Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

67

[SAIE, LE SERVITEUR DE JAHVÉ

68

vérités suivantes : la transcendance de Jahvé, le Dieu d’Israël ; le Médiateur du salut spirituel et son œuvre rédemptrice ; les conditions, les destinataires et la consommation du salut. La transcendance de Jahvé apparaît surtout dans la première section xl-xlviii, qui la met dans un contraste saisissant avec l’impuissance et le niant des dieux des nations. L’œuvre du Médiateur occupe le centre de la seconde section, xi-ix-lv, i.x-lxii : le fruit de ses souflrances, c’est la réconciliation du monde pécheur. Les conditions d’accès au salut : la conversion sincère, le repentir, la justice ; et les perspectives d’allégresse sans fin qu’ouvre la délivrance, font surtout l’objet des exhortations et des descriptions de la troisième section, lvi-lix, lxiii-lxvi. Le monothéisme, le messianisme et l’universalisme, ces trois dogmes fondamentaux de la religion juive, que la seconde partie d’Isaïe inculque avec tant d’insistance, mettent ce recueil au premier rang des compositions religieuses de l’Ancien Testament. Nous ne pouvons nous arrêter à l’examen de toutes ces doctrines, mais nous devons cependant étudier de plus près les passages relatifs au serviteur de Jahvé, qui constituent le point culminant de la seconde partie d’Isaïe.

Les chants du Serviteur de Jahvé. — 1. Applications diverses du titre de Serviteur de Jahvé. — Le titre de serviteur de Dieu ou de Jahvé revient très souvent dans l’Ancien Testament, abstraction faite du livre d’Isaïe. Il est d’ordinaire donné à des individus, parfois au peuple d’Israël. Abraham, Gen., xxvi, 24, Isaac et Jacob, Deut., ix, 27, Moïse, Ex., xiv, 31 ; Num., xii, 7 ; Deut., xxxiv, 5 ; Jos., i, 1 ; xiii, 8 ; Ps., cv, 2C, Caleb, Num., xiv, 21, Josué, Jos., xxiv, 29 ; Jud., ii, 8, David, II Reg., vii, 8 ; Is., xxxvii, 35, Isaïe, xx, 3, Eliacim, Is., xxii, 20, Job, i, 8, Daniel, vi, 20, les prophètes en général, Ain., iii, 7 ; Jer., vii, 25 ; xxv, 4 ; etc., Nabuchodonosor, Jer., xxv, 9 ; xliii, 10 ; xxvii, 6, les anges, Job., iv, 18, le roi messianique de l’avenir, Ez., xxxiv, 23-24 ; xxxvii, 24 ; Zach., iii, 8, le reçoivent tour à tour. ()n a soutenu qu’on ne trouvait aucun texte, en dehors d’Isaïe, oï) les termes « serviteur de Jahvé » soient appliqués au peuple d’Israël. C’est exagéré. Dans Jérémie xxx, 10 ; xlvi, 27 ; Ézéchiel, xxviii, 25 ; xxxvii, 25, où Jahvé parle de son serviteur Jacob qu’il va ramener de l’exil, il s’agit bien du peuple d’Israël.

Dans la seconde partie d’Isaïe, nous rencontrons certainement un texte, xliv, 20, où les prophètes sont appelés serviteurs de Jahvé : a J’accomplis la parole de mes serviteurs, et j’exécute le conseil de mes cnvoyés. > J.e texte massorétique devrait littéralement se traduire : « Je suis Jahvé… qui tiens la parole de son serviteur, » mais le parallélisme avec le membre suivant « qui exécute le conseil de ses messagers, » montre clairement qu’il faut lire aussi le pluriel dans le premier membre, comme l’ont fait lesLXXct leTargum. Quelques critiques croient aussi que le serviteur de Jahvé représente les prophètes dans xi.n, 19, et proposent de traduire : quia cæcus niai ad quem servum meum, et quis surdus nisi ad quem nuntium meum milto. La Vulgate a compris qu’il s’agissait des prophètes, dans le second membre, en traduisant : et surdus, uisi ad quem nuntios meos tntsi. Or, si le messager représente les prophètes, le serviteur doit les désigner aussi ; d’aul le part, il n’est pas i » >ssiiile qu’Isaïe appelle aveugles et sourds, des prophètes comme lui, et le contexte, 18, 20, prouve

d’ailleurs que c’est le peuple qui est aveugle et sourd.

Ainsi se Justifie la traduction proposée : Qui est aveuglt comme celui vers qui J’envoie mon serviteur, sourd comme celui er. (pu J’envoie mon messager ? Cette traduction serait légitime, s’il étall vraiment prouvé que le messager et le serviteur doivent désigner les prophètes Mais pourquoi le messager ne pourrait-il pas être le peuple d’Israël, destine par Dieu a une mission

spéciale ? Le messager et le serviteur désigneraient alors Israël à qui Ton reprocherait son aveuglement et sa surdité. Remarquons encore que le f 19b ne se prêle pas à la traduction proposée : « Qui est aveugle comme mon familier, aveugle (sourd ?) comme le serviteur de Jahvé ? » Aussi les partisans de l’interprétation que nous discutons proposent-ils de considérer 19b comme une glose, un doublet de 19 ». Les LXX entendent xlii, 19 du peuple et de ses chefs : « Qui est aveugle, si ce n’est mes serviteurs, qui sont les sourds, en dehors de ceux qui les dominent ? Et les serviteurs de Dieu ont été aveuglés. » Nous rangeons xlii, 19 parmi les passages où le serviteur de Jahvé représente le peuple d’Israël. Il en est de même de xliii, 10 : « Vous êtes mes témoins, déclare Jahvé, et mon serviteur que j’ai élu, où il n’y a pas lieu de voir dans le serviteur un personnage distinct des témoins : c’est le peuple d’Israël qui est témoin et serviteur de Jahvé.

Les Israélites sont nommés, au pluriel, les serviteurs de Jahvé, dans lxiii, 17 ; lxv, 8, 9, 13-15 ; lxvi, 14. Dans lvi, 6, ce sont les lils de l’étranger qui se sont attachés à Jahvé, qui seront aussi ses serviteurs. Le peuple Israël-Jacob est désigné par le titre de serviteur de Jahvé, au singulier, dans les passages suivants : xli, 8 ; xlii, 19 ; xliii, 10 ; xliv, 1, 2, 21 ; xlv, 4 ; xi.vm, 20. Il le serait aussi, d’après le texte actuel, dans xlix, 3 : « Il m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël, en qui je me glorifierai. » Mais le mot Israël est considéré, avec raison, par beaucoup de critiques, Michælis, Gescnius, Klostermann, Duhm, Sellin, Ley, Condamin, et d’autres, comme une glose : a) Ce vocatif est peu vraisemblable dans la bouche du serviteur rapportant les paroles qui lui sont adressées, b) Il est très invraisemblable dans le contexte où l’œuvre du serviteur a pour objet Israël, c) Israël apparaît ici d’une façon tout à fait inattendue ; dès le commencement, le sujet est supposé parfaitement connu et déterminé, d) Il est souvent question d’Israël commescrvileur, un lecteur aura cru que c’était encore le cas ici. On cite d’ailleurs un manuscrit qui n’a pas ce mot. Les LXX oflrent un exemple semblable pour xlii, 1, où ils ont tout simplement ajouté : Jacob est Israël, e) Quand il est fait mention d’Israël comme serviteur, Jacob est toujours nommé dans le second membre, xli, 8, xliv, 1, 21, xlv, 1. /) La mention d’Israël rompt le parallélisme des deux membres. Il est possible que primitivement se soit trouvé, ù la place d’Israël, un autre mot se rapportant au second membre, par exemple « mon élu ». Nous ne comptons jias xlix, 3 parmi les passages où le serviteur désigne le peuple d’Israël.

2. Le Serviteur de Jahvé par excellence.

Après ce relevé, il ne reste plus que quatre morceaux, d’un caractère poétique et hymnique bien marqué, qu’on a appelé les chants du serviteur, et où il s’agit d’élucider le sens et la portée de l’expression « Serviteur de Jahvé n.Ce sont xlii, 1 sq., xlix, 1 sq., L, 4 sq., lii, 13liii. Nous ne pouvons faire ici l’histoire de l’exégèse de ces fameux passages. Nous ne pouvons même songer à un exposé complet « le l’état actuel des débats, mais nous empruntons ù M. Van Hoonacker, L’Ebed Jahve, dans la Revue biblique, 1909, p. 497-498, un résumé des principaux points en litige. « l.e serviteur visé dans ces passages est-il un personnage individuel, comme il parait au permier abord ; ou convient-il d’y voir plutôt

une Simple personnification d’Israël, considère à tel ou tel point de vue comme il plaît à plusieurs critiques, qui allèguent à l’appui de leur interprétation d’autres textes de la même section d’IsaleOÙ Israël est en effet appelé le Serviteur de.lulwe ? Ne serait il pas au moins dans l’un ou l’autre cas, préférable d’y reconnaître une personnification de l’ordre des prophètes) Dans l’hypothèse que l’on s’arrête à l’interprétation « individualiste c, le personnage en vue est-il le même dans les