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    1. JUDAÏSME##


JUDAÏSME, IDEES RELIGIEUSES

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contre, pour la bénédiction sacerdotale comme pour la lecture de la Bible, on le remplaçait par celui d’Adonaï, Mischna, Sota, vii, 0 ; Tamid vii, 2. Cette réticence remonte bien plus haut, puisque les Septante ont traduit Lev., xxiv. 16 : « celui qui blasphème le nom de Jahvé, sera puni de mort > par « celui qui prononce le nom, etc. »

Ainsi évité, le nom de Jahvé est remplacé par des titres somptueux qui expriment la grandeur inaccessible et la sublimité incomparable de Dieu. Dans les livres apocryphes surtout on aime à le nommer le Très-Haut, le Seigneur des Esprits (en particulier dans le livre d’Hénoch), le Seigneur des Seigneurs, le Roi des Rois, le Seigneur du ciel. Voir les textes dans Bousset, op. cit., p. 357 sq.On aime aussi à multiplier ces titres. Souvent les noms de Dieu sont remplacés par des abstractions : à la place de Dieu, on préfère par exemple dire le ciel, déjà dans Dan., iv, 23, mais surtout dans les livres des Macchabées et davantage encore dans la Mischna. Voir Dalman, Die Worte Jesu, 1898, t. i, p. 75, 168 sq. ; Bousset, op. cit., p. 361. Tout cela tendait à marquer la distance entre Dieu et les choses terrestres. A plus forte raison avait-on soin d’éviter, quand l’on parlait du Créateur, toute conception et toute locution trop humaine. Le judaïsme tardif était choqué par les traits anthropomorphiques, donnés à Dieu dans les anciens livres et s’appliquait à les effacer. On le constate déjà à beaucoup d’endroits de la version des Septante ; ainsi, Ex., xxiv, 9-11, la leçon originale « ils montèrent et ils virent Dieu », est remplacée par « ils montèrent et ils virent l’endroit où s’était tenu Dieu ». Voir Gfrôrer, Philo und die alexandrinische Philosophie, Stuttgart, 1831, 1. 1, p. 8 sq. Le livre des Jubilés, ce commentaire haggadique de la Genèse, révèle la même préoccupalion. Voir les nombreux exemples dans Bousset, op. cit., p. 364 sq. Les Targums évitent encore davantage les anthropomorphismes. Voir Langen, Dus Judentum in Palestina zur Zeit Christi, Fribourg, 1866, p. 209218 ; F. "Weber, Jiïdische Théologie au] Grund des Talmud und verwandter Schriften, 2 K édit., Leipzig, 1897. p. 154 sq., 164 sq., 185 sq. ; Felten, op. cit., t. il, p. 40 sq. Parce que dans Genèse, vi, 6, on lit que Dieu se repentit, Philon écrivit tout un traité : quod Deus sit immutabilis.

Ce changement dans la conception de Dieu qui fait éviter tout ce qui serait indigne de l’Être suprême, en lui-même comme dans ses relations avec le monde, se manifeste encore sous d’autres formes bien plus importantes : dans les spéculations sur les byposlases divines.

2. Hypostases divines.

Dans les livres sapientiaux, dans les apocryphes et dans les écrits rabbiniques, on rencontre des qualités divines qui se détachent tellement de la substance à laquelle elles adhèrent qu’elles arrivent à se présenter non seulement comme des personnifications poétiques, mais comme des êtres subsistants. C’est surtout le rôle qu’on leur attribue, qui leur donne le caractère d’hypostases.

a) La plus importante de ces spéculations est celle qui concerne la Sagesse divine. Déjà, dans le livre des Proverbes, il est dil que Dieu l’a possédée dès l’éternité, qu’elle fut sa coopératrice pour la création et qu’elle fait les délices de l’Eternel en jouant devant lui tous les jours. Prov., viii, 22-31. Dans l’Ecclésiastique, cette même Sagesse est mise en scène : elle est sortie de la bouche du Très-Haut ; comme un brouillard, elle couvre la terre, elle a son trône dans les hauteurs célestes, mais elle a choisi comme demeure spéciale Israël. Eccli., xxiv, 5-16. Encore plus explicites sont les ternies du livre de la Sagesse : la Sagesse est un souille de la puissance de Dieu, une émanation de ! a gloire du Toul-Puissanl, l’éclat de la lumière éter nelle, Sap., vii, 22-vm, 1 ; elle est plus mobile que tout mouvement et pénètre partout à cause de sa pureté. Sap.. vu. 2 1. Avec raison des exégètes appartenant à toutes les écoles voient dans ces descriptions de la Sagesse divine plus que des personnifications poétiques. La Sagesse n’est plus simplement conçue comme une qualité abstraite de Dieu, mais comme une hypostase, placée à côté de lui et qui participe à sa nature et à ses œuvres. Elle devient une sorte d’intermédiaire entre le Très-Haut et le monde. Voir L. Haï k-.pill, Étude sur le milieu religieux… contemporain du S. T., dans Prime biblique, 1901, p. 202-215 ; J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 4e édit., 1919, p. 110-119, 118-150. et Joli. Gôttsberger, Die gôttliche Weisheit a/s Persônlichkeit, 1917.

Ces spéculations des auteurs inspirés sont continuées dans l’apocalyptique palestinienne et dans la théologie alexandrine. D’après le livre éthiopien d’Hénoch, la Sagesse siège au milieu des anges, xlii, 1-3, et d’après l’Hénoch slave elle a créé au sixième jour l’homme sur l’ordre de Dieu, xxx, 8. Pour Philon, la Sagesse est préexistante et créatrice de l’univers, De carilate, ii, édit., Mangey, t. ii, p. 385 : il est même dit que Dieu et la Sagesse ont enfanté ensemble le monde comme homme et femme. De Cherubim, 48-50, édit. Mangev, t. i, p. 147-148.

b) A cette doctrine de la Sagesse fait pendant la spéculation sur le Verbe de Dieu ou le Logos. Puisque d’après la Genèse l’œuvre créatrice de Dieu s’est faite par l’action de sa parole, il était naturel d’attribuer à cette parole divine un rôle semblable à celui de la Sagesse. Un commencement de cette conception se trouve déjà dans le ps. cvi, 20 : « Il (Dieu) envoya sa parole et le guérit. » Mais c’est le livre de la Sagesse qui contient le passage le plus significatif : <> Ta parole toute puissante (ton Verbe tout puissant) descendit du ciel, du trône royal comme un guerrier intrépide au milieu du pays, voué à la ruine. » Sap., xviii, 15. Ici la parole est un synonyme de la Sagesse et comme celle-ci une hypostase. Lebreton, op. cit., p. 119-120.

Cette manière biblique de personnifier la parole de Dieu est imitée dans une large mesure par les Targums. Leurs auteurs la traduisent par le mol araniéen memra et remplacent très souvent dans le texte sacré le terme « Dieu » par celui de « memra de Dieu », non seulement pour éviter des anthropomorphismes, mais encore davantage pour attribuer à la parole divine les œuvres extérieures de Dieu, de sorte que le memra n’est pas une simple périphrase, comme le voudrait Lebreton, op. cit., p. 150-152, mais une sorte d’intermédiaire personnel entre Dieu et le monde, p. ex., Jonathan, Is., vi, 8 ; viii. Il ; xlv, 2 : Onkelos, Ex., m, 12 ; iv, 12, 15 : Jonathan, Jos., x, 14, 42 ; xxiii, 2.

Tandis que la doctrine des Targums est la continuation directe de la spéculation biblique, celle de Philon sur le logos est un mélange très peu cohérent d’idées grecques et juives. Les conceptions platoniciennes et stoïciennes y prédominent : le logos est le voûç divin des stoïciens et en même temps l’ensemble des idées platoniciennes qui forment d’après Philon les causes intermédiaires entre Dieu et le monde. Philon rapproche d’une façon purement extérieure ce logos grec des personnifications bibliques de la Parole et de la Sagesse de Dieu sans les amalgamer. Le logos de Philon se distingue de ces hypostases bibliques parce que, malgré la personnification littéraire dont il est souvent l’objet, il n’est pas en somme conçu comme une véritable personnalité. Pour l’étude détaillée voir Lebreton, op. cit.. p. 197-236.

c) D’après beaucoup d’auteurs, p. ex. Bousset, op. cit.. p. khi, Bertholet, op. cit., p. 395, Felten, op. cil., t. n. p. 66 sq., une série de textes, notamment Judith, xvi, 15 ; Sap., i, 5, Apoc. Baruch, xxi, 4 ;