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1667 JUDAÏSME— JUDE (ÉPITRE DE), PLACE, TITRE, TEXTE ET VERSIONS 1668

observa toujours rigoureusement la Loi. Mais en réalité, c’était un philosophe hellénique, dominé par les idées des penseurs grecs, de Platon spécialement qu’il nomme [epéTocroç, et aussi dos néopythagoriciens el dos stoïciens. Pliilon avait la conviction que tout l’enseignement des sages le la Grèce se trouvait déjà dans la Thora. De là son estime pour eux. de là aussi son interprétation de la Thora. Il déduisait de la Bible par une exégèse allégorique toutes les doctrines grecques. Cette exégèse elle-même était un emprunt l’ail aux stoïciens qui l’appliquaient à Homère pour le mettre d’accord avec leur philosophie. Philon, en l’employant, voulait rattacher la philosophie a la théologie biblique : en réalité il vidait l’Écriture de son vrai sens et en remplaçait en grande partie les idées par des pensées grecques. De cet amalgame est sorti un système nouveau de philosophie religieuse, qui assure au judaïsme une place importante dans l’histoire de la philosophie.

Philon dit expressément qu’il eut dans cette voie des prédécesseurs. On n’en connaît qu’un seul. Aristobule, vers 150 avant J.-C, voir col. 1593, dont l’existence d’ailleurs a été souvent contestée, mais sans raison suffisante. Voir Schurer, Geschichte…, t. a, p. 38 1392. D’aucuns y ajouteraient volontiers l’auteur de la Sagesse, qui, sous l’influence de la philosophie hellénique, se serait (’carte lui aussi sur plusieurs points de l’ancienne doctrine juive. A en croire certains critiques, il enseignerait, comme Platon, une transcendance de Dieu telle que l’Être suprême ne peut entrer en contact avec le monde, i, 13 : ii, 24 ; ses spéculations sur la Sagesse divine reposeraient sur les théories d’Anaxagore relatives au voûç, sur celles de Platon relatives à l’âme du monde, i. 7, sur la doctrine du logos des stoïciens, vii, 21. Avec Platon, il mettrait l’âme en opposition avec le corps, et regarderait celui-ci comme la prison de celle-là, ix, 15 ; comme Platon surtout, il croirait à la préexistence de l’âme, viii, 19-20, et ses doctrines eschatologiques seraient prises, elles aussi, à ce philosophe.

Il suffit en elïet d’ouvrir le livre de la Sagesse pour constater que l’auteur a reçu une formation philosophique, qu’il est bien au courant des systèmes platonicien et stoïcien. Il aime employer des termes philosophiques, donne des définitions, xvir, 12, use même du sorite, yi, 17-20. Mais au même moment on a l’impression qu’il ne poursuit aucunement le but de communiquer à ses coreligionnaires les notions de la philosophie grecque. Tandis que Philon donnait aux idées helléniques une forme biblique, l’auteur de la Sagesse veut inversement donner une forme philosophique aux notions bibliques pour en faire ressortir davantage l’incomparable valeur.

En effet, malgré les termes platoniciens et stoïciens dont il se sert habilement, il n’introduit par eux aucune conception incompatible avec la théologie reçue. Hn s’adressant aux Juifs lettrés d’Alexandrie et très probablement aussi aux païens cultivés de ce milieu, il veut par son langage philosophique leur montrer qu’il y a dans l’Ancien Testament des doc-Irines qui soutiennent la comparaison avec celles des philosophes grecs. Son texte ne permet pas d’ailleurs de supposer que les allusions aux doctrines helléniques qu’il renferme en sont une complète approbation, ce qui interdit de lui imputer les erreurs qu’elles contiennent.

D’autre part il est certain que l’auteur, sous l’influence de l’Inspiration, a mis à profil les doctrines

grecques pour enseigner l’immortalité de l’âme et la rétribution ultra-terrestre mieux que tous les autres livres bibliques. L’opinion de Sellin, Xrne kirchliche ZeiUehrift, 1919, p. 288, d’après lequel la tentative « l’appuyer l’immortalité sur les doctrjnes platoni ciennes et stoïciennes aurait « mis le couteau à la racine de cette croyance », est aussi étrange que fausse.

Pas plus que le judaïsme palestinien, le judaïsme hellénique n’a donc soullert de l’influence de l’hellénisme ; il en a au contraire profité. Plus tard il s’y montre hostile non moins que la juiverie palestinienne, comme le prouve l’ostracisme porté après l’an 70 de notre ère contre la version des Septante. 1 >ans la Diaspora, le rabbinisme prédomina de plus en plus et donna au judaïsme cette forme caractéristique qu’il devait garder dans tous les lieux et à travers tous les temps.

Cette attitude de religiosité fermée contraste singulièrement avec l’esprit accueillant et apostolique dont faisait preuve le christianisme. Bien qu’il fût dépositaire des promesses divines et qu’il eût commence à les faire rayonner sur le monde, le judaïsme ne saurait plus désormais que se renfermer sur lu : même, farouche et solitaire, aussi incapable d’avenir que lier de son passé, parce qu’il avait méconnu Celui qui était » la voie, la vérité et la vie. i Tandis que l’Église méritait d’être appelée l’Israël selon l’esprit et devenait la lumière du monde, les siècles allaient passer sur la Synagogue sans autre résultat que de serrer de plus en plus fort sur ses yeux le bandeau qui lui dérobe la vue de sa vocation.

1° Sur Diaspora et prosélytisme : Vandervorst, op. cit., p. 210-22.") ; Schurer, Geschichte, t. iii, p. 1-135 ; Felten, op. cit., t. i, p. 217-272 ; Bertholet, Die Stellung der Isræliten und der Juden zu den Fremden, Fribourg-en-B., 1896 ; A. Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums, 3e édit., Berlin, 1915 ; Sieffert, Die Ileidenbekehrung im Alten Testament und im Judentum, Berlin, 1908 ; Meinertz, Jésus und die Heidenmissiùn, Munster-en-W., 1908 ; YVcill, Le prosélytisme chez les Juifs selon la Bible ei le Talniud, Strasbourg, 1880 ; Friedlànder, La propagande religieuse des juifs r/recs avant l’ère chrétienne, dans Revue des études juives, 1895, t. xxx, p. 161-181 ; I.évi, Le prosélytisme juif, ibid., 1905, t. L, p. 1-9 ; 1906, t. ii, p. 1-31 ; 1907, t. lii, p. 56-61 ; P. Batilïol, Le judaïsme de la Dispersion tendait-il à devenir une Église’.' dans Revue biblique, 1900, p. 197-205 ; S. Beinach, op. cit. ; F. Stàhelin, Der Antisemitismus des Altertums, Bâle, 1905 ;

2°.Sur le parsisme, outre la littérature citée au cours de l’exposé, voir : E. Bocklen, Veruiundlschaft der jùdischchristlichen mit der persisehen Eschatologie, Gcettingue, 1902 ; ilollmann, Das Spàtjudentum und der Parsismus, dans Zeitschrift fur Missionskunde, 1909, p. 97 sq., 140 sq. ; Walker, Persian Influence on the devclopment of Biblical religion, dans Interpréter, 1904, p. 313-320 ; Gaster, Parsism in Judaism, dans Encyclopedia of Religion and Ethic, 1917, t. IX, p. 637-640.

3°.Sur l’hellénisme : Schurer, Geschichte…, t. ii, p. 1-175 ; P. Heinisch, Der Einfluss Philos auf die iilteste christliclu Exégèse, Munster, 1908 ; Die griechische Philosophie im Bûche der Weisheit, Munster, 1908 ; Gricchentum und Judentum im letzten J.ahrhundert vor Christus, Munster, 1910 ; Das Buch der Weisheit iibersetzt und erkliirt. Munster, 1912 ; Griechische Philosophie und Ailes Testament, Munster, 1913-14 ; M. Friedlànder, Griechische Philosophie im Alten Testament, Berlin, 1904 ; F.. Sellin, Die Spuren griechischer Philosophie im Allen Testament, Leipzig, 1905 ; P. KrUger, llellenismus und Judentum im neutestamentlichen Zeitalter, Leipzig, 1908 ; P.W’endland, Die hellenistischrômische Kultur in ihren Beziehungen zu Judentum und Christentum, 2e édit., Tubingue, 1912 ; Fromentin, Essai sur la Sapience. La pensée juii<c, la pensée grecque et leurs

rapports avec la pensée chrétienne, Ninies, 1891 ; lievillout, Le judaïsme égyptien un peu avant et un peu après l’ère chrétienne, etc., dans Bessarione, sér. II, 1906, t. x, p. 228247 ; L’hellénisation du monde antique, leçons faites… par V. Chapot, (’.. Colin, etc., Paris, 191 i : H. WBIrich, Juden und Griechen vor der Makkabaischen ErbebuiKI. Goettingue, IS’.)5.

L. Dbnkepri.d.


JUDE (Épitre de).
I. Place, titre, texte et versions.
II. Canonicité.
III. Sujet et caractère.
IV. origine,
V. Enseignements théologiques.

I. Place, titre, texte bt versions. —

1° Place <luns le Nouveau Testament. — L’épttre qui porte le