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JÉRÉMIE. L’AVENIR MESSIANIQUE


sans doute sont ceux qui les entendent de l’Incarnation du Verbe, au sens d’Isaïe, vii, 14, depuis saint Jérôme jusqu’aux modernes, Knabenbauer, Trochon, Fillion, en passant par saint Bernard, saint Thomas, saint Bonaventure, Corneille de la Pierre, Estius. Mais il ne saurait être ici question d’invoquer en faveur de cette interprétation une tradition patristique. Si l’on excepte saint Jérôme, en effet, qui volontiers dans sa traduction renforçait la note messianique (cf. son commentaire sur Jérémie à ce passage, P. L., t. xxiv, col. 880-881), on ne peut l’établir. Les Pères grecs ne pouvaient guère découvrir l’Incarnation du Verbe dans le texte des Septante, et saint Athanase même, après citation et commentaire de ce texte, se contente de reproduire la version d’Aquila, qu’il entend sans doute dans le sens de la conception virginale du Seigneur, mais sans se prononcer aucunement sur la valeur respective des deux traductions, P. G., t. xxv, col. 205. C’est bien à tort donc que l’on en fait trop souvent le témoin d’une tradition, qui ne peut davantage revendiquer l’autorité des Pères latins antérieurs à saint Jérôme, lesquels utilisaient les anciennes versions latines, dérivées des Septante. Les passages de saint Cyprien et de saint Augustin, ainsi que de quelques autres écrivains ecclésiastiques, invoqués en faveur de cette même tradition ne sont pas à retenir, faute d’authenticité (Cf. Condamin, loc. cit., p. 399-403). La tradition juive enfin, malgré le groupement de certains textes rabbiniques, n’est pas suffisamment nette pour apporter ici son témoignage. S’il n’existe donc pas de tradition patristique au sujet de l’interprétation de Jer., xxxi, 22, il n’existe pas davantage d’unanimité parmi les exégètes. Faisons d’abord abstraction de ceux qui se croyaient liés par une tradition dont ils n’osaient s’écarter, comme Sanchez. A côté de ceux-ci, nombre de commentateurs catholiques pensent que les termes mêmes du texte ne suggèrent en aucune façon l’idée de l’Incarnation du Verbe dans le sein virginal de Marie, et en cherchent une autre explication, ainsi dom Calmet, le P. Houbigant, L. Beinke et plus récemment Touzard, Condamin. « Aucun des trois mots du texte, fait remarquer ce dernier, ne paraît comporter le sens qui lui est ici prêté (par saint Jérôme) : a. Femina : ce n’est pas vierge, mais tout au contraire napJ,

c’est-à-dire la femme désignée par unjmot qui marque spécialement le sexe dans un sens peu favorable a la virginité. — b. circumdabit : le verbe hébreu aaion,

pas plus que le latin, ou le français entourer, environner ne signifie porter dans son sein. — c. virum, iaj,

T

signifie mâle, et en général homme, parfois mari, ou homme vaillant, mais jamais le Messie. » Condamin, op. cit., p. 227.

L’idée de conception virginale du Messie ainsi écartée, il reste à fournir une autre explication du texte. Voici celle qui est ordinairement proposée. Dans le contexte il s’agit manifestement de la période messianique dont une des caractéristiques serait précisément cette chose nouvelle, à savoir qu’Israël si souvent semblable à l’épouse Infidèle, entourera désormais de ses bras Iahvé, son époux, et ne voudra plus se séparer de lui. Après tanl d’infidélités, maintes fois reprochées par les prophètes et plus particulièrement par Jérémie, ii, 2, 20-25 ; iii, 8 ; i, 2 ; après tant d’appels divins au retourde l’épouse adultère, jusqu’a lors demeuré8 sans écho, pareille conversion est vrai ment chose extraordinaire, chose nouvelle. La version syriaque en traduisant l’hébreu par : la femme aimera tendrement, semble adopter ce sens. L’emploi des mots femina circumdabit virum pour exprimer cette

idée trouverait son explication dans le langage

prophétique fréquemment employé pour signifier les

relations de Iahvé et de son peuple. Cette interprétation toutefois, bien qu’en harmonie avec l’ensemble du passage, ne laisserait pas que de forcer quelque peu le sens des mots du texte. C’est pourquoi l’on a cherché, et c’est sans doute la meilleure solution du problème, à corriger ce texte lui-même. Déjà le P. Houbigant, après avoir rejeté l’opinion de ceux qui credunt hsec verba in virginem Deiparam convenire, proposait la lecture : mai 1 ? ai » n napi, uxor redibil ad virum suum, nimirum Synagoga ad Deum ; qui reditus in prodigii loco jure habebitur, postquam Judsei toi sœculis a Deo suo Messia alienali fuerint. Biblia hebraïca cum notis crilicis, Paris, 1753, t. iv, p. 290. Cette correction est regardée comme probable et admise avec une légère modification par le P. Condamin, op. cit., p. 228. M. Touzard pense également qu’il faut entendre « la phrase très diificile » de Jérémie du « zèle sans précédent avec lequel le peuple s’attachera à Iahvé, considéré comme son époux. » Revue biblique, 1919, p. 28.

IV. NOTION DU PROPHÈTE DE IAHVÉ.

Jérémie,

constamment en butte aux contradictions de ses contemporains, mais plus particulièrement des prétendus prophètes, est obligé à différentes reprises, de défendre son œuvre en en rappelant l’origine et la nature. De l’ensemble de ces passages, se dégage un enseignement très complet sur le prophétisme en Israël. « Si l’on veut comprendre ce qu’est" un prophète de l’Ancien Testament, il faut l’étudier surtout dans le livre de Jérémie. On y verra la mission surnaturelle du prophète nettement caractérisée : la vocation irrésistible pal laquelle Dieu choisit et désigne librement le porteur de sa parole ; les révélations dont l’origine est manifeste pour l’âme qui les reçoit ; une force surhumaine soutenant le prophète dans son redoutable ministère, sans l’empêcher cependant de courir maints dangers, de subir de mauvais traitements, d’éprouver de nombreux déboires ; la condamnation rigoureuse des contrefaçons de la prophétie ; la distinction parfaitement tranchée entre les vrais prophètes, envoyés par Iahvé et prêchant sa parole, et les faux prophètes qui s’ingèrent dans les mêmes fonctions sans mission, sans mandat, prôneurs de leurs propres idées sous le titre usurpé de « parole de Iahvé » i, ii, 8, 20, 30 ; v, 13, 31 ; vi, 13 ; xiv, 13-16 ; xv, 15-21 ; xx, 7-13 ; xxiii, 9-40 ; xxvi, 12-19 ; xxvii, 16 ; xxvin ; xxix, 20-32 ; XXXVI, 1-3, 27-32 ; xxxvii, 18 ; xlii, 7. » Condamin, op. cit., p. xxxv. Particulièrement importants sont les ꝟ. 1-13 du c. xx pour démontrer contre le rationalisme le caractère surnaturel de l’inspiration et des révélations dont est favorisé le prophète qui a nettement conscience de parler au nom de iahvé. Cf. Condamin, La mission surnaturelle des prophètes, dans Études, 5 janvier 1909. Non moins importants les chapitres xxvii à xxix où la lutte contre les faux prophètestament le véritable envoyé de Iahvé à affirmer l’origine divine de sa vocation et de sa mission contre les usurpateurs d’un rôle qu’ils n’ont pas reçu de Dieu.

I. — PitiN.iiu COMMENTATEURS. — 1° Catholiques. — Origène, Homélie.-. XX, sur Jérémie i-xx, édit. Klostermanm, dans le Corpus de Berlin, Origène, t. iii, 1901 et dans P. G., t. iii, col. 256-534 ; traduction latine par S. Jérôme, P. L., t. xxv, col. 585-692 ; Théodoret, Commentaire, P. (.’., t. i.xxxi, COl. 495-760 ; S. Kplircm, Commentaire de Jérémie, édition romaine, syro-latine. 1740, t. n ; S..Jérôme, Commentartorum in Jeremtam prophetam libri sex, P. L.,

I. i, col. B79-900 (Les : 12 premiers chapitres seulement) ;

W.Strabon, Glossa ordfn. tn Jerem., P. L., t. c.xiv.col. 9-63 ; Haban Maur, Expositionel super Jeremtam prophetam libri otglntt, P. L., t. exi, col. 793-1182 ; Rupert de Deutz, In Jeremtam prophetam commentarlorum itber uni », P. L., t. (i.xvii, col, 1363-1420 ; S. Thomas d’Aquin, In

Jeremtam prophetam expositio (s’arrête au cours du C. xi.n) ;