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JEAN XXII ET LOUIS DE BAVIÈRE


autrement grave mit bientôt aux prises le Saint-Siège non plus avec un petit troupeau d’exaltés, mais avec l’ordre presque entier des franciscains. Il fut provoqué par l’examen, en consistoire, de la question suivante : « Est-il hérétique de nier avec obstination que Jésus-Clirist et les apôtres aient jamais rien possédé ni en commun, ni en propre’.' » La bulle Quia nonnunquam du 26 mars 1322 permit de discuter sur ce sujet, contrairement aux prescriptions de Nicolas III. Cf. Eubel, Bullarium Franciscanum, t. v, p. 224, n. 464. Il sembla aux franciscains que le pape voulait contester la doctrine qui leur était chère et qui paraissait avoir été consacrée tant par Nicolas III que par Clément V et même par Jean XXII, dans les constitutions Exiil qui séminal, Exivi de paradiso et Quorumdam exigil. lui un mot, ils crurent qu’on mettait en doute la doctrine de la pauvreté totale du Christ, qui formait, selon eux, comme la base de leur règle. Le chapitre général, réuni à Pérouse le 30 mai 1322, prévint la décision pontilicale. Le 4 juin, le chef de l’ordre, Michel de Césène, publia une lettre destinée à la chrétienté ; cf. Baluze-Mansi, Miscellanea, t. iii, ]>. 208. On y établissait que Jésus et le collège apostolique n’avaient rien possédé soit collectivement, soit particulièrement. Jean NX1I eût pu frapper les auteurs de l’audacieuse circulaire qui paraissait lui faire la leçon. Il se contenta de révoquer les clauses de la constitution Exiit qui séminal qui attribuaient la propriété des biens meubles et immeubles des frères mineurs à l’Église romaine et qui laissaient à ceux-ci le simple usage : bulle Ad conditorem canonum du 8 décembre 1322 ; cf. Eubel, Bullarium Franciscanum, t. v, p. 235, voir la note. La décision ponti ficale provoqua une réponse que donna en plein consistoire le frère Bonagratia, de Bergame. L’orateur produisit une impression réelle sur Jean XXII. La bulle Ad conditorem canonum fut retouchée et publiée sous la date du 8 décembre 1322 ; cf. Eubel, Ibid., t. v, p. 233, n. 485. Elle conserva à l’Église romaine la propriété des biens autres que les choses fongibles. Cette demi-mesure ne satisfit pas les mineurs, qui ne pouvaient plus se prétendre de vrais et de complets mendiants. La bulle Cum inter nonnullos, 12 novembre 1323, leur porta un coup plus cruel. Elle condamnait comme hérétique l’opinion d’après laquelle le Christ et les apôtres n’avaient rien possédé soit en propre, soit en commun, c’est-à-dire la thèse soutenue au chapitre général de Pérouse et exposée dans la circulaire du 4 juin 1322. Cf. Baluze-Mansi, Miscellanea, t. m. p. 221 ; Mollat, Lettres communes de Jean XXII, n. 20 406 ; Eubel, op. cit., t. v, p. 256, n. 518.

Dès l’abord, des fâcheux essayèrent de montrer qu’il y avait contradiction entre l’enseignement du pape et celui de son prédécesseur, Nicolas III. La bulle Exiit qui séminal n’avait-elle point établi que le Christ et le collège apostolique avaient pratiqué la pauvreté individuelle ou commune, e’que leur conduite était l’idéal proposé aux âmes éprises île perfection ? En réa lité, la contradiction n’était qu’apparente. Jean XXII condamnait seulement ceux qui refusent au Christ le droit de posséder.mais il admettait que le Sauveur avait renoncé à ce droit. D’autre part, tout en préconisant le renoncement au droit de propriété comme un moj eu de perfection, Jésus ne s’était point interdit à lui-même la possibilité des acquêts ou des ventes. Nicolas III avait de même, dans la constitution Exiit qui séminal, distingué entre les (envies de perfection et les actions de la masse humaine. La bulle Cum inter nonnullos parait au danger de confondre les unes et les autres, erreur dans laquelle étaient tombés certains frères mineurs qui faussaient renseignement de l’Église.

lis décisions pontificales, incomprises, déchaînèrent des troubles violents parmi les franciscains

A plusieurs elles semblèrent consommer l’apostasie de l’Église officielle. Aussi ces révoltés s’empressèrent de se réfugier à la cour de Louis de Bavière qui était en lutte avec le Saint-Siège. Sous leur inspiration fut rédigé l’appel dit de Sachscnhausen. 22 mai 1324, qui contenait ces mots : La méchanceté du pape s’attaque jusqu’au Christ, jusqu’à la très sainte Vierge, jusqu’aux apôtres, à tous ceux dont la vie a reflété la doctrine évangélique de la parfaite pauvreté. Sept papes ont approuvé la règle révélée par Dieu à saint François, et que, par les stigmates, le Christ a comme scellée de son sceau ; mais cet oppresseur des pauvres, cet ennemi du Christ et des apôtres, cherche par la ruse et par le mensonge à anéantir la parfaite pauvreté. Cf..1. Schwalm, Constitutiones et acla publica imperatorum et région, Hanovre, 1913. t. v, n. 909-910. Les bulles Ad conditorem canonum et Cum inter nonnullos, prétendait -on, ne pouvaient être l’œuvre que d’un hérésiarque ; partant Jean de Cahors

— ainsi traitait-on le pape — cessait d’appartenir au corps de l’Église et perdait la tiare

La constitution Quia quorumdam, du 10 novembre 1324, fut destinée à dissiper toute équivoque ; cf. Eubel, Bullarium Franciscanum, t. v, p. 271, n. 554. Jean XXII démontra longuement, à la lumière de l’Évangile et des bulles de ses prédécesseurs, que Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV, Alexandre IV et Nicolas III n’avaient pas promulgué de définition dogmatique touchant la pauvreté évangélique ni défini que le Christ eût joui du simple usage de fait, après avoir renoncé à toute propriété. La bulle se terminait par cette définition très explicite : « Sera considéré comme hérétique quiconque soutiendra que Jésus-Christ et ses apôtres n’eurent sur les choses dont ils se servirent qu’un simple usage de fait ; on en pourrait induire, en effet, que cet usage fut illicite, ce qui serait une conclusion blasphématoire. >

L’énergique protestation du pape produisit un résultat appréciable. Si certains mineurs grossirent les rangs des courtisans de Louis de Bavière, leurs chefs, en majorité, soit par feinte, soit avec sincérité, se rallièrent autour de Jean XXII. Le ministre général Michel de Césène, compromis par ses agissements et ses violences de langage, fut appelé en Avignon, afin de s’y justifier. Malgré la défense du pape, il s’évada dans la nuit du 26 au 27 mai 1328 et, en compagnie de Bonagratia de Bergame et de Guillaume Ockam, il se rendit prés de Louis de Bavière, alors en Italie I les fugitifs adhérèrent au parti de l’antipape Nicolas V, le frère mineur l’ietro Bainallucci, originaire de Corvara.

Michel de Césène, quoique déposé de sa dignité de ministre général, n’en continua pas moins une guerre de plume perfide contre le Saint-Siège. Jean XXII exposa une dernière fois la doctrine sur la question de la pauvreté, dans la bulle Quia vir reprobus, du 16 novembre 1329. Eubel, t. v, p. 408, n. 820.

I.e droit de propriété est, d’après lui, de droit divin. établi par Dieu en faveur de nos premiers parents. lai tant que personne de la sainte Trinité, le Christ est maitre de tout, quoique, comme h mme, il ail voulu vivre pauvre. Quant aux apôtres, le Sauveur leur défendit de rien demander quand il les envoya

annoncer la bonne nouvelle. L’Évangile prouve

cependant que, dans la suite, ils possédèrent des aliments ou en achetèrent. Lors de l’arrestation du Maître n’avaient ils pas deux épées ?

III. Jean XXII et Louis de Bavièhe.

On ne sainait trouver ici un exposé du conflit qui mil aux prises l’Église et l’Empire, au cours du xiV siècle Il sullira de rappeler les causes qui le motivèrent et d’insister sur le débat d’ordre théologique qui en découla.