Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/108

Cette page n’a pas encore été corrigée
1625
1626
JUDAÏSME, IDEES RELIGIEUSES


sa perfection morale que par sa naissance, il n’y a plus aucune raison pour exclure de l’union avec Dieu les païens qui se distinguent par les mêmes qualités morales. En se détachant de la nation, la religion devient nécessairement universaliste. Comme l’individualisme est l’appréciation juste de la valeur intérieure de l’Israélite, l’universalisme étend cette appréciation à tous les hommes sans distinction de race.

Jamais en Israël l’universalisme n’avait été énoncé d’une façon aussi riche et aussi généreuse qu’à la fin de l’exil par la deuxième partie du livre d’Isaïe. A plusieurs reprises, et dans les termes les plus magnifiques, il est dit que Jahvé ne veut pas seulement opérer le salut d’Israël, mais de tout l’univers, que les peuples des pays les plus éloignés attendent le salut et qu’il leur sera apporté pour leur plus grand bonheur. Is., xlii, 4, 10 sq. ; xlix, 6 ; lii, 10. A Israël est attribué le rôle d’être un médiateur de salut pour les autres peuples. Is., xlii, 19 ; xlix, 22-23 ; i.v, 4-5.

Cette prédication de l’universalisme a trouvé dans le judaïsme de larges échos, déjà dans les prophéties d’Aggée, ii, 7, mais principalement dans le livre de Jonas, qui est expressément composé dans le but de suggérer que Jahvé est le Dieu de tous les hommes. Voir Jonas, col. 1501. Parmi les livres apocryphes, ce sont surtout les deux livres d’Hénoch qui annoncent en des termes semblables à ceux de la seconde partie d’Isaïe, la conversion des païens. Hén. éth., xlviii, 45 ; xc, 33-36. Parmi les rabbins, Hillel est célèbre par son attitude bienveillante envers les Gentils, Mischna, Pirke Aboth, i, 12 ; Talmud Pal., Schabbaih, 31a. La tendance universaliste se montrait surtout dans le judaïsme de la Diaspora par un esprit très vif de propagande.

Cependant il ne faudrait pas croire que le judaïsme s’était pour autant délivré de tout particularisme. Il y avait au contraire continuellement un fort courant particulariste, qui s’exprime surtout dans les oracles de Malachie et de Joël et dans bien des écrits apocryphes et rabbiniques. Il se révèle en acte dans les efforts faits par les Juifs pour se séparer des païens, pour éviter, particulièrement en Palestine, tout contact avec eux. C’est dans ce but que Néhémie et Esdras défendirent les mariages mixtes, que les scribes et les pharisiens travaillèrent à développer l’observation intégrale de la Loi et principalement de la sainteté rituelle. Voir P. Batifîol, Le judaïsme de la Dispersion tendait-il à devenir une Église ? dans Revue biblique, 1906, p. 197209.

Ainsi le judaïsme présentait une sorte d’antinomie. D’un côté on croyait au Dieu universel qui a créé l’univers et qui est le maître absolu de toutes choses ; de l’autre on professait un particularisme dur, qui réservait le salut aux Juifs et regarde les gojim comme des créatures de seconde classe. Jésus reproche maintes fois à ses contemporains leur particularisme nationaliste, p. ex. Joa., viii, 33, auquel il oppose l’univerlisme de son Évangile.

3. Nature et destinée de l’homme.

Au sujet de l’être humain lui-même, le judaïsme s’en tint longtemps aux conceptions de l’antique religion israélite. Il distinguait non seulement deux mais trois éléments dans l’homme : le souffle de vie (ruah), l’àme (nephesch) et le corps (basar). De ces trois termes, le dernier seulement exprime un concept qui correspond au nôtre. Le souffle de vie est la force vitale que Dieu inspire à chacun ; il est l’élément divin sans lequel l’homme ne peut pas vivre. Eccle., iii, 19-21. L’àme n’est pas, selon la conception juive, un être aussi spirituel et aussi subsistant en lui-même que nous sommes accoutumés à nous le représenter. Elle n’est pas périssable comme le corps ; mais elle ne garde non plus sa pleine vie après être séparée de lui. Dès que Dieu

reprend le souffle de vie, l’àme perd son activité et tombe dans un état de léthargie.

Ce concept de la nature humaine commande à travers tout l’Ancien Testament celui de l’état de l’homme après la mort. Dans le lieu sombre du Schéol les âmes mènent une vie toute triste ; elles dorment plutôt qu’elles ne vivent et il n’y a aucune différence entre les justes et les méchants. Cette anthropologie rudimentaire se retrouve encore dans les derniers livres de la littérature israélite. Eccle., ix, 5, 6, 10 ; Eccli., xvii, 27-28.

Cependant le judaïsme tardif a transformé cette doctrine à un triple point de vue. D’abord, il a supprimé la distinction entre souffle de vie et âme, ce qui se voit surtout dans la manière dont on parle des âmes des défunts, p. ex. Jub., xxiii, 31, Hénoch éth., xxii, 5, 6, 7 ; ciii, 3, 4, 8. Le livre de la Sagesse distingue en l’homme le corps et l’àme, iii, 1 ; viii, 19, 20 ; ix, 15 et identifie l’àme et l’esprit, xv, 8 comparé avec xv, 16. Voir Charles, Critical hislory of the doctrine of a future, life, Londres, 1899, p. 194, 231 sq., 300 ; Bousset, op. cit., p. 459 sq.

En conséquence, on a relevé plus fortement, surtout dans les milieux alexandrins, le caractère spirituel de l’àme, qui non seulement garde sa vie entière après être séparée du corps, mais la développe encore le jour où elle est délivrée des entraves du corps : « le corps périssable alourdit l’âme et le tabernacle terrestre abat l’esprit qui pense beaucoup. » Sap., ix, 15. Ce développement est étroitement lié à celui des idées eschatologiques sur la rétribution individuelle dans l’autre monde.

Enfin le judaïsme tardif a aussi associé le corps au sort éternel de l’àme par la doctrine de la résurrection. Voir plus loin, col. 1628 sq.

4. État corrompu de l’homme.

A différents endroits de l’Ancien Testament se retrouvent des allusions plus ou moins claires à la déchéance de la nature humaine, à la corruption générale de l’humanité. Gen., vi, 5 ; Ps., l, 7 ; Job., xiv, 4 ; xv, 14 ; xxv, 4 sq. ; Is., lui, 6. La spéculation des Juifs palestiniens en a tiré la doctrine sur le « mauvais penchant » (yeser ha ra’) qui pousse chaque homme au mal. Cette doctrine se trouve très probablement déjà dans l’Ecclésiastique, xv, 14, texte hébreu ; xxi, 1-1 ; xxxvii, 3 ; voir F. Chr. Porter, The Yeçer Hara, a study in the jewish doctrine of sin, NewYork, 1901, p. 136 sq. ; Bousset, op. cit., p. 462 sq. ; elle revient fréquemment dans IV Esdras (cor malignum, malignitas radicis, ni, 21-22 ; iv, 30 ; vii, 92) et dans la littérature rabbinique, Mischna, Pirke Aboth, iv, 1 ; Midrasch Sifre, 826 ; Talmud, Berachoth, 61a, Sanhédrin, 916 ; voir Weber, op. cit., p. 211.

Le mauvais penchant a son siège principalement dans le corps, Apoc. Bar., lvi, 6 sq. ; Midrasch Tan* chuma Pikkude, 3 ; Midrasch Bamidbar Rabba, 13 ; voir Weber, op. cit., p. 225 sq. ; Porter, op. cit., p. 98 sq. et Bousset, op. cit., p. 464 sq. s’efforcent de prouver qu’il repose dans tout l’être humain et non uniquement dans le corps ; ils ont raison seulement en ce sens que la théologie rabbinique normale n’a pas conçu, ainsi que les esséniens et Philon, le corps comme essentiellement mauvais et source de tout mal.

Bien que la conception du mauvais penchant prouve combien on était pénétré de la conviction que l’homme est mauvais, on ne trouve nulle part l’affirmation que le libre arbitre soit paralysé par le mauvais penchant ou que la responsabilité soit supprimée. Au contraire, on souligne que c’est la Loi qui s’oppose au mauvais penchant et que l’homme doit choisir entre les deux. Eccli., xv, 11 ; xxi, lia ; Mischna, Pirke Aboth, iii, 15 ; Talmud, Kidduschin, 306. Joseph dit plusieurs fois expressément que les pharisiens maintiennent le libre

I