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JUDÉO-CHRÉTIENS, APRÈS L’AGE APOSTOLIQUE


pouvait être simplement l’application au christianisme de principes répandus un peu partout. On regardait ces abstinences comme le l’ait des parfaits, orphiques et pythagoriciens chez les gentils, esséniens et thérapeutes chez les juifs : la philosophie elle-même s’inserivait contre l’usage des chairs (Plutarque, deux discours). » Lagrange, op. cit., p. 339.

C’est un groupe du même genre qui est caractérisé, dans l’Épître aux Colossiens, ii, 16, comme se préoccupant d’observances alimentaires, de la célébration de fêtes, de néoménies et du sabbat. C’est la même tentative de syncrétisme religieux. Il est impossible de rattacher les membres de ce groupe aux judaïsants intransigeants, recrutés surtout dans la secte des pharisiens : ces derniers étaient trop fermés aux influences du dehors. Leurs tendances sont « d’un judaïsme tempéré et à petite dose, , d’un judaïsme bénin, capable de transactions et de compromis. » Prat, La théologie de saint Paul, p. 392.

Conclusion.

Il y avait donc à l’époque néotestamentaire,

avant la ruine de Jérusalem, deux groupes, ou plus exactement deux tendances, parmi les judéo-chrétiens.

1. Les judaïsants intransigeants, qui soulevèrent la question de la circoncision, à Antioche et à Jérusalem, et que l’on retrouve plus tard en Galatie. Ils se recrutaient surtout parmi la secte des pharisiens. Pour eux, la Loi continue à s’imposer non seulement aux juifs, mais aux païens convertis. Le salut ne peut être obtenu uniquement par le baptême et la foi au Christ. Seule la pratique du judaïsme intégral, du judaïsme perfectionné par la reconnaissance du Messie, peut faire participer aux privilèges et aux bénédictions d’Israël. Le christianisme est la perfection du judaïsme : il n’a pas supprimé la Loi.

2. Les judéo-chrétiens modérés, ceux qui ont suscité le conflit d’Antioche entre saint Pierre et saint Paul, sont encore fermement attachés à la Loi, la considèrent comme obligatoire, mais seulement pour les juifs. Ils ne contestent pas la liberté accordée aux gentils à l’assemblée de Jérusalem. Mais leur attachement à la Loi les empêche de se mêler aux pagano-chrétiens, les amène par le fait à se considérer comme constituant un élément supérieur dans le christianisme, supérieur par son appartenance à la race élue, supérieur par sa fidélité à accomplir les ordonnances de Moïse. Us ne comprennent pas encore que l’ancienne Loi a été abrogée par la nouvelle. Ils s’enferment étroitement dans le judaïsme, situation qui leur sera néfaste et qui amènera leur ruine. C’est la tendance générale des communautés judéo-chrétiennes qui se rattachent à l’Église de Jérusalem, dont Jacques est le chef. On ne dogmatise point ; on n’affirme pas que la Loi soit une condition nécessaire de salut ; nulle part, ni Jacques ni d’autres de ces judéo-chrétiens n’apparaissent comme l’ayant soutenu. Si les païens pouvaient être sauvés sans la Loi, et cela Jacques l’admettait, pourquoi la Loi aurait-elle été pour les Juifs une condition nécessaire de salut ? Dans ce cas le salut aurait été plus difficile pour les juifs que pour les gentils. Mais en fait, dans ces milieux scrupuleux, on restait fidèle à toutes les prescriptions légales, on les observait minutieusement ; on voulait les voir observées de la sorte par tous les convertis du judaïsme, avec peut-être un secret désir de les proposer aux gentils comme une condition de progrès religieux et moral.

A côté de ces deux grandes tendances, nous avons constaté les premières manifestations d’un syncrétisme religieux, à base de judéo-christianisme. Ce syncrétisme ira s’accentuant, et donnera naissance aux n « et iiie siècles à la secte des elcésaïtes, tandis que les deux tendances primitives se perpétueront pendant plusieurs siècles avec des noms nouveaux. Les

judéo-chrétiens modérés, demeurés orthodoxes, seront appelés nazaréens ; les judaïsants intransigeants, s’écartant de la foi chrétienne, constitueront la secte des ébionites.


II. Les manifestations judéo-chrétiennes a l’époque post-apostolique. —
1° Judéo-chrétiens orthodoxes : les nazaréens. —
2° Judaïsants hérétiques : les ébionites.

I. JUDÉO-CURE’TIENS ORTHODOXES : LES NAZARÉENS.

— Chrétiens issus du judaïsme, qui ajoutent aux pratiques de la religion de Jésus l’observation fidèle et scrupuleuse de la Loi de Moïse. Ils reçurent, à une époque assez tardive, le nom de nazaréens.

1° Leur histoire.

1. L’Église de Jérusalem à la mort de Jacques.

Le chef de l’Église judéo-chrétienne de Jérusalem, Jacques, le frère du Seigneur, mourut en 62. Sa fidélité à la Loi ne l’avait pas préservé de la haine des juifs. Profitant de l’intervalle de confusion et d’anarchie qui s’écoula entre la mort du procureur Festus et l’arrivée de son successeur Albinus, le raiid prêtre Hanan II, qui voyait avec dépit les progrès des premiers chrétiens, convoqua le sanhédrin et obtint une sentence de mort contre Jacques. Jacques fut précipité du haut du temple et lapidé. Eusèbe, H. E., II, xxiii, P. G., t. xx, col. 196 ; Josèphe, Antiqu. jud., t. XX, c. vin.

Il est difficile de déterminer de façon précise l’état d’esprit de la communauté chrétienne de Jérusalem, à la mort de Jacques, On ne saurait attribuer à tous ses membres les idées des judaïsants extrêmes que Paul réfuta au concile de Jérusalem et qu’il combattit en Galatie. Les premiers furent désavoués par les apôtres, présents dans la ville sainte, et Jacques était du nombre. Les seconds étaient peut-être étrangers à Jérusalem. Par contre les envoyés de Jacques qui soulevèrent l’incident d’Antioche entre Pierre et Paul paraissent bien refléter la façon de voir de l’ensemble de la communauté de Jérusalem.

Ces chrétiens sont des zélateurs de la Loi : ils continuent à la pratiquer intégralement ; ils se scandalisent, si elle est violée par un chrétien issu du judaïsme. Jacques était un modèle de cette soumission à la Loi. D’après Hégésippe, « il fut sanctifié dès le sein de sa mère, il ne buvait ni viii, ni boisson enivrante, ne mangeait rien qui ait eu vie ; le rasoir n’avait jamais passé sur sa tête ; il ne se faisait jamais oindre et s’abstenait des bains. A lui seul il était permis d’entrer dans le sanctuaire, car ses habits n’étaient pas de laine, mais de lin. Il entrait seul dans le temple, et on l’y trouvait à genoux, demandant pardon pour le peuple. > Eusèbe, H. E., II, xxiii, P. G., t. xx, col. 197. Quoi qu’il en soit de l’exactitude des renseignements fournis par Hégésippe, et dont plusieurs semblent légendaires, il est incontestable que Jacques attachait à l’observution de la Loi une véritable importance. Il est avec les presbytres qui, lors du dernier voyage de Paul à Jérusalem, se font les interprètes du mécontentement des frères contre l’apôtre. Ces milliers, Ttôffat. u-upiâSèç, de juifs qui ont cru, et qui sont demeurés zélés pour la Loi, ont entendu raconter que l’Apôtre enseignait aux juifs dispersés parmi les gentils de se séparer de Moïse. leur disant de ne pas circoncire leurs enfants et de ne pas se conformer aux coutumes. Act., xxi, 20-21. De graves récriminations sont à craindre de leur part. Pour les écarter, pour éviter des troubles, il faut que Paul consente à témoigner de son respect pour la Loi, en se soumettant à la pratique du nazirat. Les presbytres ne semblent pas prendre absolument à leur compte les reproches de la communauté ; cependant ils tiennent à ce que Paul se montre publiquement observateur de la Loi. Et lorsqu’ils ajoutent : « Quant aux croyants de la gentilité, nous leur avons écrit après avoir décidé [qu’ils n’ont rien à observer de tout cela,