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JUDE (ÉPITRE DE), SUJET ET ANALYSE


remarquable dans l’antiquité chrétienne. Cf. F. Maier, Der Judasbrief, dans Biblische Sludien, t. xi, p. 61 sq. La lutte de saint Michel contre le diable, ꝟ. 9, et la prophétie d’Hénoch, 1. 14 sq., pouvaient favoriser les spéculations sur les anges auxquelles se livraient trop volontiers les Syriens. Il faut probablement voir là la principale raison de l’admission tardive de l’épître dans l’Église de Syrie. En outre, sa référence implicite à V Assomption de Moïse et explicite à la prophétie d’Hénoch, semblaient, aux yeux de plusieurs, de nature à ruiner son autorité. Eusèbe se fait déjà l’écho des doutes qui s’élèvent à son sujet ; un peu plus tard Didyme d’Alexandrie est obligé de la défendre contre ceux qui l’attaquent à cause de l’usage des apocryphes. Enfin saint Jérôme avoue que les citations du livre d’Hénoch sont aux yeux d’un grand nombre, un obstacle à l’acceptation de l’épître. Son autorité paraissait liée à celle du livre d’Hénoch. Tertullien, au contraire, puisait dans l’autorité de l’épître un argument en faveur de celle du livre d’Hénoch. Mais lorsque ce livre, après avoir joui d’un certain crédit au iie et iiie siècles, fut rejeté à cause de l’interprétation qu’il donnait de la chute des anges, son rejet parut ébranler aux yeux d’un certain nombre, l’autorité de Jude et exclure sa lettre du canon. Si elle y fut mise c’est que l’Église, à la fin du ive siècle et au commencement du ve, reconnut en elle un livre d’origine apostolique et représentant la règle de foi. Il fallait laisser croître et mûrir la moisson, afin d’arracher l’ivraie sans nuire au bon grain.

III. Sujet et analyse.

L’épître de Jude est une des plus courtes du Nouveau Testament ; elle ne compte que vingt-cinq versets. Elle se compose d’une série d’exhortations à combattre pour la foi, mêlées de menaces à l’adresse des faux docteurs qui se sont glissés dans la communauté.

Elle est adressée par « Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques, aux élus qui ont été aimés en Dieu le Père et gardés pour Jésus-Christ », 1.

Il y a parmi les fidèles des impies « qui changent la grâce de Dieu en licence, et qui renient notre seul maître et Seigneur, Jésus-Christ », 4. Ces hérétiques recevront leur châtiment ; ils seront frappés comme le furent leurs ancêtres, d’après l’histoire de l’Ancien Testament et les traditions juives. En effet, après avoir sauvé son peuple de l’Egypte, le Seigneur, ou Jésus, fit périr les incrédules, 5 ; les anges qui ont abandonné leur « principauté » et quitté leur demeure, Dieu les garde liés de chaînes éternelles, au sein des ténèbres, pour le jugement du grand jour, 6 ; Sodome et Gomorrhe, avec les villes voisines, qui se livrèrent à l’impudicité de la même manière qu’eux en abusant d’une chair étrangère, sont données en exemple, en subissant la peine d’un feu éternel. 7. Malgré ces châtiments, les faux docteurs, eux aussi, dans leur délire, souillent leur chair, méprisent « l’autorité », injurient « les gloires », c’est-à-dire se rendent coupables de crimes qui méritent des peines analogues à celles qui viennent d’être mentionnées, 8.

L’archange Michel lui-même, dans sa lutte avec le diable au sujet du corps de Moïse, n’osa point porter une sentence d’exécration, il se contenta de dire : « Que le Seigneur te punisse ». Tandis qu’eux, ils blasphèment ce qu’ils ne connaissent pas ; et ce qu’ils connaissent naturellement, comme les animaux stupides, est pour eux une cause de ruine. Ils sont maudits, car ils ont imité Caïn, le type de ceux qui s’élèvent contre Dieu ; ils ont imité Balaam, le chef, d’après les traditions juives, de tous les maîtres d’erreurs, de tous les libertins et de ceux qui résistent aux anges. C’est pour de l’argent que ces faux docteurs répandent leurs erreurs. Ils sont comme Coré, qui se révolta contre Moïse, 9-11.

Us sont une souillure dans les agapes ; ils ressemblent à des nuages sans eau, à des arbres sans fruits, arbres morts et déracinés ; à des vagues cjui rejettent leur écume ; à des astres errants réservés pour le châtiment éternel, 12-13.

C’est aussi à leur sujet qu’Hénoch a prophétisé, en annonçant la venue du Seigneur pour juger tous les pécheurs, et leur demander compte des paroles criminelles. Les impies en question tombent sous le coup de la justice divine ; car ils murmurent, ils ont la bouche pleine de propos orgueilleux, et par intérêt ils prodiguent les louanges, 14-16.

Les fidèles doivent se rappeler ce qui a été annoncé par les « apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ » : au dernier temps, il viendra des « moqueurs », vivant au gré de leurs convoitises et provoquant des divisions, hommes charnels, tyr/w.oi, n’ayant pas 1’ « esprit », ttvsû^oc [i.7] exovtsç. Les fidèles doivent rester fermes dans la foi et prier dans le Saint-Esprit en attendant la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle, 17-21. La communauté est invitée à exercer la justice et la charité envers certains de ses membres, engagés à divers degrés dans l’erreur ou le vice, 22-23.

L’épître se termine, non par une salutation, mais par une doxologie à « D’eu seul notre Sauveur, par Jésus-Christ Notre-Seigneur », doxologie qui rappelle celles des épîtres de saint Paul. Cf. Rom., xvi, 27, Phil., iv, 20 ; I Petr., iv, 11.

IV. Origine de l’Épitre. — 1° Données de la tradition. — Les témoignages de la tradition mentionnés plus haut (voir Canonicité) attribuent l’épître à « Jude », ou « Jude serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques ». Us dépendent, dans leur ensemble, de la notice même qui est dans l’adresse, ꝟ. 1. Cependant Tertullien, De cuit, fem., i, 3, P. L., 1. 1, col. 1308, et la traduction latine des œuvres d’Origène, cf. In ep. ad. Rom., v, 1 ; De princip., III, ii, 1 (voir les références dans Canonicité), l’attribuent à 1’ « apôtre Jude ». Il est difficile de dire si cette mention d’ « apôtre » provient d’une interprétation exégétique, ou si elle dépend d’une tradition spéciale. En tout cas la tradition est très ferme sur un point : l’épître est du personnage des temps apostoliques, qui se dit « Jude, frère de Jacques ». Les doutes signalés par Eusèbe et saint Jérôme portent directement sur l’autorité de l’épître plutôt que sur son authenticité. Ils proviennent de ce qu’elle dépend, dans plusieurs passages, de traditions juives ou d’écrits non canoniques ; ci.ꝟ. 9, 14. Ils proviennent peut-être aussi de ce que l’auteur ne se dit point explicitement apôtre, f. l, mais semble plutôt se distinguer du groupe apostolique, ꝟ. 17 (voir plus loin, dans Données de l’épître, l’explication de ce verset). La question se réduit donc à rechercher quel est le personnage des temps apostoliques qui se nomme « Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques ». La donnée la plus sûre dont il faut partir est la désignation « frère de Jacques », car la mention « serviteur de Jésus-Christ » n’ajoute aucune précision nouvelle.

L’Église primitive a connu plusieurs personnages du nom de Jude ou Judas : 1. Judas l’Iscariote. — - 2. L’apôtre désigné dans Luc., vi, 16, sous le nom de’IoûSaç’Iaxcoêou ; cf. Act., i, 13 ; Joa., xiv, 22. Les commentateurs modernes traduisent généralement cette expression « Jude fils de Jacques », comme au verset précédent « Jacques fils d’Alphée ». Mais la traduction « Jude frère de Jacques », adoptée par les anciens commentateurs peut se justifier au point de vue grammatical, car on peut sous-entendre àSsXçôç ; cf. Kûhner, Ausfuhrliche Grammalik der griechischen Sprache Leipzig, 1898, t. ii, p. 265 ; Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. 181. — 3. Judas « frère » du