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JUDÉO-CHRÉTIENS, A L’AGE APOSTOLIQUE


indi fFémit : il devait intervenir pour maintenir à ses convertis dans l’Église une place égale à celle des convertis du judaïsme.

2. Intervention de saint Paul.

La qualité et l’influence de ses adversaires n’arrêtèrent pas un instant l’Apôtre des gentils. Au contraire, le fait que les judéo-chrétiens pouvaient revendiquer l’autorité de Jacques, ainsi que l’attitude nouvelle adoptée par Pierre et Barnabe, rendit plus urgente son intervention.

C’est l’inconséquence de sa conduite que Paul reproche à Pierre : les deux apôtres sont d’accord sur les principes ; le concile de Jérusalem l’a montré ainsi que la conduite subséquente de Pierre. Il n’y a pas entre eux opposition de doctrine, comme a vainement essayé de le prétendre l’École de Tubingue. C’est par faiblesse, par crainte de « ceux de la circoncision » que le chef des apôtres a modifié son attitude. A Césarée, il avait appris par révélation qu’il ne fallait pas tenir pour profane ce que Dieu avait purifié, Act., x, 15 : il avait reconnu, par la grâce du Saint-Esprit descendu sur Corneille, que Dieu ne fait pas acception de personnes. Act., x, 34. A Jérusalem, il avait aflirmé que le salut s’obtient uniquement par la grâce du Seigneur Jésus. Act., xv, 11 ; Gal., ii, 15-16. C’est la thèse même de Paul : « Sachant que l’homme n’est point justifié par les œuvres de la Loi, mais plutôt par la foi du Christ Jésus, nous aussi nous crûmes en le Christ Jésus, pour être justifiés par la foi au Christ, et non par les œuvres de la Loi, car par les œuvres de la Loi aucune chair ne sera justifiée. » Gal., ii, 16. Paul dépasse ici le décret de Jérusalem : il proclame la déchéance complète de la Loi, même pour les frères du judaïsme : si le Christ est mort pour nous obtenir la justice, c’est donc que la Loi est impuissante à la produire. Impuissante à justifier, elle ne saurait plus être considérée comme obligatoire pour le chrétien. Son rôle, qui était de nous conduire au Christ, est terminé. Par le Christ nous sommes morts à la Loi. En reprenant le joug qu’il avait d’abord secoué, le juif se fait pécheur et transgresseur de la Loi. Gal., ii, 19-21. On reconnaît ici la thèse que l’Épître aux Romains développera dans toute son ampleur.

L’opposition est nette entre les deux thèses, celle de Paul et celle des judaïsants. Pierre ne saurait être rangé parmi ces derniers ; Paul ne lui reproche aucune erreur, il dit même clairement que Pierre et lui sont d’accord sur le fond du débat ; mais Pierre n’a pas tenu constamment une conduite conforme à ses principes. Il s’est laissé intimider, il a été cause que d’autres juifs ont dissimulé avec lui, et que Barnabe lui-même s’est laissé gagner à leur dissimulation, aùroiv Tfl ôîtoxplæi. Gal., ii, 13. C’est la seule chose qui lui soit reprochée.

Qu’cst-il advenu de cette intervention de Paul ? L’auteur de l’Épître aux Galates ne nous le dit pas. De ce silence de la lettre, l’école de Tubingue a conclu à une rupture entre Pierre et Paul. D’après M. Loisy, Paul aurait échoué dans sa tentative auprès de Pierre : ne pouvant parler dans son épître d’un insuccès qui aurait compromis son autorité, il le passe sous silence. A. Loisy, L’Épître aux Galates, p. 13fi. Rupture, insuccès, c’est déjà ce que laissaient entendre les judaïsants de la fin du iie siècle, qui attribuaient à Pierre une réponse victorieuse aux reproches de l’Apôtre des gentils : « Si lu m’appelles condamnable, font-ils dire à Pierre, tu accuses par là le Dieu qui m’a révélé le Christ, et tu dégrades celui qui m’a appelé bienheureux à cause de cette révélation. » Hom. Clan., xvii, P. G., t. ii, col. 101-102. Ce que nous savons de l’attitude de Pierre dans toutes les manifestations judéo-chrétiennes, soit à Jérusalem, soit à Antioche, ne peut justifier pareille hypothèse. Il est

au contraire bien plus vraisemblable que Pierre a humblement reconnu son erreur de conduite, et que, l’intervention de Paul l’ayant délivré de l’influence néfaste des perturbateurs, il a repris comme auparavant ses relations avec les pagano-chrétiens.

3° Les judaïsants de Galatie (Épître aux Galates).

Malgré leur insuccès à Antioche et à Jérusalem, les judaïsants continuèrent avec une singulière énergie de poursuivre l’Apôtre dans son évangélisation des gentils, de combattre partout l’œuvre qu’il accomplissait. Paul avait fondé des communautés parmi les populations païennes de la Galatie du nord. Les juifs s’y trouvaient en nombre insignifiant ; l’apôtre n’avait imposé aucune obligation légale aux nouveaux convertis. Les Galates avaient mis un grand empressement à accepter l’Évangile, ils avaient montré une parfaite soumission à Paul. Cette fidélité cependant ne devait pas durer longtemps. Dans un second voyage, Paul avait dû déjà insister sur la nécessité de s’en tenir à ce qu’il leur avait prêché une première fois. Gal., i, 9, sur l’obligation qu’ils s’imposaient d’observer toute la Loi, s’ils se faisaient circoncire, v, 3. Le mal empira après cette seconde visite, si bien que vers les années 53 ou 54, cf. Lagrange, Épître aux Galates, p. xiii-xxviii, Paul dut intervenir pour défendre son enseignement contre les entreprises des nouveaux docteurs. Ce fut l’occasion de l’Epitre aux Galates. L’auteur ne dit pas quels sont ses adversaires ; il ne les désigne pas spécialement, n’insinue rien de leur origine, ne rapporte aucune de leurs paroles. C’est donc uniquement par la réfutation qu’il fait de leurs doctrines qu’on peut les caractériser. Ce laconisme a permis une double interprétation des doctrines professées par ses adversaires.

1. La plupart des exégètes modernes voient dans les opposants de Paul des judéo-chrétiens mitigés, faisant de la circoncision, non une nécessité pour le salut, mais un moyen de perfection, et c’est dans ce sens que les nouveaux docteurs l’auraient recommandée aux convertis de Galatie.

Lighfoot suppose que ces judaïsants, essayant d’échapper au décret de Jérusalem, sans le contredire en face, pouvaient bien représenter le rite de la circoncision, non plus comme une condition de salut, mais comme une observance spécialement recommandable. Saint Pauls Epislle to Galalians, 2e édit., p. 307. Cornely passe de la conjecture à l’affirmative, et prête à ces judéo-chrétiens les idées de ceux qui avaient soulevé l’incident d’Antioche entre Pierre et Paul : ils professaient que la Loi n’était pas nécessaire au salut, mais très utile et assurant une plus grande perfection : Legem ergo, licet ad salutem adipiscendam necessaria non esset, utilissimam tamen esse, quandoquidem per eam filii Abrahw, cuidatv essent promissions, consliluercntur. Op. cit., p. 365.

Avant Cornely, la même thèse avait été soutenue par J. Thomas, dans la Revue des questions historiques, en 1889 : « Leurs prédications doctrinales ne vont pas directement contre le décret des apôtres à Jérusalem, mais le tournent et en profitent même. Si on n’exige plus la circoncision pour être admis dans l’Église, on la prescrit comme nécessaire pour entrer en pleine participation des promesses données à Abraham et de l’alliance conclue avec lui. La Loi constitue pour les juifs qui lui demeurent soumis un privilège dont on ne peut jouir qu’en les imitant. » Mélanges d’histoire et de littérature religieuse, p. 174. C’est également le sentiment du P. Prat et de M. Toussaint. « Le premier article de cet « autre évangile », écrit le premier, était la nécessité de la circoncision pour les païens convertis, soit comme condition essentielle de salut, selon la doctrine extrême « les judaïsants d’Antioche et de Jérusalem, soit plutôt comme perfection dernière et