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judaïsme, pratiques religieuses

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grande merveille, opérée par Dieu dans ce monde, un reflet de l’ordre éternel de l’univers. Vita Mosis, ii, 51, édit. Mangey, t. ii, p. 142. A cette gloire de la Loi on faisait aussi participer Moïse, son auteur. « Jahvé le glorifia comme un Dieu. » Eccli., xlv, 2 (hébr.). Philon présente Moïse comme infiniment supérieur à tous les sages grecs ; il l’appelle même le médiateur du monde entier, De congressu qaœr. erud. gratta, 21, édit. Mangey, t. i, p. 536 ; Vita Mosis, ii, 166, ibid., t. ii, p. 160.

Si les.Juifs étaient fiers de leur croyance en un seul Dieu, ils ne l’étaient pas moins des coutumes particulières sanctionnées par la Loi. Ils savaient bien que les païens avaient une certaine morale, mais ce qu’ils n’avaient pas, c’étaient les mœurs, basées sur la Thora. « Le législateur, peut-on lire dans la Lettre d’Aristêe, 139, … nous entoura d’une haie impénétrable et de murs d’airain pour que nous n’entrions pas en relation avec aucun autre peuple, restant purs de corps comme d’àme et libres de toute croyance insensée. »

Plus encore que cette conviction de supériorité à l’égard des païens, les Juifs devaient à la Thora le moyen sur de plaire à Dieu. Se soumettre complètement à sa volonté par l’obéissance la plus stricte à toutes ses prescriptions était pour eux le comble de la religion. Le psaume cxviii l’exprime sans cesse. Les rabbins disaient expressément qu’il ne s’agit pas tant des détails de l’observance en eux-mêmes que de l’esprit de soumission qui s’y exprime. Dans ce sens, Rabin Jochanan ben Zakkai enseignait : « Ni le mort ne rend impur, ni l’eau pur, mais le Saint… a dit : j’ai donné une loi, j’ai fixé une décision : tu n’a pas le droit de transgresser la décision qui est écrite, » d’après A. Schlatter, Beitrâge zur Fôrderung christlicher Théologie, 1898, t. iii, p. 4 : Jochanan ben Zakkai, p. 42 ; Bousset, op. cit., p. 149.

Cette haute estime de la Loi fait, sans contredit, honneur au judaïsme et le christianisme lui-même s’y est largement associé. Jésus-Christ n’a-t-il pas dit : non veni solvere Legemsed adimplere, Matth., v, 17, et saint Paul : lex pœdagogus noster fuit in Christo ? Gal., iii, 24.

2. L’abus de la Loi.

Malheureusement tout ne fut pas parfait dans ce culte de la Loi. Il n’est que de lire les Évangiles et les épîtres de l’Apôtre des gentils, pour que l’admiration à l’endroit du zèle des Juifs soit contrebalancé par les sentiments opposés. Car Jésus-Christ et saint Paul y dénoncent la manière dont la Thora était pratiquée de leur temps comme une perversion de la religion et du sens moral. Matth., xv, 2 sq. ; xxiii, 25-26 ; Marc, vii, 2-5 ; Luc, xi, 38-39 ; Rom., ix, 31-32 ; x, 1-4.

En effet l’observation de la Loi était sous l’influence des scribes pharisiens viciée par plusieurs graves abus.

a) Et d’abord la pratique religieuse avait pris une forme presque exclusivement extérieure. Certes la Thora elle-même contenait dans sa majeure partie des préceptes rituels. Cependant ces lois cérémonielles n’étaient ni les seules, ni les plus importantes, témoin la publication si solennelle des dix commandements. Elles devaient en outre, dans l’intention du législateur, produire un effet intérieur, évoquer la conscience de la culpabilité et le besoin du salut divin. Rom., iii, 20 : per legem enim cognitio peccati. Mais les scribes étaient parvenus à ne plus faire de distinction entre les prescriptions morales et rituelles ; ils préféraient même ces dernières — parmi les soixante-trois traités de la Mischna un seul a un contenu moral — et en les accomplissant ils se contentaient d’observer la lettre sans se soucier de l’esprit. La justice légale leur suffisait à tel point qu’ils se donnaient plus de peine pour être extérieurement corrects par rapport à un détail insignifiant que pour réaliser la justice inté 1646

rieure : « ils filtraient le moucheron et avalaient le chameau, ils nettoyaient le dehors de la coupe et du plat, tandis que le dedans restait rempli de rapine et d’intempérance. » Matth., xxiii, 24-25.

b) Cette préférence pour des lois cérémonielles en avait entraîné la multiplication dans des proportions déraisonnables. Le contenu des gros volumes de la Mischna et du Talmud consiste essentiellement en des additions innombrables faites aux prescriptions rituelles et accompagnées d’explications minutieuses. On avait tellement multiplié les lois que les prescriptions du Pentateuque étaient devenues très peu de choses en comparaison, de sorte que Jésus pouvait dire avec raison : « Les scribes et les pharisiens se sont mis sur la chaire de Moïse. » Matth., xxiii, 2.

C’est surtout pour le repos du sabbat et la pureté légale que les lois du Pentateuque ne leur suffisaient pas. A la place des quelques œuvres défendues le sabbat par Ex., xvi, 23-30 ; xxxi, 12-17 ; xxxiv, 21 ; xxxv, 1-3 ; Num., xv, 32-36, ils distinguaient trente-neuf travaux principaux qu’ils subdivisaient et appréciaient avec une subtilité incroyable. Voir Schùrer, Geschichte, t. ii, p. 470-478. Les rabbis Jochanan et Siméon ont employé trois ans et demi pour élaborer ces prescriptions détaillées. Bâcher, op. cit., 1. 1, p. 210 ; Bousset, op. cit., p. 146. Mais la casuistique des scribes atteignit son apogée en matière de pureté rituelle. Elle prévoyait tant de cas de souillures que le Juif ne pouvait presque rien faire, à peine quitter la maison ou fréquenter quelqu’un sans craindre d’être « infecté ». Voir Schûrer, Geschichte…, t. ii, p. 478-483.

Le Christ ridiculise ce pédantisme mesquin qui portait les dévots à prélever la dîme même sur des produits aussi insignifiants que la menthe, l’anis et le cumin. Matth., xxiii, 23.

Mais il leur reproche encore davantage « de lier des fardeaux pesants et difficiles à porter et de les mettre sur les épaules des hommes. » Matth., xxiii, 4. La Loi devenait en effet de cette façon une intolérable servitude, un véritable instrument de torture morale. Le Christ en apporta la délivrance. En face de l’abus de la Loi, ses paroles sont doublement significatives : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés… car mon joug est suave et mon fardeau léger. » Matth., xi, 28-30.

c) On comprend aisément qu’une telle conception de la Loi ne pouvait servir ni la religion ni la morale. La religion doit réaliser l’union de l’homme avec Dieu. Le Juif, dans son zèle exagéré pour les lois extérieures, oubliait cet idéal et ne cherchait qu’à marcher correctement devant Dieu. Au lieu de s’abandonner à la bonté divine, il croyait faire du Très-Haut son débiteur par les mérites de ses œuvres.

La morale était également compromise par un système qui empêchait toute spontanéité. La casuistique, en donnant d’avance la règle pour chaque cas possible et en supprimant toute décision personnelle, paralysait l’essor normal de la vie morale. C’est donc bien à tort que Josèphe, Cont. Apion., ii, p. 17, vante cette casuistique en disant : « Il (Moïse) n’a pas laissé la moindre chose au choix et au libre arbitre. »

d) Ce culte tout extérieur de la Loi a même créé des vices, tels que l’orgueil et l’hypocrisie. Ce sont les deux fautes que Jésus a condamnées chez les pharisiens dans les ternies les plus vifs : « Ils aiment les premières places dans les festins, les premiers sièges dans les synagogues, les salutations dans les rues. Matth., xxiii, 6 ; ils ressemblent à des sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent beaux, mais au dedans sont pleins d’ossements de morts. » Matth., xxiii, 27. Aussi bien l’orgueil était inévitable chez ceux qui s’efforçaient constamment de vivre d’après les prescriptions innombrables, élaborées avec le temps. Car