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JUDAÏSME, pratiques religieuses


p. 278-287 ; d’autres ont dit le « nomisme », opposé à la piété prophétique.

Personne sans doute n’a davantage relevé et déterminé cette différence entre la religion préexilienne des prophètes et la religion postexilienne des prêtres que K. Marti dans les différentes éditions de sa Geschichte (1er isrælitischen Religion, 5e édit., 1907. D’après lui, « aucun des prophètes ne se vit obligé d’exposer en détail le contenu des exigences religieuses et morales de Jahvé… Ils avaient le sentiment ferme qu’un tel exposé ne correspondrait quand même pas à la profondeur et à la largeur de la volonté divine… Cela d’autant plus que Jahvé devait indiquer à chacun dans son intérieur ce qui est bon et fortifier sa volonté pour l’exécution des ordres divins » p. 133. La fixation du décalogue lui-même n’aurait pas été conforme à leur conception : « une telle détermination statutaire des devoirs envers Jahvé n’aurait guère été en harmonie avec leurs intentions » p. 134. Les prophètes n’auraient voulu qu’une chose : créer une union intime entre la foi en Jahvé et l’accomplissement de sa volonté.

Par contre la Thora que les prêtres à partir du règne de Josias introduisirent en Israël aurait déchiré cette union, p. 260, surtout parce qu’elle mettait les lois rituelles sur le même plan que les lois morales. Ce serait principalement Ézéchiel, plutôt prêtre que prophète, qui aurait introduit les lois cérémonielles et enseigné que le salut ne pourrait être obtenu que par l’observation de la Thora, p. 224 sq. Il serait ainsi devenu le père du judaïsme, p. 227, et la promulgation du Code sacerdotal par Esdras et Néhémie serait un des événements les plus décisifs dans l’histoire religieuse d’Israël, p. 231 sq. Dorénavant, les Juifs vécurent sous le fardeau de lois qu’ils n’ont pas connues auparavant… Tout d’abord on les aurait regardées comme un résumé de la prédication prophétique. Ce n’est que peu à peu qu’on oublia leur provenance et que l’autorité de la Thora supplanta celle des prophètes, p. 217.

On se demande, comment une telle conception de l’origine de la législation du Pentateuque est possible. Car le point de départ théorique est déjà en contradiction flagrante avec les notions les plus élémentaires de la morale et de la religion. Si la religion n’est pas simplement un sentiment vague, elle a nécessairement pour base indispensable une série très nette de prescriptions morales à la manière du décalogue. Dire que de telles lois, énumérées et présentées systématiquement, sont un empêchement à l’union de l’âme avec Dieu, c’est méconnaître et même ébranler la portée de tout l’ordre moral du monde. Prétendre que de telles lois sont indignes de la religion des prophètes, de ces hommes qu’on présente non seulement comme les propagateurs mais comme les créateurs du monothéisme moral, c’est faire d’eux des utopistes, et de leur religion une mystique hyperspiritualiste. Déprécier à ce titre la religion postexilienne, c’est la juger de la façon la plus injuste.

La base historique du système n’est pas moins fragile. Pas plus qu’Amos et Osée ne présentent leur , prédication d’un seul Dieu comme une chose nouvelle, le grand prêtre Helcias, le prophète Ézéchiel, le prêtre Esdras ne donnent comme récentes les lois qu’ils promulguent. Supposer qu’ils les ont créées de toutes pièces, c’est leur imputer la fraude la plus raffinée et la plus déloyale.

Pour ce qui regarde surtout les lois rituelles, il faut relever que leur attribution globale au temps exil>n et postexilien se heurte d’abord à ce fait que le formalisme extérieur, qui serait censé récent dans la religion d’Israël, se rencontre dans toutes les anciennes religions orientales dès leur commencement, en parti culier chez les Babyloniens et les Égyptiens avec qui les Juifs avaient des contacts étroits. Il y aurait ensuite la plus grande invraisemblance psychologique à ce que les Israélites, retournés à Jérusalem, se fussent laissé imposer le lourd fardeau du Code sacerdotal, si compliqué, s’ils ne l’avaient pas regardé comme un héritage de leurs pères. Est-il en effet probable que les rapatriés, qui vivaient pendant les premiers temps dans la plus grande détresse, qui, déçus de ce que le salut messianique ne se fût pas immédiatement réalisé, étaient si négligents dans la reconstruction du temple, qui s’opposaient si opiniâtrement à la réforme de Néhémie et d’Esdras au sujet des mariages mixtes, eussent accepté les prescriptions si gênantes du Code sacerdotal, en particulier celles qui regardent la pureté rituelle et la dîme, si ces prescriptions n’avaient pas plongé leurs racines dans la plus ancienne tradition préexilienne ?

Du reste, celui des critiques qui a étudié plus que tous les autres les lois lévitiques du Pentateuque, AVolf Baudissin, Geschichte des alttestamentlichen Priesterlums, 1889, est d’avis que le Code sacerdotal appartient entièrement au temps préexilien, à l’époque du Deutéronome. Eerdmans, Alttestamentliche Studien, t. iv, 1912, p. 83-135, prouve par une argumentation très vigoureuse que la « Loi de sainteté », Lev., xviixxvi, regardée par la critique comme le noyau primitif et la partie essentielle du Code sacerdotal, est très antique. E. Sellin, Einleitung…, 1920, p. 31 sq., affirme que ce même ensemble de lois qu’on aime à mettre en connexion avec Ézéchiel ne précède pas seulement le livre de ce prophète, mais encore le Deutéronome (C21 avant J.-C). La récente et vaste étude du P. Kugler, S. J., sur la législation du Code sacerdotal réunit bien des arguments en faveur de son caractère antique. Von Moses bis Paulus, 1922, p. 36133 : Zum Aller der wichtigsten bùrgerlichen und kullischen Gesctzesbestimmungen des Pentateuchs. insbesondere des sogenannten Pricsterkodex. Il est d’autant plus surprenant qu’un historien et critique aussi averti que E. Schùrer, Geschichte…, t. ii, p. 226, prétende qu’ « il est évident que le Code sacerdotal, c’est-à-dire la grande masse des lois de l’Exode, du Lévitique et des Nombres, est plus récent que le Deutéronome et Ézéchiel. »

Pour toutes ces raisons nous sommes en droit de dire que le « nomisme » (pour prendre l’expression des critiques) a été un caractère spécial du culte mosaïque dès ses origines et que la religion judaïque ne diffère sous ce rapport de l’ancienne que par une pin s grande intensité. Après l’exil encore, malgré le zèle progressif pour l’accomplissement des lois rituelles, la foi et la morale restèrent à la base de la vie religieuse du judaïsme.

La foi.

L’exagération du rôle joué par la Loi

au temps postexilien a amené plus d’un critique à regarder la foi comme un élément bien secondaire. Voir E. Konig, Geschichte der alltestamentlicheh Religion, 2e édit., Gùtersloh, 1915, p. 534. Rien n’est moins justifié. J. Touzard relève très justement que c’est la foi « qui a empêché Israël de s’abîmer dans le malheur comme le faisaient autour de lui un si grand nombre de nations subjuguées par Nabuchodonosor, o Revue biblique, 1916, p. 299, et que « c’est la ferveur de leur foi qui avait donné aux rapatriés de la première heure le courage de rompre avec la vie facile des plaines de la Chaldéc, pour regagner les âpres montagnes de Juda. » Ibid., 1923, p. 63. Lors du renouvellement de l’alliance sous Néhémie et Esdras, nous voyons la promesse d’observer la Loi accompagnée de la profession la plus claire et la plus ferme de la croyance en Jahvé et ses œuvres. Neh.. ix, 5 sq. Le zèle croissant que le judaïsme déployait et la peine qu’il se donnait