Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/289

Cette page n’a pas encore été corrigée
559
560
JEAN SAIN1. DOCTRINE GÉNÉRALE DU QUATRIÈME ÉVANGILE


milieu imprégné d’hellénisme où il vécut, et s’en servir pour exprimer sa propre foi, qui s’enrichissait d’ailleurs et s’approfondissait sans cesse par son expérience personnelle de la vie avec le Christ, sous l’action illuminatrice de l’Esprit de Dieu ? « Le disciple bien-aimé avait de sou Maître une idée si profonde, si haute qu’il reconnaissait dans les données fragmentaires de la révélation juive, palestinienne ou alexandrine, des ébauches du grand mystère que Dieu lui avait plus clairement révélé ; prophète, évangéliste, apôtre, il reprenait ces vieux oracles, non en disciple, mais en maître ; et de la lumière du Christ, dont il était lui-même pénétré, il illuminait et transfigurait toutes ces théologies jusque-là obscures. » Lebreton, article cité, p. 244.

IV. Conclusion.

Est-il bien difficile dès lors de concilier les traits qui donnent au quatrième évangile une physionomie si particulière, et par lesquels il tranche si fortement sur les synoptiques, avec l’attribution de cet évangile à saint Jean, si anciennement et si universellement professée par la tradition ecclésiastique ? Est-il bien difficile de comprendre que, à une époque où la spéculation commençait à s’exercer sur la figure du Christ, risquant de sacrifier l’un ou l’autre des aspects de son caractère à la fois divin et humain (gnosticisme et docétisme), saint Jean s’adressant à des auditeurs, puis à des lecteurs familiers déjà, grâce aux synoptiques, avec les faits extérieurs de la vie de Jésus, ne se soit pas contenté de mettre par écrit ses souvenirs personnels sur l’apostolat de son Maître, et de reproduire littéralement les paroles qu’il avait recueillies de sa bouche, mais qu’il ait voulu par son témoignage éclairer l’intime de la personnalité du Sauveur, choisissant pour cela dans la tradition et dans ses souvenirs certains faits de nature à mettre en lumière la thèse dogmatique qu’il voulait inculquer, en précisant la portée par voie d’interprétation théologique et symbolique, et présentant en même temps l’enseignement de Jésus, cet enseignement qu’il avait autrefois reçu directement et profondément gravé en sa mémoire, sous une forme où se révèle l’influence des méditations profondes dont les paroles du Maître avaient été l’objet de la part de l’apôtre au cours de sa longue vie ?

A tout bien considérer, c’est donc en saint Jean, plutôt qu’en toute autre personnalité de la fin du ie siècle ou du commencement du iie, qu’on peut le mieux se représenter, harmonieusement unis, les aspects si divers qu’une étude attentive révèle chez l’auteur du quatrième évangile : le témoin oculaire qui se trahit à la précision de certains détails du récit,

— le théologien et l’apologiste qui, en face de la philosophie hellénique et de l’hérésie naissante, se préoccupe avant tout, en recueillant ses souvenirs, de défendre et de répandre sa foi, — le mystique enfin, qui, appuyé sur son inspiration personnelle, rend témoignage à l’action llluminatrice et sanctificatrice du Verbe incarné, afin que ses lecteurs trouvent, eux aussi, dans le Christ lumière et vie. Et ainsi, l’étude intrinsèque de l’évangile, insuffisante à elle seule à en établir l’authenticité, ne vient pas du inoins contredire, pourvu que l’on tienne compte de toutes lus particularités qu’elle met en lumière, le témoignage très ferme de l’ancienne tradition ecclésiastique qui en attribue la composition à l’apôtre saint Jean.

II. LA DOCTRINE DU QUATRIÈME ÉVAN GILE. - 1. Préliminaires. II. Théologie trinitaire et Christologle (col. 564). III. Sotériologle (col. 572). IV. Eschatologie (col.. r, 78). V. Conclusion (col. 580).

I. Préliminaires.

- Pour bien comprendre la doctrine du quatrième évangile, en saisir la portée, et en marquer la place dans le développement de la

révélation, il importe de déterminer d’abord le but de l’évangéliste, puis de dégager les idées directrices de son œuvre et les grandes lignes du plan qu’il a suivi.

But du quatrième évangile.

1. Ce n’est pas seulement

de compléter les synoptiques. — Plusieurs écrivains ecclésiastiques anciens ont pensé que saint Jean avait écrit son évangile pour compléter les synoptiques en comblant les lacunes que présentaient leurs récits de la vie de Jésus. De fait, comme on l’a vu précédemment, le quatrième évangile insiste sur le ministère hiérosolymitain que les synoptiques avaient laissé dans l’ombre ; il contient des épisodes que nous ne connaîtrions pas sans lui, et il fournit des données chronologiques précises que le cadre adopté par la tradition synoptique i.e comportait pas. Cependant il s’agissait pour saint Jean de tout autre chose que d’apporter à l’histoire évangélique quelques éléments nouveaux. Sans doute son témoignage devait compléter celui de ses devanciers, mais non pas tant au point de vue historique, en ajoutant quelques faits inédits à leurs récits ou en en précisant certains détails, qu’au point de vue doctrinal, en jetant une lumière nouvelle sur la vie et la personne de Jésus, afin de promouvoir chez les lecteurs de l’évangile la foi à sa divinité, et. par cette foi, l’union à Dieu dans le Christ. Ceux que son enseignement visait directement, ce n’étaient point des néophytes, des Juifs ou des païens, mais des chrétiens qui connaissaient déjà le Christ par la prédication évangélique élémentaire, qu’il fallait donc non point amener à croire, mais confirmer et perfectionner dans leur foi, en les faisant pénétrer plus profondément dans l’intime du Sauveur, dans le mystère de sa relation unique et ineffable avec Dieu, et en leur donnant ainsi une intelligence plus parfaite de son rôle de médiateur divin.

2. Son but n’est pas non plus directement polémique.

— Si le dessein principal de saint Jean est essentiellement dogmatique, l’auteur du quatrième évangile n’aurait-il pas eu un but secondaire, polémique ?

a) Plusieurs Pères de l’Église ont pensé que saint Jean s’était proposé, en écrivant son évangile, de combattre les hérétiques de son temps. Saint Irénée précise même, et désigne, parmi les erreurs visées par le quatrième évangile, celles de Cérinthe et celles de la secte, plus ancienne, des nicolaïtes. Cont. Hæres., t. III, c. xi, n. 1, P. G., t. vii, col. 878. Les nicolaïtes, dont il est question dans l’Apocalypse, ii, 6, où l’ange de l’Église d’Éphèse est félicité d’avoir eu leurs doctrines en horreur, tandis qu’à Pergame il se trouve quelques individus attachés à ces mêmes doctrines, h, 15, semblent être tombés dans des erreurs morales, plutôt que dogmatiques, et on ne voit pas bien quel passage du quatrième évangile pourrait les viser spécialement. Quant à Cérinthe, la question est plus complexe. D’une part, une tradition qui remonte à saint Polycarpe mentionne la présence à Ephèse, au temps de saint Jean, d’un personnage portant ce nom. que l’apôtre tenait pour un hérétique dangereux. Une anecdote racontée par saint Polycarpe et rapportée par Irénée, ibid., t. III, c. ni, n. 4, P. G., t. vii, col. 853, et par Eusèbe, Hist. Eccl., l. III, c. xxviii, n.2, 6, P. G., t. x, col. 276, montre en effet saint Jean se refusant à entier aux bains publics d’Éphèse, parce qu’il y avait aperçu Cérinthe, « l’ennemi de la vérité ». D’autre part c’est à ce même Cérinthe que les aloges attribuaient la composition du quatrième évangile. Irénée, (’.uni. Hæres., t. I, c. xxvi. n. l, P. G., t. vii, col. 686, prèle a Cérinthe des doctrines très voisines de celles qu’enseignaient les gnostiques du n siècle, Valentin, Basilide, Marcion : distinction du Dieu suprême et d’un démiurge créateur ; négation de la divinité de Jésus, représenté comme un homme sein-