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    1. JÉSUITES##


JÉSUITES. THÉOLOGIE MORALE. TENDANCES

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2° Usant à ce point de l’analyse, la méthode des casuisti’s jésuites est par le fait, comme celle des moralistes de ton-- le>- temps, plus rationnelle que proprement théologique. Les jansénistes et leurs amis le lui ont assez reproché. La morale chrétienne, selon eux, ne (levait emprunter ses règles que de l'Écriture sainte, des maximes des Pères et des canons de l'Église. Il n’y avait, hors de là. que > philosophisme ». Arnauld, De la fréquente communion, l’rél, Œuvres, t. xxvii, p. 99 ; Concilia. Apparalus ad theol., t. I, diss. II, c. ii, n. 7-8 ; c. ni, n. 4-i'> ; c. v. — Avec autant de respect pour l'Écriture et la tradition (Zaccaria, Diss. pro/e ; L, part. Il), les jésuites sentent mieux, d’une paît. l’impossibilité de trouver là tous les éléments d’une morale adaptée à la complexité du réel, et, de l’autre, la légitimité du raisonnement dans l’exposé des règles des mœurs et la solution des cas de conscience. « La raison en est, dirons-nous avec J. Hogan, que presque tous les devoirs de l’homme sont des devoirs naturels. Ils se rattachent, il est vrai, à un ordre plus élevé pour le chrétien, mais ils n’en conservent pas moins tous leurs traits originaux et caractéristiques. Cette doctrine, exposée en différents endroits par saint Thomas Quodl. IV, a. 13 ; Sum. theol., I » II æ, q. cviii, a. 1, est admirablement développée par Suarez, De leyibus, t. X, c. ii, n. 20. Celui-ci remarque judicieusement que même les devoirs particuliers du chrétien découlent naturellement des faits de l’ordre surnaturel, tels qu’ils se sont produits et oni été manifestés à l’humanité. Au delà de ces étroites limites, tout ce que défend l'Évangile est également défendu par la loi naturelle, et tout ce qu’il prescrit dérive de la nature morale de l’homme. Par conséquent, le devoir moral, dans toutes ses parties, relève du jugement humain et lui est soumis, non comme à un arbitre suprême…, mais comme au moyen propre, voulu par Dieu, d’atteindre la vérité morale. » Les éludes du clergé, trad. Boudinhon, Paris, 2e édit., p. 2C2. Cf Caiio, De locis theol., t. VIII, c. vii, concl. 2.

3° Enfin, toute orientée vers le confessionnal, la casuistique se tient systématiquement sur le terrain des obligations auxquelles s'étend le for sacramentel : à ce troisième article de la méthode les auteurs de la Compagnie de Jésus restent aussi d’ordinaire scrupuleusement fidèles. Aux ascètes et aux mystiques les traités de perfection chrétienne, dont la production ne chôme guère dans la Compagnie. Eux, casuistes écrivant pour les confesseurs, se bornent à tracer les limites du devoir, à circonscrire la zone du péché. Que cela sutlise à fournir une règle adéquate de vie morale, ils sont bien loin de l’imaginer. Ils savent qu’en sa qualité de médecin et de guide le prêtre ne doit pas laisser les âmes s’installer délibérément sur cette frontière du permis et du défendu ; mais ils savent aussi que, comme juge, rien ne le dispense de connaître le sens exact des lois de Dieu, rien ne l’autorise à en majorer la portée. Voilà dans quelle pensée ils croient tout à la fois se rendre utiles aux âmes et servir la science des mœurs en distinguant avec soin le domaine des préceptes de celui des conseils. Voir J. Hogan, ibid., p. 289 ; L. Bail, dans Zaccaria, Diss. proleg., part. III, c. i.

Telle a été, durant les deux premiers siècles, la méthode constante des moralistes jésuites. Nous avons cité de préférence Hermann Busenbaum, parce que sa Mrdulla theologite moralis, rééditée environ 200 fois avant de servir de base à l'œuvre de saint Alphonse, peut être regardée comme le manuel type. Mais avant lin Sanchez, Filliucci, Laymann… ; après lui, — et d’ailleurs d’après lui. - Lacroix. Mazzotta, Rcutcr…

s’inspirent exactement des mêmes conceptions. Tout leur effort, redisons-le, va, dans le sens où déjà l’on

travaillai ! avanl eux, a organiser la casuistique en

une discipline scientifique nettement différenciée et

bien homogène, distincte à la fois de la théologie hmlastique et de la théologie ascétique ayant pour objet spécifique l'étude des devoirs du chrétien : bref, à fondre ensemble le contenu pratique de la Somme de saint Thomas et des Sommes de cas de conscience, pour constituer ce cpie nous appelons aujourd’hui,

ce que dès 1591 i [enriquez appelait la théologie monde. Ce long effort devait être couronné dans la personne de saint Alphonse de Liguori, qui, sur la question de méthode, ne di Itère en rien de Busenbaum et de Lacroix.

Après le rétablissement de la Compagnie, 181 I, l’activité de ses moralistes continua de s’exercer dans la même direction. Le compendium de Gury, 1850, où tant de prêtres se sont préparés à entendre les confessions n’est en somme qu’un résumé de saint Alphonse dans le cadre de Busenbaum, véritable

Medulla Alphonsiana. » Plus étendu, plus soucieux de remonter aux sources, plus personnel aussi et par conséquent plus contestable, l’Opus theologicum mortde d’Antoine Ballcrini, publié en 1889-1893 par Palmieri, ne veut être autre chose, au point de vue méthode, qu’un large commentaire de Busenbaum, en parfaite harmonie avec celui de Lacroix. Même formule générale chez Bucceroni, Génicot, Noldin.

Mais, parallèlement à ce grand courant casuistique, une autre tendance s’est fait jour depuis quelques années. Dès le milieu du xixe siècle, sous l’influence peut-être du renouveau thomiste qui caractérise cette époque, divers auteurs avaient cherché, en Allemagne surtout, à donner à la théologie morale une formule plus largement organique, en réintégrant dans son cadre les éléments théoriques et ascétiques que le travail des siècles précédents en avait dissociés. La Theologia moralis de Lehmkuhl, parue en 1883 et souvent rééditée depuis lors, répond à cette pensée. La méthode n’y est certes pas moins rationnelle que dans les ouvrages dont nous venons de parler : au contraire, une plus grande rigueur a été introduite dans le raisonnement, une suite plus logique observée dans le plan, où l’ordre positif du Décalogue, traditionnel depuis le xv° siècle, a fait place à l’ordre aristotélicien des vertus, plus satisfaisant pour l’esprit. Mais on y reconnaît d’autre part la préoccupation très sensible de préparer le prêtre à sa mission de docteur et de directeur autant qu'à son rôle de confesseur, et le souci d’envisager les questions dans une perspective élargie, plus adéquate à la vie chrétienne totale. Le P. Lehmkuhl a exposé ses idées sur la théologie morale dans The catholic Encyclopedia, NewYork, t. xiv, 1912, p. 601. Actuellement cette tendance, qui est celle de la Nouvelle revue théologique, organe des R. P. .Jésuites de Louvain, ne se trouve nulle part mieux représentée que dans le traité de morale, en cours de publication, du R. P. A. Vermeersch, professeur à l’Université grégorienne depuis 1919, après avoir enseigné longtemps au scolasticat de Louvain. Le titre de cet ouvrage, Theologiæ moralis principia, responsa, consilia, est à lui seul un programme.

IV. Esprit de la doctrine moralk.

1° Mentalité îles moralistes jésuites. — Dans son livre De l’existence et de l’institut des jésuites, 1844, c. ni, le P. de Ravignan définil l’esprit doctrinal de la Compagnie de

lisus par « la tendance à garder les droits de la liberté humaine et de la raison. » Cette vue générale, développée par le 1'. Matignon dans une série d’articles (voir la bibliogntphie), est certainement très exacte, mais elle demande a être complétée. On pourrait songer d’autre part au terme d' « anthropocentrisme » dans lequel l’abbé 11. Bremond incline à résumer l’attitude des Jésuites en spiritualité, cette haute morale. Histoire littéraire ilu sentiment religieux, t. iii,