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549 JEAN SAINT), DONNÉES INTRINSÈQUES DU QUATRIÈME ÉVANGILE 550

III. L’auteur du quatrième évangile, d’après les données INTRINSÈQUES. — L’étude interne du quatrième évangile révèle que l’auteur doit être un témoin oculaire d’une partie au moins des faits qu’il raconte, ou du moins qu’il veut se faire passer pour tel. D’autre part on relève disperses à travers tout le livre un certain nombre de traits qui confirment cette prétention de l’écrivain.

L’auteur se donne pour un témoin oculaire.


1. Affirmations explicites. Si l’on admet que le quatrième évangile et la première épître dite de Jean ont le même auteur (voir les preuves à l’appui de cette identité dans la troisième partie de cet article, col. 584 sq.), on peut faire bénéficier l’évangile de la déclaration par laquelle s’ouvre l’épître : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont palpé, concernant le le Verbe de Vie…, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous ayez communion avec nous… i I Joa., i, 1-3. L’écrivain semble bien se donner pour un témoin direct du Christ. Il est difficile d’admettre, pour infirmer la force de ce texte, que les expressions employées n’ont ici qu’une valeur métaphorique et qu’il s’agit d’une expérience non point sensible, mais purement spirituelle (Harnack) : des termes comme « nos mains ont palpé » supposent un toucher physique, et le verbe 6sïa6 : x’„ lui-même, dans tous les passages du Nouveau Testament où il figure, désigne une vision corporelle et non point spirituelle. Sanday, op. cit., p. 70. On ne peut non plus supposer comme le fait von Soden, Urchristliche Literaturgeschichte, Berlin, 1905, p. 191, que l’écrivain s’identifierait ainsi, en un témoignage collectif, avec l’ensemble de la communauté chrétienne comprenant les témoins directs de Jésus, car il se distingue nettement lui-même des membres de la communauté, auxquels il transmet ce qu’il a vu et entendu. Le sens de ce texte est d’ailleurs si clair que d’autres critiques, parmi les plus opposés à la thèse traditionnelle, y voient une fiction intentionnelle de l’auteur qui a voulu recommander sa lettre en se faisant passer — faussement — pour un disciple immédiat du Christ (Loisy).

Au début de l’évangile, on trouve une déclaration analogue : « Le Verbe se fit chair, et il habita parmi nous, et nous avons vu sa gloire. » i, 14. Le sens le pluj naturel de ce texte, confirmé par sa ressemblance avec le début de l’épître. est bien encore que l’^vangéliste se range parmi les témoins oculaires du Verb ; incarné, bien que la vision dont il parle ne soit pas une vision simplement corporelle, mais une vision interprétée par la foi. — Dans le corps de l’évangile, après l’épisode du coup de lance qui ouvrit le côté de Jésus, se trouve une attestation du même genre : « Et celui qui l’a vu en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai, et lui sait qu’il dit la vérité, afin que vous aussi, vous croyiez t, xix, 35, attestation qui serait absolument concluante, tout au moins en ce qui concerne le récit de la mort du Christ, si on pouvait affirmer avec certitude que l’évangéliste s’identifie avec le disciple qui a vii, — sans doute le disciple bien-aimé dont la présence au Calvaire est mentionnée auꝟ. 26,

— et que, pour donner plus de poids à ses déclarations il se rend à lui-même le témoignage qu’il dit vrai. Cette interprétation n’est pas admise par tous les exégètes : plusieurs (Harnack, Réville, et même des catholiques tels que Calmes) pensent que le narrateur apparaît ici nettement distinct du témoin oculaire dont il affirme la véracité (d’après Calmes, qui admet l’authenticité johannique de l’évangile dans son ensemble, ce verset aurait été ajouté par l’éditeur du livre, un disciple de saint Jean). Comme il y a une relation évi dente entre xix, 35 et xxi, 21, la portée qu’on attribuera au premier de ces passages dépendra beaucoup de la façon dont on interprèle le second. — La déclaration contenue dans ce verset xxi, 2 1 : C’est ce même disciple qui atteste ces choses et qui a écrit cela, et nous savons que son témoignage est véridique », porte sur le contenu du c. xxi, lequel apparaît nettement comme une sorte d’appendice, ajouté après coup à la suite desꝟ. 30-31 du chap. xx qui constituent la véritable finale de l’évangile. La plupart des exégètes catholiques admettent que ce c. xxi, y compris les ꝟ. 24-25, a été ajouté par l’auteur lui-même à la rédaction primitive de son œuvre. C’est alors l’évangéliste qui, après s’être identifié au disciple anonyme dont il est question dans ce chapitre, affirme la valeur de son propre témoignage. Procédé quelque peu surprenant, mais qui s’explique, observe-t-on, par la psychologie particulière de l’apôtre. « Il y a comme deux personnes en sa conscience : sa personne et la personne de l’Esprit. Un apôtre qui a l’Esprit de Dieu peut écrire : Je dis la vérité, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint. Cette parole hardie n’est pas de Jean, elle est de saint Paul, Rom., ix, 1, lequel ne fit pas écrire l’Épître aux Romains par ses disciples. » Batiffol, Six leçons sur les Évangiles, p. 115. — Un certain nombre de critiques adversaires de l’authenticité johannique estiment que le c. xxi n’est pas de la même main que le reste de l’évangile, et doit l’origine à un rédacteur qui d’ailleurs aurait voulu délibérément faire passer le disciple bienaimé pour l’auteur du livre. Les ressemblances de fond et de forme que présente ce chapitre avec l’ensemble de l’évangile donnent plutôt à penser que les épisodes groupés dans cet appendice ont la même origine que le reste du livre. Ce qu’on serait seulement porté à admettre, c’est que ces fragments, qui n’avaient pas été utilisés dans la rédaction première de l’évangile, ont pu y être joints en forme d’appendice lors de sa publication, qui, dans ce cas, n’aurait eu lieu qu’après la mort de saint Jean. Dans cette hypothèse, les ꝟ. 23-24 ne seraient pas de l’évangéliste : ce seraient les éditeurs du livre, probablement un groupe de disciples de l’auteur, qui y rendraient témoignage à la véracité de l’évangéliste, en même temps qu’ils affirment l’authenticité de l’évangile, puisque, d’après la déclaration contenue en ces versets, les récits contenus dans le c. xxi, et par suite tout le reste de l’évangile, auraient pour auteur le disciple bien-aimé, c’est-à-dire un témoin oculaire des faits rapportés dans le livre.

2. Allusions plus ou moins claires.

Cette indication du c. xxi, attribuant la composition de l’évangile au disciple bien-aimé, correspond bien à l’impression que donne la place occupée et le rôle joué par ce personnage dans l’ensemble du livre. Il est très probable que le disciple anonyme qui figure dans le récit de la vocation des apôtres, i, 35-51, est le même que le disciple « que Jésus aimait » mentionné dans le récit de la dernière cène, xiii, 23, présent au Calvaire, xix, 2C, et qui se rend au tombeau avec Pierre après la résurrec tion, xx, 2-10. C’est sans doute aussi le même personnage qui, désigné par l’expression l’autre disciple, xviii, 15-tO, pénètre avec Pierre dans la maison du grand prêtre (la même expression désigne le disciple bien-aimé au c. xv, ꝟ. 3, 4, 8). La façon systématique dont l’évangéliste évite de donner le nom de ce personnage, le caractère très personnel des récits où il figure semblent bien indiquer qu’il y a entre l’auteur et lui une relation intime, et tout donne à penser que c’est L’évangéliste lui-même, qui, ne voulant pas se mettre directement en scène, tout en se laissant reconnaître, a voilé sa personnalité sous cette appellation iinpré cise et un peu énigmatique. Les critiques mêmes qui