Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/556

Cette page n’a pas encore été corrigée

1093

rÉSUITES. THÉOLOGIE ASCÉTIQUE. PROCÉDÉS

est crée pour glorifier, c’est-à-dire pour louer, honorer et servir Dieu, et par là sauver son aine.

t Tout le reste, sur la surface de la terre, est destiné a l’homme pour l’aider à al teindre cette fin. »

D’où cette conclusion que celui qui veut tendre à la perfection doit user ou s’abstenir de ces moyens dans la mesure où ils l’aident ou le gênent dans la poursuite de sa fin, et pour cela arriver à une telle indifférence par rapport à ces moyens qu’il ne veuille et ne choisisse que ceux qui le servent le mieux en vue de sa fin.

Cette fin étant d’abord la gloire de Dieu, c’est dire que celui qui tend à la perfection doit en tout et toujours viser à la plus grande gloire de Dieu : Non vulendo neque quærendo quidquam aliud nisi in omnibus et per omnia majorem laudem et gloriam Dei Domini nostri. (Exercitia, 2° hebd. in fine).

Cet objectif de la plus grande gloire de Dieu que saint Ignace avait constamment en vue, il le proposa dès l’origine à sa Compagnie. Tandis que les autres familles religieuses sont appliquées d’ordinaire à une forme déterminée de prière, de pénitence, de charité ou d’apostolat, il ne voulut appliquer la sienne à aucune œuvre spéciale, afin qu’elle pût, selon les circonstances, adopter celles dont on pourrait espérer le plus de gloire pour Dieu. Et ce principe qui guide le corps entier dans le choix des œuvres auxquelles il se consacre, doit guider aussi chacun de ses membres dans le choix des ministères qui s’offrent à son dévouement et à son zèle. Ad majorem Dei gloriam ! ce sera tout ensemble leur devise, leur cri de guerre et leur programme.

2° Le second principe est également inscrit dans les Exercices, dont il domine les trois dernières parties. Dans l’état de rectitude primitive, l’indifférence au milieu des créatures pouvait nous suffire pour rechercher et procurer en tout la plus grande gloire de Dieu. Mais, depuis que le péché a tout bouleversé en nous et autour de nous ; depuis que les créatures, au lieu de nous porter au bien, nous sollicitent au mal ; depuis que notre nature dépouillée et blessée, au lieu d’aller spontanément au devoir, se sent attirée vers les jouissances défendues, ce n’est plus assez de l’indifférence, il faut l’abnégation. C’est la leçon que Jésus-Christ est venu donner au monde par son enseignement et surtout par ses exemples. Saint Ignace présente Jésus comme un roi guerrier et conquérant, qui combat pour rétablir et affermir l’autorité de Dieu sur la terre, et qui appelle tous les hommes à s’enrôler, sous son étendard, au service de la plus noble et de la plus grande des causes. La connaissance, l’amour et l’imitation de Jésus-Christ, voilà le second principe que proclame saint Ignace et dont il tire une conséquence capitale. Si tous les hommes sont tenus de répondre à l’appel de Jésus-Christ, ceux qui aspirent ardemment à la perfection voudront se distinguer dans cette glorieuse armée, et suivre leur divin chef d’aussi près que possible, dans cette voie royale de la croix, où il s’élance le premier, et ou il invite les hommes de cœur à marcher sur ses pas. L’auteur des Exercices donne à cette conclusion une formule expressive, qu’il appelle le troisième degré d’humilité : t Dans l’hypothèse où il faudrait choisir entre la pauvreté et la richesse, entre les humiliations et les honneurs, et où l’on verrait également la gloire de Dieu de part et d’autre, la perfection consiste à préférer la pauvreté à la richesse, les humiliations aux honneurs, par amour pour Jésus-Christ, qui nous a donné cet exemple et à qui on veut ressembler. » C’est en somme Yabneget semelipsum de l’Évangile ; c’est lajpratique du conseil donné par Notre-Seigneur lui-même : .S" ; vis perfectus essi vade, vende que hnbes et da pauperibus… et veni, sequere me.

On voit comment ces deux principes se correspondent. Le premier contient la thèse : en toute condi tion, la perfection consiste à choisir le mieux par rapport à la fin ; le second applique la thèse à l’hypothèse de notre condition actuelle, où le mieux consiste à imiter Jésus-Christ, tel qu’Use présente à nous, volontairement pauvre et humilié.

II. Les Procédés.

Comme elle a ses principes, la spiritualité de la Compagnie de Jésus a ses procédés, procédés qu’on retrouve sans doute ailleurs, mais qui ont peut-être ici une forme plus accentuée ou qui sont d’une application plus intense.

1° C’est le but de toute spiritualité de procurer l’union aussi complète que possible avec Dieu par l’amour. Mais si le but est identique, les procédés employés pour l’atteindre ne sont pas toujours les mêmes.

Pour conduire à l’amour, saint Ignace recourt au procédé le plus naturel et le plus efficace. Il s’efforce de détruire dans l’âme tout ce qui s’y oppose. Pour la remplir de Dieu, il faut, en effet, commencer par la vider de tout et principalement d’elle-même. Pour qu’elle puisse se conformer à la volonté de Dieu, il faut qu’elle détruise ou qu’elle dompte d’abord, à force de lutte, toutes ses habitudes désordonnées. Tel est précisément le programme formulé dans le titre même des Exercices : Exercitia spiritualia ut liomo vincat seipsum et ordinet vilam suam quin se delerminet ob ullam affeclionem quæ inordinata sit. Long et rude travail, qui occupe la plus grande partie de ces Exercices, qui aboutit au troisième degré d’humilité, et qui prépare de la façon la plus sûre la contemplation finale ad amorem spiritualem. Il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer que le procédé de saint Ignace est absolument celui de saint Thomas, qui s’en exprime avec sa précision ordinaire : Tanto perjectius animus hominis ad Deumdiligendum fertur quanto magis ab affectu temporalium revocatur. S. Thomas, opusc. xviii. De per/ect. vilee spirit., c. 6.

Ce n’est pas que, dans la pensée de saint Thomas et de saint Ignace, il faille attendre à la dernière phase de la vie spirituelle pour faire des actes d’amour ou pour s’inspirer de l’amour, pas plus qu’arrivé sur les hauteurs de l’amour on ne renonce complètement à la pratique de la mortification et des autres vertus chrétiennes. Mais enfin pour s’unir pleinement à Dieu il faut d’abord se déprendre des créatures ; et puisque chaque phase est caractérisée par le but immédiat qu’on y poursuit, avant de vivre d’une vie d’amour il faut vivre d’une vie de renoncement.

De nos jours, une école qui se croyait nouvelle a reproché à saint Ignace de ne pas commencer par l’amour. Elle préconisait une méthode toute différente, qu’elle intitulait « la Voie ». Au lieu d’aller par le renoncement à l’amour, c’est par l’amour qu’elle espérait arriver au renoncement. Cette tentative n’était en réalité que renouvelée. Saint Grégoire le Grand l’avait certainement rencontrée, pour signaler comme il le fait les illusions d’une pareille méthode. Il constate que, sous des apparences de dévotion fort vive, les passions qui n’ont pas été préalablement combattues gardent toute leur force et reparaissent avec violence à la première tentation : Ili iwnnumquam lacrijmas in oratione percipiunt ; sed cum post ora~ tionis tempora eorum mentent superbia pulsaverit, illico in fastu elationis intumescunt ; cum auarilia insligat, mox per incendia avirfic roqilulionis cxœstuant. Moralia, t. XXXIII, c. xxii, P. I.., t. lx.xvi, 700. D’ailleurs la charité ne pourra que difficilement exercer son commandement royal sur les vertus qui dépendent d’elle, si ces vertus n’ont pas été d’avance fortifiées et disciplinées par un effort vigoureux et prolongé, qui su]) pose le renoncement à soi-même. Faute de cet te pi é paration, Cajétan, traitant la question dans son Commentaire de la Somme théologique. Il’1 1’q. ci.xxxii, a. 1, dit qu’on bâtit sur le sable : Ob defectum liujus.