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JUDE (ÉPITRE DE), ENSEIGNEMENTS THÉOLOGIQUES


où l’auteur écrit. On pourrait dire, il est vrai que Jude semble se distinguer du groupe des apôtres. Mais le mot apôtre n’est peut-être pas à prendre ici au sens strict, pour désigner les « douze », par opposition aux simples disciples. Il peut désigner simplement les premiers prédicateurs de la foi chrétienne chez les destinataires de l’épître.

Il n’est pas certain que le ꝟ. 18 fasse allusion à

I Tim., iv, 1-3 et II Tim., iii, 1-4. Il est reproduit textuellement dans II Petr., iii, 2-4, mais nous regardons comme plus probable que l’épître de Jude est antérieure à la seconde de saint Pierre. Tous ces passages, qui renferment des admonitions courantes, dépendent peut-être, à l’origine d’une prophétie (cf. I Cor., xii, 7, 10) transmise oralement et reproduite lorsque les besoins de l’Église le demandaient. Tel peut être la portée de I Tim., iv, 1 : to 8s Ttveùjxa pvj-rwç Xéyei.

Enfin la distinction des psychiques et des pneumatiques n’est pas plus accentuée dans l’épître que dans la théologie de saint Paul ; 4°->X lK °Ç opposé à Tiveu^arixôç se trouve déjà I Cor., ii, 14 ; xv, 44. Jude ne fait qu’opposer les gens sensuels à ceux qui se laissent conduire par l’esprit.

Jacques également emploie déjà la mot iJwxiiœÇ au sens paulinien, Jac, ii, 10. Il faut solliciter les textes pour y trouver que l’Épîtrc de Jude fait allusion aux gnostiques du n c siècle.

Il n’y a donc pas de raison décisive pour retarder l’épître après l’âge apostolique. Peut-on fixer une date plus précise ? La lettre est adressée à des judéochrétiens, comme le contenu l’indique. Elle ne laisse rien soupçonner de la ruine de Jérusalem, qui aurait pourtant fourni l’exemple d’un châtiment exemplaire.

II est donc vraisemblable qu’elle a été écrite avant 70. En outre on doit la placer plus probablement avant la seconde épître de saint Pierre. Si celle-ci date, au plus tard, de l’an 66, nous devons placer l’épître de Jude avant 66. Cependant la mention de « Jacques » dans l’adresse a fait penser que l’épître était adressée aux judéo-chrétiens de Palestine. Dans ce cas Jude n’aurait guère pu être chargé de veiller sur la foi des chrétiens de Palestine qu’après la mort du grand évêque de Jérusalem, c’est-à-dire après l’an 66, ce qui est contraire à l’hypothèse précédente. Si l’on regarde l’épître comme antérieure à la II 1 Pétri, il faudra donc chercher ailleurs ses destinataires..

D’après Bigg, Epistles of St. Peler and SI. Jude, p. 316 sq., les erreurs dénoncées dans l’épître de Jude, comme dans la seconde de Pierre, avaient leur foyer à Corinthe, d’où elles se, répandaient dans la chrétienté. Pierre en fut alarmé, écrivit sa seconde épître et en envoya une copie à Jude, en l’avertissant de la gravité du péril. Alors Jude écrivit une lettre semblable aux Églises qui relevaient de lui ou auxquelles il s’intéressait spécialement. Les deux lettres seraient des spécimens de circulaires adressées en même temps à plusieurs Églises. Dans ce cas leꝟ. 3 de Jude s’expliquerait facilement : l’auteur a reçu l’alarme ; il se proposait bien d’écrire, mais ce motif nouveau lui dicta sa lettre, alors qu’il avait peut-être en vue un autre sujet.

Il faut faire très large la part de l’hypothèse dans toutes ces combinaisons. Sans doute, l’erreur en question se répand très vite ; elle est dissolvante. L’auteur se décide soudainement à écrire, pressé par un danger imminent ; mais toutes les autres suppositions sont assez gratuites. En particulier, il est difficile de placer la seconde épître de Pierre avant celle de Jude ; à moins de suivre l’opinion de Zahii, Einleitung in dus Neue Testament, Leipzig. 1007, t. ii, p. 19 et 66, qui met la seconde de Pierre avant la première.

En somme on ne peut faire sur la date précise et les destinataires de l’épître que de simples hypothèses, on

n’a pas les éléments nécessaires à la solution de ce problème, un des plus obscurs de l’histoire du Nouveau Testament. Cf. Maier, Der Judasbrief, p. 80 sq.

V. Enseignements théologiques.

1° Doctrines fondamentales. — L’auteur veut mettre les fidèles en garde contre les doctrines impies et corruptrices. Juif, parlant à des Juifs, il tire les leçons qui se dégagent de l’histoire de l’Ancien Testament et de certaines traditions du judaïsme. Sa courte lettre est tout entière dans le ton de l’exhortation morale, non dans celui de l’exposé doctrinal. Toutefois elle suppose les idées fondamentales de la foi chrétienne. Le fidèle doit viser à la réalisation du salut, 3, afin de paraître un jour irrépréhensible et plein d’allégresse devant le trône de la gloire de Dieu, 24 ; les impies seront condamnés pour leur impiété, 15. Pour atteindre le salut, il faut rester attaché à la foi transmise aux saints, c’est-à-dire à l’Évangile, et ne pas suivre les doctrines des hommes débauchés et pervers. Dieu est notre sauveur par Jésus-Christ qui est maître et Seigneur, 4, 25. Pour émouvoir ses lecteurs, Jude leur rappelle les châtiments des impies d’après l’Ancien Testament et les traditions juives ; il apporte des exemples typiques des vérités qu’il allirme.

Exemples typiques.

1. Jésus, ou le Seigneur,

après avoir sauvé son peuple, fit cependant périr ceux qui manquèrent de foi, 5. Les fidèles ne doivent donc pas rester dans une fausse sécurité ; Dieu les a sauvés, mais il les condamnera s’ils abandonnent la foi. On est étonné de voir Jésus mentionné à propos d’un fait tiré de l’Ancien Testament. Certains mss donnent « le Seigneur », mais le sens est le même : il s’agit du Verbe, Seigneur et juge de l’ancienne alliance, du Verbe se révélant, mais non du Verbe incarné, Seigneur et juge de la nouvelle alliance. Cf. Ex., xiv, 1 sq. ; Num., xiv, Il sq. ; xx, 16 ; Ex., xxiii, 20 sq. ; Deut., i, 32. Dans ce passage de l’épître, il ne saurait être question de Josué : Jesum non filium Nave, sed Dominum nostrum dicit, Bède le Vénérable, In hune loc., P. L., t. xeni, col. 125.

2. Les anges déchus, qui n’ont point conservé leur « principauté », qui ont abandonné leur demeure, sont réservés pour le jour du jugement, liés de chaînes éternelles, au sein des ténèbres, 6. D’après une tradition juive, (en relation avec Deut., xxxii, 8, d’après la version des Septante) Dieu a préposé des anges à la garde des nations. Cf. Dan., x, 13, 20 ; Is., xxiv, 2 ; xliv, 8 ; Baruch., iv, 7. Plusieurs d’entre eux ont abandonné leur office ou leur principauté. D’après certaines indications de l’Ancien Testament, les dieux des nations étaient regardés comme des anges déchus. Cf. Ps. xcv, 5, d’après les Septante ; I Cor., x, 20. « D’après une autre tradition, les « sept planètes » étaient gouvernées par des anges. C’est pourquoi les « astres errants », àerrépsç TtÀavrjxou, p. 13, étaient regardés comme des astres mauvais, parce qu’ils ne se mouvaient point dans les limites qui leur étaient assignées, et cela à titre de châtiment infligé aux anges chargés de les diriger. Cette tradition se trouve dans z Livre d’Hénoch, x.xiii, 13 sq., édit. Martin, p. T>2 ; Cf. xxi, 2 sq. ; Is., xiv, 12. Jude est beaucoup plus sobre qu’Hénoch dans sa description ; il voit la surtout un exemple frappant du châtiment qu’entraîne la désobéissance et l’orgueil. Tel fut, en effet d’après ces traditions, le péché des mauvais anges. Cette vue est adoptée par Origène, In Ezech., Homil., ix, 2, P. G., t. xiii, col. 734. Inflalio, superbia, arrogantia, peccalum diaboli est ; et ob hsec delicii ad terras migravit de cœlo.

Selon un autre courant de traditions, qui se retrouve également dans le Livre d’Hénoch, xii, 4, p. 30, et que beaucoup d’anciens auteurs chrétiens rattachent à Gen., vi, 1-2, le péché des anges, les « fils de Dieu » de