Dieu.

Les ébionites croyaient-ils à la résurrection de Jésus ? Irénée l’affirme. Cont. hær., I, xxvi, P. G., t. vii, col. 686. D’après Épiphane, parmi les cérinthiens, les uns croient qu’il ne ressuscitera qu’à la résurrection générale, d’autres nient toute résurrection. Hær., xxviii, 6, P. G., t. xli, col. 384-385. Peut-être Épiphane leur prête-t-il cette négation, pensant que la croyance à la résurrection était inconciliable avec la négation de la divinité de Je, us.

Ils attendent le retour du Messie, suivi d’un règne de mille ans. Mais le millénarisme de Cérinthe est des plus matériels et des plus grossiers. Il s’appuyait sur l’Apocalypse. Eusèbe, H. E., III, xxviii, P. G., t. xx, col. 276. Denys d’Alexandrie rapporte que certains disent que cet écrit (l’Apocalypse) n’a pas pour auteur un apôtre, ni quelqu’un des saints ou des membres de l’Église, mais Cérinthe, l’auteur de l’hérésie appelée de son nom cérinthienne, qui a voulu attribuer à ses propres compositions un nom capable de lui donner du crédit. Voici, en effet, quelle était la doctrine de son enseignement : le règne du Christ serait terrestre ; et il rêvait qu’il consisterait dans les choses vers lesquelles il était porté, étant ami du corps et tout à fait charnel, dans les satisfactions du ventre et de ce qui est au-dessous du ventre, c’est-à-dire dans les aliments, les boissons, et les noces, et dans ce qu’il croyait devoir rendre tout cela plus recommandable, des fêtes, des sacrifices et des immolations de victimes. » Eusèbe, H. E., VII, xxv, P. G., t. xx, col. 276.

d) Influences esséniennes. — L’évangile ébionite condamne les sacrifices, qui avaient une place importante dans le millénarisme de Cérinthe. < Je suis venu pour supprimer les sacrifices, et si vous ne cessez de sacrifier, la colère de Dieu continuera de s’appesantir sur vous. » Épiphane, Hær., xxx, 16, P. G., t. xli, col. 432. La force dé ce texte, attribuant à Jésus la suppression des sacrifices, sous menace de la