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JUDÉO-CHRÉTIENS, A L’AGE APOSTOLIQUE


source de justification, parce que du christianisme ils seront passés au judaïsme.

Il est bien vrai, ces judaïsants se mettent en opposition avec le décret de Jérusalem, ils n’en tiennent aucun compte. Mais ce n’est pas une raison pour contester l’existence de cet état d’esprit. Il ne suffit pas qu’une décision soit prise, pour qu’elle soit universellement acceptée et mise en pratique, qu’une condamnation soit portée, pour que l’erreur disparaisse immédiatement. Ces personnes en appelaient aux apôtres, disciples du Sauveur, qu’elles opposaient à Paul, lequel n’avait pas vu le Christ ; mais ne se montraient-elles pas plus exigeantes sur ce point que ceux qu’elles invoquaient ? Et n’est-ce pas à dessein que Paul, au début de sa lettre, insiste sur l’accord qui s’opéra entre lui et les apôtres à Jérusalem, et sur la liberté qui lui fut laissée dans son action auprès des Gentils ? Gal., ii, 1-10. Les judaïsants objectaient à Paul son attitude parfois favorable à la Loi, allant jusqu'à prêcher la circoncision. La réponse est nette : il ne prêche pas la circoncision, v, 11 ; la circoncision n’est rien, vi, 15. Il a refusé de laisser circoncire. Tite. ii, 3 sq. Il est sur ce point intransigeant ici comme dans l’affaire de Tite. Il ne l’a pas toujours été, puisqu’il a fait circoncire Timothée, Act., xvi, 3, puisqu’il dit se faire juif avec les juifs. I Cor., ix, 19-22. Riais dans ces derniers cas, il pouvait le faire sans danger, il agissait pour le bien de l'Évangile, alors que pour Tite et les Galates, une question de principe était en jeu. Si l’on ne parlait que de perfection, pourquoi cette intransigeance absolue ? pourquoi ces paroles dures contre la circoncision, Gal., v, 12, et contre la Loi, qu’il aurait pu regarder comme choses indifférentes ? C’est que les œuvres de la Loi n'étaient pas considérées simplement comme des actes de vertu, dont l’exercice aurait été recommandé, des actions surérogatoires, aptes à faire acquérir une plus grande sainteté. Les pseudo-apôtres semblent d’ailleurs avoir insisté spécialement sur la circoncision, qui n’a pas, en somme, le caractère d’acte vertueux, mais bien celui d’initiation, laissant dans l’ombre les obligations qui incomberaient aux nouveaux circoncis. Gal., v. 3. Paul n’aurait pu protester contre un effort vers la sainteté, par l’accomplissement de certains actes vcrliicux. Lui-même recommandait d’accomplir le Loi dans ce qu’elle a d’essentiel, la charité. On accomplit toute la Loi dans un seul précepte, à savoir : tu aimeras ton prochain comme toimême. » Gal., v, 14. Ce qui a excité son indignation, c’est que les Galates considèrent la foi du Christ comme insuffisante, ses mérites comme dépourvus d’efficacité, le baptême comme sans effet.

Le but de ces judaïsants était « de faire bonne figure auprès des juifs, en éliminant ce qui les choque le plus, le scandale de la croix. » Lagrange, op. cit., p. 38. L’idée que la Croix avait réalisé tous les oracles des prophètes, et mis un terme aux espérances messianiques, était difficilement admise par ces juifs convertis. Pour eux, tout n'était pas fini : la nation choisie par Dieu devait avoir encore ses jours de gloire, sous le règne du Roi-Messie ; et ils considéraient l’expansion du christianisme comme un utile auxiliaire de leur prosélytisme. C’est pourquoi ils tenaient tant à la circoncision et a la Loi ; c’est pourquoi ils estimaient que les païens convertis, pour avoir part aux promesses d’Israël, devaient être étroitement attachés à la nation juive, par le rite de la circoncision. Ils étaient ainsi amenés à diminuer Je rôle du Sauveur, à mesure qu’ils exaltaient l’importance de la Loi. Et « les Galates allaient s’imaginant que leur christianisme était insuffisant, n'étant qu’un élément du judaïsme intégral, la seule voie qui conduisîl a Dieu, l’aul a cru qu’ils étaient perdus pour le Christ, c’est-à-dire que leurs nouveaux docteurs les trompaient, et les orien taient délibérément vers une religion dont le Christ n'était plus le centre. Et en effet le Messie n'était pas le centre des espérances du judaïsme pharisaïque. On attendait de lui qu’il fît triompher le peuple, et qu’il fît régner la Loi sur les gentils. Il serait ainsi son plus illustre serviteur. Les Galates conquis à la Loi par Jésus-Christ auraient réalisé ces aspirations juives. C’eût été un autre évangile, et Paul, avons-nous dit, a prononcé le mot. » Lagrange, op. cit., p. xii,

Autres manifestations judaisantes.

Se heurtant partout aux menées des judaïsants, Paul y

fait de fréquentes allusions dans ses épîtres. Constamment, il met les chrétiens en garde contre eux, parfois en termes très violents, comme lorsqu’il écrit aux Philippiens : « Prenez garde à ces chiens, prenez garde à ces mauvais ouvriers, prenez garde à ces mutilés. Car c’est nous qui sommes les vrais circoncis, nous qui, par l’Esprit de Dieu, lui rendons un culte, qui mettons notre gloire dans le Christ Jésus, et ne nous confions point dans la chair. » Phil., iii, 2-3. Ce sont eux encore qui sont visés dans la IIe aux Corinthiens. On ne saurait admettre que ces perturbateurs « vendaient l'évangile, mais ne l’altéraient pas. » Prat, La théologie de saint Paul, p. 212. Car Paul laisse bien entendre qu’il s’agit de doctrine, d’un enseignement différent du sien. « Mais je crains bien que comme Eve fut séduite par l’astuce du serpent, ainsi vos esprits acceptent de fausses doctrines et se détournent de la simplicité de la foi au Christ. Qu’il vous arrive, en effet, quelqu’un prêchant un autre Jésus que celui prêché par nous, ou vous apportant, soit un Esprit différent île celui que vous avez reçu, soit un Évangile autre que celui auquel vous aviez d’abord adhéré, vous risquez de vous en accommoder fort bien. » II Cor., xi, 3-4.Un peu plus loin, il revendique les mêmes titres que ces étrangers, ces archiapôtres, qui se vantent d'être hébreux, israélites, de la postérité d’Abraham, ministres du Christ. Pourquoi donc, s’il est tout cela autant et plus qu’eux, donner la préférence a leur enseignement ? Ils sont de faux apôtres, des ouvriers astucieux qui se déguisent en apôtres du Christ, xi, 13 sq. Ils font à Corinthe ce qu’ils avaient fait à Antioche, à Jérusalem, en Galatie et partout où ils couraient sur les brisées de Paul, pour annoncer un autre Évangile, apportant dans cette œuvre des vues d’intérêt. II Cor., xi, 20, 7-12 ; xii, 13-17.

Le même esprit d’opposition se manifesta jusqu'à Home, i Je vous recommande, frères, de prendre garde à ceux qui causent les dissensions et les scandales, à rencontre de l’enseignement que vous avez reçu, et évitez-les ; car ces gens-là ne sont point au service de Notre-Seigneur le Christ, mais de leur ventre ; et par des discours édifiants et des paroles flatteuses, ils séduisent les cœurs des simples. > Rom, , xvi. 17-18. Ces simples, exposés à la séduction, sont vraisemblablement les mêmes que les faibles dont il est question, Rom., xiv, et que les forts doivent ménager. Ces faibles s’adonnent à certaines pratiques : abstinence de la chair et du viii, préférence donnée à certains jours. Diverses interprétations sont données de ces faibles. « Cependant, on tient en général et probablement avec raison, que le gros des abstinents était d’origine juive. » Lagrange, Épttrt aux Romains. p. 339. Mais le ton de douceur avec lequel Paul en parle, les recommandations qu’il adresse aux forts de ne pas les scandaliser montrent bien que nous ne sommes pas ici en face d’une manifestation de l’esprit judaïsant intransigeant, que les scrupuleux en question, loin île faire du prosélytisme, sont plutôt portes à succomber, et à agir contre leur conscience. Ils ajoutaient aux pratiques de la Loi certaines prescriptions alimentaires et autres observances empruntées à divers milieux philosophiques et religieux. « Ce