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reçues dans les universités, à plus forte raison s’il était en contradiction avec la foi orthodoxe ; car, lorsque les arguments de ce philosophe ou de tout autre vont contre la foi. on doit prendre soin de les réfuter vigoureusement, suivant la prescription du concile de l.atran. »

Une autre règle tendait à prémunir les maîtres contre les commentateurs d’Aristote qui ont démérité de la religion chrétienne ; il ne faut les lire et les utiliser en classe qu’avec beaucoup de réserve et en veillant à ce que les élèves ne s’y affectionnent point. Même préoccupation dans la règle troisième, qui complète et précise la précédente : « Qu’ils ne s’inféodent pas et n’inféodent pas leurs disciples à une secte quelconque, comme celle des averroïstes, des alexandrins et autres semblables ; qu’ils ne dissimulent pas les erreurs d’Averroès ou des autres, mais qu’ils en profitent plutôt pour diminuer d’autant leur autorité. Au contraire qu’ils parlent toujours de saint Thomas en termes honorables, lionorifi.ee ; qu’ils le suivent de grand cœur, quand il le faut, et dans le cas où son opinion leur plairait moins, qu’ils ne s’en écartent que d’une façon respectueuse et comme à regret. »

Toutes ces règles furent approuvées par les membres de la Ve Congrégation générale et insérées dans les Actes, décret 41 et 56. Elles furent utilisées dans le Ratio studiorum, non pas en bloc, mais par parties. La plupart se trouvent dans les Regulæ communes omnibus professoribus superiorum facullalum, 5, G, dans les Regulæ pru/essoris scholasticæ théologies, 2-5, et dans les Regulæ professoris philosophiæ, 2-6 ; d’autres ont passé dans les règles des supérieurs chargés de diriger et de surveiller les études : Reg. provincialis, 9, § 3 ; Reg. prxfecti studiorum, 4. Enfin, on jugea préférable de s’en tenir aux principes généraux contenus dans ces règles, sans entrer dans le détail des opinions : le double catalogue des Propositions definitx ou libérée, inséré dans la première et la seonde rédaction du Ratio studiorum. disparut de la troisième, seule définitive et officielle.

De tout ce qui précède deux conclusions ressortent nettement. Prise dans son ensemble, cette législation de l’enseignement théologique et philosophique témoigne d’une grande estime pour saint Thomas et d’un attachement à sa doctrine réel, quoique non servile ni exclusif. Des trois attitudes qui ont été signalées ci-dessus, les deux extrêmes furent rejetées ; l’opinion moyenne triompha, mais avec des réserves tendant à prévenir l’abus possible d’une certaine latitude qu’on croyait devoir laisser aux maîtres, pour ne pas les priver du droit commun résumé dans l’adage : In dubiis liberias, et pour ne pas éteindre en eux l’initiative personnelle et la tendance au progrès. La suppression du double catalogue des propositions, dites facultatives ou obligatoires, devait plaire aux partisans de la liberté, mais elle favorisait aussi ceux qui désiraient suivre saint Thomas d’une façon plus étroite.

L’autre conclusion, c’est que la Compagnie de Jésus n’entend pas avoir une t héologie qui lui soit particulière ; elle s’en tient, en général, à la théologie communément reçue, et, plus particulièrement, à la théologie telle qu’elle est enseignée et expliquée par saint Thomas. Les réserves faites e.r professo, au sujet de la conception de Marie et de la solennité des vœux, ne constituaient ni une théologie ni même des opinions qui, ’te époque-là. fussent propres aux théologiens jésuites car depuis longtemps les franciscains et beaucoup d’autres soutenaient l’immaculée conception, et de nombreux canonistes n’admettaient pas la doctrine du docteur angélique sur la solennité des vaux. Il ne saurait donc être question de théologie jésuitique que dans un sens relatif et très impropre, en entendant

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par là certaines doctrines caractéristiques que l’ordre a fait délibérément siennes, à une époque postérieure à la rédaction du Ratio studiorum. L’importance du fait demande qu’on le signale d’une façon précise.

IV. Les directives concernant la doctrine de la grâce. — 1° Le molinisme, comme doctrine officielle dans la Compagnie de Jésus. — Une distinction importante s’impose. Par molinisme on peut entendre, dans un sens général et large, certaines opinions du théologien espagnol, Louis de Molina, qui furent déférées à Rome, puis longuement examinées et discutées ; propositions relatives aux forces de la nature déchue, à la distribution des grâces, à la nature du concours divin, de la prédestination, etc., etc. Pris dans ce sens large, le molinisme n’a jamais été une. doctrine commune et ollicielle dans la Compagnie de Jésus. Si, durant la controverse de auxiliis, les avocats de Molina défendirent les propositions dénoncées, ce fut dans un sens relatif, en repoussant l’accusation d’hérésie ou de pélagianisme portée contre elles ; ce ne fut pas dans un sens absolu, comme s’ils eussent admis au nom de l’ordre toutes ces assertions ; ils convenaient, au contraire, que quelques-unes étaient moins ou peu probables.et Bellarmin aurait volontiers admis qu’on les prohibât. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, p. 24, 179. Plus tard encore, dans l’enquête de 1612-1613, le P. Lancicius conseillait d’éviter celles de ces propositions qui avaient été gravement censurées par les adversaires et que nos théologiens n’avaient défendues que par esprit de charité, quas ex charilate noslri dejenderunl, non quod eas probarent.

Dans un sens spécial, plus restreint, on peut entendre par molinisme le système particulier, proposé par Molina dans le De concordia liberi arbitrii cum gratiee donis, divina preescientia, providenlia, prædestinatione et reprobatione, publié à Lisbonne en 1588 et tendant à concilier l’elRcacité de la grâce avec la liberté humaine C’est là ce que les théologiens jésuites admirent communément et ce que, au début de la controverse de auxiliis, Aquaviva se déclara prêt à défendre au nom de tout l’ordre. Le système comprenait, sous son aspect négatif, le rejet de la grâce dite efficace ab inlrinseco, c’est-à-dire d’une grâce qui par elle-même, par sa propre entité, aurait une connexion infaillible avec la position de l’acte libre, en vertu d’une motion physique qui prédéterminerait la volonté à l’acte voulu et réalisé par Dieu. Sous son aspect positif, le molinisme posait une grâce efficace ab extrinseco, c’est-à-dire en fonction d’un élément extrinsèque, la science moyenne ou connaissance que, dans une antériorité logique à ses décrets absolus. Dieu possède de tous les futurs conditionnels, y compris les actes libres que les créatures poseraient si elles se trouvaient placées sous l’influence de telle ou telle grâce, dans telles ou telles circonstances.

Les deux systèmes en conflit entraînaient des divergences multiples dans la manière de concevoir, non seulement l’efficacité de la grâce et l’adhésion de la volonté libre, mais encore la nature du concours divin en général, le jeu et les forces de la volonté créée, considérée en elle-même ou dans son exercice, etc., divergences énumérées, au cours de la controverse, dans un écrit qui fui présenté à Paul Y, voir Astram, op. cit., t. iv, p. 800, et qui lui plut beaucoup, au témoignage du cardinal de Lugo dans un traité inédit De gratia.

D’où vient l’adhésion commune des théologiens jésuites au molinisme, dans le sens qui vient d’être précisé ? Peut-on [’attribuer exclusivement a une réaction d’ordre corporatif, qui aurait été provoquée par les attaques portées contre le livre’le Molina et par L’âpre controverse qui s’ensuivit ? Les faits s’opposent

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