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JÉSUS-CHRIST. Il MILIEU ÊVANGÉLIQUE


remarque entre les discours des synoptiques et ceux du quatrième évangile ne doivent pas nous [aire conclure que les premiers sont inauthentiques ou que les seconds sont le produit de la pensée personnelle de l’apôtre Jean. Voir Lepin, La valeur historique du l évangile, II* partie. Paris. 1910, c. n. Il n’est pas impossible que le Christ ail eu deux manières de parler, l’une plus simple, plus populaire, l’autre plus difficile, plus relevée : la nature des vérités enseignées par lui dans saint Jean n’exige-t-elle pas cette différence de méthode. D’ailleurs l’opposition du genre des discours n’est pas absolue : le langage transcendant n’est pas absolument inconnu aux synoptiques ; ils ont bien, eux aussi, leurs passages mystérieux, et saint Jean rapporte parfois des paroles du Christ, simples et populaires, comme celle-- des synoptiques. Cf. E. Lé vesque, Nos quatre évangiles, Paris. 1917, p. 261 sq. Toutefois, si authentiques que soient tous les discours de Jé--us rapportés en saint Jean, il faut bien avouer que le choix fait par l’auteur inspiré des plus significatifs d’entre eux et le soin apporté par lui à y découvrir, à y mettre en relief le sens favorable à la gloire du Fils de Dieu, supposent une influence rédactionnelle véritable que le critique consciencieux ne saurait méconnaître. Il y a comme une fusion de l’auteur et du modèle, et peut-être est-il i impossible de distinguer, dans l’analyse théologique du livre, les discours de Jean et les réflexions de l’évangéliste. Assurément ledeux sources sont distinctes, mais elles ont tellement mêlé leurs eaux, qu’il faudrait un œil bien exercé pour les discerner ; la révélation vient authentiquement de Jésus, mais ce n’est qu’à travers l’âme de saint Jean qu’on la peut aujourd’hui percevoir et c’est l’apôtre qui, en vue du but qu’il s’était fixé. a choisi les paroles de son Maître, c’est lui qui les développe, les interprète et qui, dès le seuil de l’évangile, nous donne, dans son prologue la clef du mystère. L’évangile de saint Jean est la tunique du Christ, tunique sans couture : on ne la peut saisir que tout entière, à moins d’en déchirer la trame. » Lebreton, op. cit.. p. 444.

Telles sont les raisons générales pour lesquelles, dans notre exposé de la révélation concernant l’Homme-Dieu, nous observerons l’ordre suivant : synoptiques ; Actes des apôtres et épîtres catholiques autres que celles de saint Jean : épîtres de saint Paul et épîlre aux Hébreux ; écrits johanniques, apocalypse, évangile et épîtres.

_ Les conditions extérieures de la révélation du Christ. L’historien de Jésus-Christ doit s’y arrêter longuement. Voif la récente Vie île S.- S..Icsus-Christ, par L.-CI. Iïllion, Paris. 1922, t. i, c. u. m. Le théologien n’en retiendra que ce qui est indispensable pour comprendre la réserve et la prudence de Jésus dans l’affirmation même de sa mission et de sa personnalité divine. Ces conditions extérieures peuvent se ramener à deux principales : conditions politiques et sociales du milieu juif : attente messianique. Nous les indiquerons brièvement, dans la mesure que comporte l’objet de cet article.

1. Conditions politiques et sociales du milieu juif. — On peut les résumer ainsi : n) le peuple juif était, pour ainsi dire, divisé en deux grandes catégories, celle des Juifs habitant la terre d’Israël : celle des Juifs dispersés chez les Gentils en de nombreuses colonies. Sur les

colonies juives, voir Scbûrêr, GeschichU des fQdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, t. iii, p. 1-70. L’union des dispersés avec Jérusalem était fortement maintenue par l’absence de temple en dehors (te celui de Jérusalem, qu’au moment de la Pâque de nombreux pèlerins venaient visiter. Cf. Ad., n. 0-12. I> j Le

peuple de Palestine, tout en étant sous la domination de Rome, gardait encore une certaine autonomie, avec.

pour le gouverner immédiatement, soit des tétrarques ou administrateurs, sotl en Judée proprement dite, le gouverneur romain lui-même, résidant à César ée. Cf. Luc, m. l. 2. Pour plus de détails, voir Schûrer, ></>. cit.. t. i. p. 210-290 ;.1. Felten, Neutestamentliche Zeitgeschichte, oder Judenthutn und Heidenthum ; ur Zeit Christi und der Aposlel, Ratisbonne, 1910 ; l’illion. Vie de.V.-.S. Jésus-Christ, t. i. p. 122 sq.

— et Parmi les classes dirigeantes i qui s’opposeront. non seulement à la personne, mais encore à la doctrine du Christ, et dont l’opposition mettra en relief la transcendance de cette doctrine, on dislingue les Hérodiens, gens prudents, ralliés à la dynastie de l’iduméen Eiérode, et oui deviendront les ennemis de la popularité de Jésus, par crainte d’une réaction violente des Romains, Joa., xi, 48 ; les Zélotes, fanatiques, jaloux observateurs de la Loi et, comme tels, pharisiens, nationalistes par-dessus tout et adversaires de toute domination étrangère ; les Sadducéens, parmi lesquels se rangent les « princes des prêtres », aristocratie peu nombreuse de riches appartenant surtout à la haute caste sacerdotale ; les Pharisiens, interprètes, champions et, au besoin, vengeurs de la Loi, à qui se rattachent les t scribes » et les « docteurs » et dont X.-S. recommande même, en ce qui concerne la Loi, l’enseignement. Cf. Matth., xxiii, 2, 3. Jaloux de garder avant tout leurs privilèges, les sadducéens concilient volontiers la Loi et l’élément étranger ; les pharisiens, sur ce point, sont leurs adversaires déterminés ; mais lorsqu’un intérêt commun réunit les uns et les autres, ils sont facilement d’accord, ainsi qu’il advint pour ruiner l’influence du Christ, destructive de la leur. Voir Fillion, op. cit., Introduction, c. u.

2. L’attente messianique.

L’espérance messianique, à l’époque où parut Notre-Seigneur, semblait toucher à son but. L’annonce de l’ange aux bergers, Luc, ii, 11, est comprise par eux sans difficulté. La question posée par les mages, demandant « où est le Roi des Juifs qui vient de naître, » Matth., ii, 2, est très intelligible à Hérode, qui s’enquiert près des princes des prêtres et des scribes du peuple, « où le Christ devait naître ». La prophétesse Anne ne parlait-elle pas du Messie à tous ceux qui attendaient la prochaine rédemption de Jérusalem ? Luc, ii, 38. La même intensité d’espérance messianique remplit les récits de la vie publique du Sauveur. I.e Messie est i celui cpii doit venir » ou encore « celui qui vient », Matth., xi, 3 ; Luc, vii, 20 ; Joa., vi, 1 I. i A peine Jean-Baptiste a-t-il fait entendre, sur les bords du Jourdain, la parole sensationnelle : « Voici, le royaume de Dieu est proche », que l’austère anachorète est pris pour ce Messie attendu. Luc, iii, 15 ; Joa.. i, 19, 25. Lui-même dissipe l’illusion de la foule ; l’attente du Messie n’en est que plus vive au cœur de ses disciples. Lorsque paraît Jésus de Nazareth, étonnant la foule par ses miracles, l’émerveillant par ses discours, aussitôt se pose pour tous la question du Messie : on rappelle les données messianiques traditionnelles, on consulte renseignement christologique des docteurs de la Loi. Matth.. mi, 23 ; xvii, 10 ; Marc, i. Kl : Joa.. vii, 26, 31 ; x. 21 : xii, 34. Plus tard, l’ovation messianique, si enthousiaste, qui marque l’entrée

triomphale de Jésus à Jérusalem, ovation spontanée, ou peut le dire, (le la part de la foule et contrastant avec la réserve mise jusque-là par le Sauveur a afficher ses prétentions à la messiauité, témoigne éloquemment de la force qu’avait acquise dans l’espril populaire l’espérance au Messie promis. Marc, xi, 7-10, et parall. cf. Matth., ix. 27 : Marc.. 17. et parall. L’intensité de cette préoccupation se mon ire Jusque dans l’interrogatoire que le sanhédrin fait subir a Jésus sur sa qualité prétendue de Christ », Marc. m. 61 ; Matth.,