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[SAIE, LE SERVITEUR DE JAHVÉ

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a. L’exégèse Juive n’abandonna le sens messianique qu’au moyen âge, par suite des controverses avec les chrétiens, comme le reconnaissent les plus célèbres rabbins, Kimchi, Abarlianel, etc. Les uns, marchant sur les traces de certains juifs du temps de saint Jérôme, maintinrent le sens individuel, mais l’appliquèrent à un personnage autre que Jésus, à Isaïe par exemple ; mais la plupart virent dans le serviteur une personnification du peuple d’Israël. Anciennement ils aimaient à voir le Messie dans le serviteur de Jahvé, au moins dans quelques passages. Le Targum interprète dans le sens messianique, xlii, 1 ; lii, 13 ; lui, 10. Il est à remarquer toutefois que ce qui est dit des souffrances du serviteur est appliqué au peuple.

Le Nouveau Testament identifie certainement le serviteur et le Messie, car il en applique les principaux traits à Xotre-Seigncur. Que l’on compare Is., xlii, 1-4 et Matth.,

. 18-21 ; Is., xlii, 6 et Luc, ii, 32 ; Is., xlii, 7 et Matth., xi, 5 ; Is., Xlix, 2 et Apoc, xix, 13, 15 ; Is., l, 6 et Matth., xxvi. (57 : Is., lui et Matth., viii, 17 ; Marc, xv, 28 ; Luc, xxii, 37 ; I Petr., ii, 21-25, etc. L’interprétation des Pères est unanime à reconnaître dans les chants du serviteur, surtout dans le chapitre lui, une prédiction de l’œuvre et de la passion de Jésus-Christ, et personne, dit Hengstenberg, à part Seidel et Grotius, dans l’Église chrétienne pendant dix-sept siècles n’a mis en question l’exégèse messianique de ces passages. On les célébrait comme le cinquième Évangile, comme l’Évangile de la Passion d’après Isaie. Il est vrai qu’on a parfois expliqué, dans le sens littéral, xui, 1-7 de Cyrus (encore Meignan), xlix, 1-6 du peuple (saint Thomas), l, 4-9 d’Isaïe (saint Jean Chrysostome, saint Thomas) mais on s’empressait d’ajouter que Cyrus, Isaïe et le peuple étaient des figures du Messie. Ce n’est que vers la fin du xviiie siècle que l’exégèse indépendante commença à abandonner le sens messianique qui impliquait une prophétie. On retourna au sens collectif, introduit par les juifs, ou bien, si l’on maintint encore le sens individuel, on en chercha l’explication dans quelque personnage du passé. On se préoccupa aussi de dissimuler le préjugé rationaliste qui servait de base à la nouvelle exégèse sous des considérations empruntées au texte et au contexte des chants du serviteur.

b. Le portrait du serviteur ne convient à aucun personnage différent du Messie. On a essayé en vain de le reconnaître dans Moïse, David, Osias, Ézéchias, Isaïe, Jérémie, Josias, Zorobabel, Jécbonias, etc. En désespoir de cause, Duhm a ressuscité l’hypothèse du martyr anonyme suggérée par Ewald. Pure conjecture aussi de supposer avec Sellin que le prophète voulait bien décrire la mission et l’œuvre du Messie, mais qu’il reportait en fait ses espérances messianiques sur un de ses contemporains, soit Zorobabel, soit Joiakhin. C’est tout simplement lerôledu Messie futur, sans autre détermination, que l’écrivain a contemplé et décrit dans ses tableaux prophétiques.

Les fonctions que les chants assignent au serviteur sont messianiques : Il sera le restaurateur de son peuple et inaugurera une ère de prospérité inouïe. Il ne se laissera pas abattre jusqu’à ce qu’il ail établi le droit

sur la terre. Il portera le salut de Jahvé Jusqu’aux connus du monde, il fera connaître la loi aux nations el Interprétera le droit selon la vérité, il sera la lumière

des nations et le fondement d’une alliance nouvelle 11 consolera toutes les peines, guérira toutes les in linn il es, rendra la vue aux aveugles, la libellé aux prisonniers la lumière a ceux qui sont dans lis ténèbres, etc. Ci’sont i’en là les notes dont les prophètes se servent pour Caractériser les temps messianiques ; ce sont celles que nous avons rencontrées dans un passage éminemment

messianique, le chapitre xi d’Isaïe.

Que l’œuvre du serviteur soit décrite comme pré sente, ou même comme passée, cela ne doit pas trop nous étonner ; le prophète agit ainsi pour la représenter et la dépeindre plus vivement. Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple que nous rencontrions dans les prophéties messianiques. L’enfant aux noms merveilleux, chanté par Isaïe au chapitre ix, est présenté de la même façon : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l’empire a été posé sur ses épaules, etc. C’est beaucoup moins encore un phénomène propre aux passages concernant le serviteur, que de représenter comme étroitement unies, dans l’œuvre du Messie, la délivrance de l’exil et la restauration messianique. L’ère messianique n’est-elle pas rattachée à la délivrance du péril assyrien dans la première partie d’Isaïe et dans la prophétie de Michée ? Ce phénomène se rencontre à chaque pas dans les oracles messianiques.

Il est plus étonnant à première vue, que le Messie, décrit sous les traits du serviteur, ne soit jamais présenté comme le fils de David, le roi des temps futurs. On s’est même demandé si, dans ces conditions, le serviteur était bien le Messie, s’il n’était pas plutôt une figure parallèle à celle du Messie. Nous croyons qu’il est plus exact de dire que le prophète nous décrit ici un aspect nouveau du rôle du Messie. Jusqu’ici, le Messie avait été présenté comme un roi davidique, procurant à son peuple le salut, la prospérité et la paix, inaugurant une alliance nouvelle, faisant régner sur la terre la justice et la vérité. Toutes ces notes se retrouvent dans la seconde partie d’Isaïe, mais en même temps, le prophète pénètre plus profondément le comment de l’œuvre du Messie, il nous en dévoile des aspects nouveaux, intimes, insoupçonnés. Le portrait du Messie ne s’élabora que lentement, tous les prophètes y ont apporté leur trait, il faut les rassembler pour l’avoir dans sa perfection. Ici donc, nous apprenons à connaître le côté douloureux de l’œuvre du Messie et le caractère rédempteur de ses souffrances. Ce salut, cette paix, cette justice, que le Messie doit procurer à son peuple et au monde, ne s’obtiendront que par la passion et par la mort du héros. Ce sont ces épreuves imméritées où le juste se substituera aux coupables, qui nous vaudront le pardon et la paix et toutes les bénédictions du ciel : Le Testament nouveau sera scellé dans le sang : Hic est sanguis meus Novi Testamenti… Dans ces conditions, on s’explique quelque peu que le prophète, voulant avant tout nous présenter le tableau des humiliations et des souffrances du Messie, ne se soit pas cru obligé d’insister particulièrement sur sa royauté et sa descendance davidique. Ces attributs nous étaient suffisamment connus. Us sont d’ailleurs implicitement rappelés dans la description de l’œuvre du serviteur : nous avons noté le parallélisme entre l’œuvre du serviteur et celle du Fils de David, du rejeton de Jessé, aux chapitres ix et xi d’Isaïe ; et au chapitre lv, 3-4, en décrivant la nouvelle Jérusalem, comblée de gloire par l’œuvre du serviteur, le prophète déclare que dans la nouvelle alliance, les promesses faites à David s’accompliront : « Et je conclurai avec vous un pacte éternel : c’est la faveur assurée à David. Voici j’ai fait de lui un témoin pour les peuples, un chef et un maître des peuples, u

c. Les chants du serviteur développent d’une façon émouvante la doctrine de la solidarité entre le Messie el ses frères, de la satisfaclio vicaritie ! de la substitution de l’innocent aux coupables. Par ses abaissements, ses souffrances et sa mort, le serviteur expie les crimes de ses frères ; il les conduit à la glorilical ion.qu’il s’est

acquise pour lui-même par ses humiliations, ("cite doctrine que les Évangiles n’ont pas dépassée, saint Paul l’exposera dans toute son ampleur, et en déduira toutes les conséquences pour la vie chrétienne. Mais

les théologiens, les prédicateurs, les auteurs mystiques, continueront à moissonner dans le champ d’Isaïe, dit