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judaïsme, pratiques religieuses


foule n’est que trop accessible aux maximes d’une prudence utilitaire et se laisse guider par elle autant que par les hautes doctrines d’une morale désintéressée.

2. La morale juive manque d’ailleurs de cohésion. Dans toute la littérature du judaïsme, nous ne trouvons aucun exposé systématique des devoirs de l’homme. Les maschals de l’Ecclésiastique se suivent, comme ceux des Proverbes, sans aucun ordre. On cherche en vain le principe d’après lequel l’auteur les aurait réunis : « Les nombreux sujets… ne sont pas traités d’une façon méthodique. La pensée de l’auteur va de l’un à l’autre ; elle retourne ensuite à tel détail déjà effleuré, elle reprend un thème pour en achever l’étude, et il est à peu près impossible de faire une analyse raisonnée et systématique de cet ouvrage. » .L. Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, Paris, 1906, t. ii, p. 458. Le manque de plan pourrait à la rigueur s’expliquer par le genre gnomique : le Siracide comme l’auteur les Proverbes voulait tout simplement faire un recueil de belles sentences. Mais ils auraient pu l’un et l’autre se tenir à une règle dans l’arrangement de leurs collections.

Ce défaut est plus surprenant encore dans la littérature rabbinique. Les savants du judaïsme tardif aimaient partout ailleurs à systématiser : ils ont réuni les prescriptions rituelles et juridiques du Pentateuque en des codes très compliqués. Mais ils n’ont pas senti le besoin de faire le même travail pour la morale. Ils discutent les prescriptions éthiques seulement en passant. Toute la Mischna ne contient qu’un seul traité moral, celui des Pirke Aboth ; mais même ici il n’y a pas d’ordre logique : les propos des rabbis, qui témoignent du reste tous d’une haute morale, - sont présentés dans un ordre chronologique. On rencontre plus d’ordre dans les Testaments des Douze Patriarches. Dans le cadre du testament de chacun des fils de Jacob, l’auteur s’efforce d’exposer un domaine circonscrit de la vie morale : mais trop souvent il ne se tient pas au plan qu’il s’est proposé.

Cependant, malgré ce manque de système, malgré cette casuistique désordonnée, on a l’impression que pour les Juifs les différents actes de la vie morale forment une unité. Elle se révèle par la doctrine sur la simplicité, â^Xô-r/jç, et ses contraires : la St^u^îa. le vouç SittXoôç. Cette doctrine signifiait surtout qu’une action mauvaise ne devient pas bonne par une bonne intention et que l’homme qui néglige un seul précepte grave est un grand pécheur bien qu’il observe tous les autres. Dans ce sens nous trouvons plusieurs fois dans l’Ecclésiastique la recommandation de ne pas s’approcher du Seigneur avec un double cœur et de ne pas marcher sur deux voies, i, 36 ; ii, 14 et bien des règles s’inspirent de cet esprit dans le Testament des Douze Patriarches, Ruben, i ; Siméon, iv ; Lévi, xiii ; Iss., v-vi. Le Testament d’Asser est tout un exposé de cette doctrine, il y est dit que celui qui vole pour faire l’aumône, celui qui jeûne et qui est en même temps adultère n’est pas bon, mais « désuni » et par suite » complètement mauvais », Test. Asser, i, n ; celui par contre qui tue un malfaiteur accomplit malgré le meurtre une œuvre dont l’ensemble est bon, parce qu’il « extirpe le mauvais ». Ibid., iv.

3. Le contenu lui-même de la morale juive, est excessivement riche. Il embrasse toute la vie humaine, envisage les réalités les plus concrètes, s’adresse à tous les états, se rapporte aux situations les plus variées de la vie privée et publique.

Pour en relever les caractères principaux, il faut nommer en premier lieu la forme négative de la plupart des préceptes. Les moralistes juifs disent surtout ce qu’il ne faut pas faire. Souvent reviennent des variations sur ce thème : « ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas non plus aux autres, » tandis que

Jésus dira d’une façon positive : « Ce que tu veux qu’o 11 te fasse, fais-le aussi aux autres. » Matth., vii, 12 ; Luc, vi, 31. C’est dans ce sens que les rabbis recommandent de ne pas haïr, calomnier, vexer, être précipité en paroles, agir d’une façon irréfléchie, etc., et qu’ils prônent les vertus passives, la patience, l’humilité, l’humeur pacifique, la résignation, la modération, le contentement. Voir les textes nombreux dansBousset, op. cit., p. 486 sq.

Parmi les vices qu’il faut éviter, aucun n’est nommé aussi souvent que la luxure. Dans tous les exposés moraux, l’interdiction des péchés d’impureté est un trait saillant. Que de fois le Siracide met ses lecteurs en garde contre l’incontinence et la séduction, p. ex. xxih, 16-27. Le livre d’Hénoch l’ait remonter au péché commis par les anges avec les filles des hommes tous les maux de la terre. En regard de la corruption païenne, les écrits helléniques stigmatisent encore davantage toutes les débauches sexuelles. Sap., iii, 13, 16 ; iv, 6 ; xiv, 23 sq. ; III Sib., 594-600 ; pseudo-Phocylide, 175-206.

Parmi les vertus, trois sont recommandées plus que toutes les autres, la piété, le jeûne et la charité envers les malheureux. Elles sont déjà réunies dans Tobie, xii, 8. La piété s’exprime surtout dans la prière. Voir plus bas.

Le jeûne était pratiqué déjà dans l’ancien Israël. Nous en retrouvons l’usage privé immédiatement après l’exil, Esdr., viii, 23 ; Neh., i, 4 ; Esth., iv, 16. Zacharie nomme quatre jours de jeûne officiels, vii, 5 ; viii, 19, qui furent ajoutés au jour de jeûne par excellence qui était la fête de l’Expiation. Dans la suite, on fut plus que jamais fidèle à la pratique du jeûne : I Macch., m, 47 ; II Macch., xiii, 12 ; Ps. Sal., iii, 8 ; IV Esdr., v, 13 ; vi, 31 ; Apoc. Bar., ix, 2 ; xii, 5. Le sanhédrin prescrivit trois jours de jeûne pour les temps de sécheresse ou de malheurs publics. Mischna, Taanith, i, 5 ; ii, 9. Au temps de Jésus-Christ, les Juifs pieux jeûnaient deux fois par semaine, le lundi, et le jeudi, Mischna, Taanith, ii, 9 ; Matth., ix, 14 ; Luc, xviii, 12 ; cf. Didaché, viii, 1. Le jeûne fréquent devint dans la Diaspora un des caractères distinctifs des Juifs. Tacite, Hist., v, 4.

Un des traits qui honorent le plus le judaïsme est son souci des pauvres. Les prescriptions du Pentateuque à ce sujet fuient largement observées. Bousset, op. cit., p. 162, cite avec raison la charité comme un des piliers de la vie religieuse et morale des Juifs. Fréquemment le Siracide exhorte à donner l’aumône, attire l’attention sur sa grande valeur ; il promet à l’homme charitable des faveurs spéciales de la part de Dieu, iii, 30-iv, 10 ; vii, 10 ; xvii, 22…. Dans le livre de Tobie, la charité forme également le centre des devoirs moraux ; près de la moitié des exhortations que le vieux Tobie donne à son fils avant son départ sont relatives à cette vertu. Les rabbins nommèrent l’aumône sedaqa. c’est-à-dire justice, et organisèrent l’assistance publique. Mischna, Pea, viii, 2 ; Pesachim. x, 1. Dans les synagogues, on faisait des quêtes régulières pour les pauvres, Mischna. Demai, iii, 1 ; Kidduschin, iv, 5 ; Matth., vi, 2. Le Talmud contient des éloges nombreux et bien sentis de la charité, p. ex., Talmud Bab., Baba Bathra, 10a, lia. — Ajoutons d’ailleurs que le particularisme juif trouvait ici encore occasion de s’exercer. Les sages comme les rabbins restreignent trop volontiers aux membres de leur nation les bienfaits de lacharité, et les réservent même à ceuxlà seulement qui sont pieux comme eux. Voir Eccli., xviii, 13 ; Tob., iv, 13, 17. Les pharisiens contemporains du Sauveur dédaignent le vulgaire et en veulent à Jésus de ce qu’il prend égard aux pécheurs et aux publicains.

4. Parmi les prescriptions qui réglaient la vie quotir,