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JÉSUITES. LA CONTROVERSE JANSÉNISTE


rejetaient ou dédaignaient ce dernier ; il fallait, pour les atteindre, insister sur le premier et répondre aux accusations d’innovation ou de corruption doctrinale qu’ils lançaient contre l’Église romaine. La valeur exceptionnelle, exclusive même, qu’ils attribuaient à la Bible, à la parole de Dieu écrite, par opposition à la tradition ou parole de Dieu communiquée et transmise d’abord oralement, imposait aux champions de la doctrine catholique le devoir d’étudier de leur côté et d’approfondir les saintes lettres et les monuments de l’antiquité chrétienne, afin de pouvoir suivre et combattre les autres sur leur propre terrain.

La controverse protestante eut encore une autre influence. Les attaques des novateurs furent si multiples, dans leur objet direct ou dans leurs conséquences, elles entraînèrent tant de problèmes dépassant le champ propre de la théologie scolastique, qu’il fut rigoureusement impossible de les résoudre sans recourir aux diverses branches de la théologie positive, même aux branches purement auxiliaires, comme l’histoire ecclésiastique. Il suffit, pour se rendre compte du fait, de jeter un coup d’œil sur les Conlrcverses de Bellarmin ou sur des cours de théologie plus récents, comme celui des jésuites de Wurzbourg où ces mêmes Controverses ont été si largement utilisées. Cette considération explique et justifie l’ampleur que les théologiens jésuites, guidés par le Ratio sludiorum et par la connaissance des besoins du temps, donnèrent à l’étude des sciences sacrées.

II. COSTROVEESE JASBÉSISTE.

Cette nouvelle lutte eut son prélude dans le baïanisme. Voir Baius, t. ii, col. 04. Beaucoup des propositions que ce théologien soutint à Louvain, en particulier celles qui concernaient la grâce du premier homme et des anges, la justification et le mérite, le libre arbitre, la concupiscence et le péché, étaient si directement en contradiction avec la doctrine commune des théologiens jésuites sur les mêmes points que le baïanisme devait inévitablement trouver en eux des adversaires décidés et irréconciliables. François Tolet, chargé par le pape saint Pie V de porter et de faire accepter à l’université de Louvain la bulle Ex omnibus afjlictionibus, 1 er octobre 1567, qui condamnait 70 propositions, eut l’honneur et la joie de réussir dans cette mission. La soumission des esprits ne fut cependant pas complète. Bellarmin, arrivé à Louvain, en mai 1569, assista pendant quelque temps au cours du célèbre chancelier ; il se rendit si nettement compte de ce que son système avait de périlleux, que, devenu professeur, il profita de toutes les occasions, pour le réfuter, sans toutefois le nommer. Voir t. ii, col. 561. Les divers passages furent réunis ensuite sous ce titre : Sententiæ L). Michælis Baii, doctoris Lovaniensis, a duobus Pontificibus damnalæ et a Roberto Bellarmino rejutatæ, écrit récemment publié dans YAuclarium Bellarminianum, Paris, 1913, p. 314. Un autre grand théologien, Jean Martinez de Bipalda, fit suivre son célèbre ouvrage De ente supernaturali d’une appendice spécial contre le baïanisme : Adversus articulas olim a Pio V, Gregorio XIII et novissime ab Urbano VIII damnalos litri duo, Cologne, 1648 ; édit. Vives, Paris, 1871, t. v, et vi.

Ainsi commencée avec les baïanistes, la lutte devait continuer avec les jansénistes, après l’apparition de l’ouvrage capital de leur chef. Cet ouvrage ne parut que deux ans après la mort de Jansénius, sous ce titre : Augustinus, sire dodrina (suncti) Augustini de humanee naturie sanitate, œgriludine, medicina, adv(rsus pelagianos et massilienses, Louvain, 1640. L’auteur y rééditait, sous le couvert de saint Augustin, la doctrine de Baius, en l’accompagnant de vues particule res sur la nature « le la grâce efficace et de la prédestination, qui ne pouvaient être que souverainement

    1. DICT DE THÉOL##


DICT DE THÉOL. CATHOL.

antipathiques aux théologiens jésuites. L’année suivante, Urbain VIII condamna le livre du double chef, qu’il contenait de nombreuses erreurs renouvelées de Baius et que, malgré les défenses pontificales, il avait remis en discussion des questions relatives à la grâce efficace. Cf. plus haut col. 451. Mais la prohibition de V Augustinus ne mit pas fin à la controverse ; elle devait continuer, d’autant plus âpre qu’au désaccord foncier sur la doctrine se joignirent, en France du moins, des considérations et des éléments d’un tout autre ordre.

Petau fut des premiers à descendre dans l’arène. Aux interprétations arbitraires, il opposa la véritable doctrine des Pères sur la liberté, De libero arbitrio libri très, Paris, 1643 ; puis dans ses Dogmata theologica, il exposa dans un sens nettement contraire aux jansénistes plusieurs questions controversées, par exemple dans le tome i, celle de la prédestination ; dans le tome iv, t. IX, celle de l’existence et de la nature de la liberté en Jésus-Christ, et t. XIV, celle de l’extension à tous les hommes de la volonté de les sauver de la part de Dieu, ou de verser son sang pour eux, de la part de Jésus-Christ. A la même époque, d’autres théologiens soutenaient le même combat, en France et en Belgique : Philippe Labbe, Triumphus catholicæ verilalis adversus novalofes, Paris, 1651 ; Jean Martinon, sous le pseudonyme de Moraines, Antijansenius, Paris, 1652 ; Jean Bagot, sous le nom de Thomaï Augustini, Libertatis et gratiæ christianæ defensio adversus Calvinum et Pelagium in Cornelio Jansenio batavo redivivos, Paris, 1653 ; surtout Etienne Dechamps, De hæresi janseniana ab apostolica sede merito proscripla libri très, Paris, 1654.

Par la bulle Cum occasione, 31 mai, 1653, Innocent X condamna les cinq fameuses propositions de Jansénius, mais les échappatoires inventées par ses disciples, en particulier la distinction qu’ils établirent entre la question de droit et la question de fait, prolongèrent le débat, et la Compagnie de Jésus fournit de nouveaux défenseurs : François Annat, Opuscula theologica ad graliam speclantia, Paris, 1666 ; La doctrine des jansénistes contraire au Siège apostolique et à saint Augustin, Paris, 1668 ; René Rapin plutôt historien et parfois un peu fantaisiste dans ses Mémoires, Paris, 1865, et dans l’Histoire du jansénisme depuis son origine jusqu’en 1644, Paris, 1864 ; Jacques Philippe Lallemant, Jansénius condamné par l’Église, par lui-même et ses défenseurs, et par saint Augustin, Bruxelles, 1705 ; Le véritable esprit des. nouveaux disciples de saint Augustin, Bruxelles, 1706.

De nouveau la lutte reprit à l’occasion de la constitution dogmatique Unigenilus, 8 septembre’1713. Clément XI y condamnait 101 propositions de Quesnel, où se trouvaient allirmées, entre autres choses, l’irrésistible efficacité de la grâce divine et la limitation en Dieu de la volonté de sauver les hommes. Un des principaux défenseurs de cette constitution fut le jésuite belge Jacques Fontana, auteur d’un ouvrage considérable et classique en l’espèce : S. D. N. démentis PP. XI constitutio Unigenilus theologice propugnala, Rome, 1717. Les propositions de Quesnel furent, d’une façon plus succincte, passées au crible de la critique par Dominique Viva, jésuite napolitain, Trulina theologica thesium Quesncllianarum, Bénévent, 1717. Quand, sur la fin du xviiie siècle, le jansénisme joséphiste tenta de pénétrer en Italie, la cause catholique trouva de vaillants champions dans les jésuites de ce pays, Zaccaria, Bolgeni, Muzzarelli, etc.

Comme la controverse protestante, quoique d’une façon moins étendue et moins profonde, la controverse janséniste eut son influence sur le développement de la théologie dans la Compagnie de Jésus, particulièrement dans les pays où la lutte fut plus directe et plus

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