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JANSÉNISME, LES CINQ PROPOSITIONS


c. xx. En réalité, cette impuissance hic et niine est une impuissance physique, absolue, d’après Jansénius lui-même, t. IV, c. xv ; L VI I. c. i, et non pas seulement une impuissance morale, puisqu’elle vient de l’absence d’un secours absolument nécessaire pour agir, t. III, e. xiii, et de la prédominance de la cupidité. L. VII, c. ii, v. Arnauld, de son côté, écrit : « Si un secours est nécessaire pour faire quelque chose, on peut dire véritablement que celui à qui ce secours manque ne peut faire cette chose, comme si un bateau m’est nécessaire pour passer une rivière, il est vrai de dire que je ne puis la passer sans un bateau. Défense de la Constitution d’Innocent X, I re partie, c. ii, p. 3.

Ainsi, par le péché originel, l’homme est tombé dans l’impuissance volontaire de faire aucun bien, d’observer les commandements, parce que sa volonté est dominée par la cupidité : il n’agit et ne peut agir que par les mouvements de la concupiscence. Par suite, l’homme n’a point perdu les principes nécessaires à la production des actions bonnes et la puissance de la volonté n’a poii.t été détruite, mais il n’a plus le pouvoir plein, complet, suffisant, prochain d’observer les commandements. Système de Xicole sur la grâce nouvelle. Bibliothèque nat., mss, fonds français, n. 10 592, p. 10, 47-48.

Quelle est la nature de la grâce qui, parfois, manque au juste et qui lui donnerait le pouvoir prochain d’observer les commandements ? Cette grâce est absolument efficace, en ce sens qu’elle produit toujours l’effet pour lequel elle est donnée et son efficacité est telle que, sans elle, l’effet ne saurait être produit. Cette thèse est exposée en maints passages de VAugustinus. De gratia Christi, t. II, c. iv, xxiv, xxv ; t. IV, c. vi ;

t. VIII, c. iii, etc.

Cependant Jansénius distingue deux sortes de grâces efficaces : 1. une grâce efficace forte, victorieuse, qui emporte la volonté de l’homme à la manière d’un torrent impétueux qui renverse tous les obstacles et elle produit son effet total ; c’est le vouloir parfait ;

2. une grâce efficace faible, petite, débile qui meut la volonté comme un léger souffle et ne produit que des affections stériles, et des désirs inefficaces ; c’est le vouloir imparfait : quemadmodum inundalio divinæ gratix, lotam hominis voluntaiem secum instar impetuosi cujusdam torrentis rapit, sic ut omnia humani cordis retinacula, quibus terrenis rébus irrelitur, velut violenta quadam tempestate dirumpat ; ila lenis ille velut aurxtenuis afflalus, complacentiam quamdam voluntatis tenuissimam… suaviter impelrat. L. II, c. xxvii.

Après ces explications empruntées à Jansénius lui-même, il est facile de voir le sens précis de la l re proposition. Certains justes, avec une grâce actuelle faible, avec les forces présentes que leur donnent cette grâce actuelle, le libre arbitre, la foi et la grâce habituelle, font des efforts et veulent observer les commandements ; cependant, d’autre part, ils sont entraînés par une cupidité plus forte que la grâce actuelle. Dans ce cas, le commandement leur est hic et nunc impossible non point d’une manière absolue, éloignée, définitive, comme s’ils n’avaient aucune force ou que leurs forces actuelles ne puissent pas s’accroître ; mais d’une manière prochaine, immédiate, actuelle, relative aux forces présentes ; il leur manque non point une grâce quelconque, mais une grâce victorieuse, plus forte que la cupidité actuelle, car seule, cette grâce, dans un conflit avec la cupidité, peut, en réalité, donner des forces complètes, suffisantes pour observer actuellement le précepte.

D’après Jansénius, d’ailleurs, les grâces actuelles, petites, faibles, capables de produire des désirs inefficaces ne sont pas toujours accordées même aux justes qui voudraient observer les commandements. L. III, c. xv.

DICT. DE THÉO !.. CATHOL.

Tel est bien le sens que les jansénistes donnaient a cette proposition, lorsqu’elle fut dénoncée à la Sorbonne par Nicolas Cornet ; ce n’est qu’après la condamnation par Innocent X qu’ils invoquèrent la célèbre distinction du fait et du droit.

Arnauld déclare formellement comme renfermant une vérité catholique la proposition suivante qui est la proposition même de Jansénius : « Quelques justes sont quelquefois dans l’impuissance de faire quelque commandement, lequel ils ont fait eux-mêmes et feront peut-être après…. Cette impuissance vient de ce qu’ils ne veulent que faiblement et que Dieu ne les fortifie point de sa grâce. » Considérations sur Ventreprise faite par Nie. Cornet, p. 23.

L’abbé de Bourzéis, In nomine Domini, p. 3, G, 11, M. de Sainte-Beuve, au dire de Nicole, Disquisilio, iv, art. 3, donnent à la proposition le même sens. Enfin les députés des jansénistes présentèrent pour leur défense au pape Innocent X, le 19 mai 1653, quelques jours avant la condamnation, le fameux Écrit à trois colonnes où ils exposent, d’une manière officielle, le sens qu’ils attachent à la l rc proposition : Aliqua Dei prxcepla aliquibus jaslis volenlibus et cor.antibus invalide et imperfecte secundum præsenles quas luibent vires, parvas scilicet et infirmas, seu auxilio efficaci ad plene volendum et operandum necessario destituas impossibilia sunt proxime cf complète, seu ab illis adimplcri proxime non possunt. Deest quoque illis gratia efficax qua-prxcepla illis proxime possibilia fiant.

De leur côté, les adversaires de Jansénius attribuent à la proposition dénoncée par Cornet le même sens qu’ils regardent comme le sens de Jansénius lui-même et qu’ils déclarent hérétique. Dans son informatio de quinque propositionibus ex Jar.senii theologia collectis, le P. Annat expose le même sens et montre comment il se rattache aux principes posés par Jansénius sur la grâce efficace et la délectation victorieuse (p. 357, 362, 391). Il répète la même idée dans son Augustinus a Baianis vindicalus, p. 347. Enfin Hallier, un des trois députés envoyés à Rome par la Sorbonne pour faire condamner les cinq propositions, remit aux cardinaux en 1652 un écrit où il indique le sens du c. xiii du 1. III de VAugustinus et de la première proposition. Journal de Saint-Amour, 50-52, 269, 469-471, etc.

De tous ces faits, il résulte nettement qu’avant le 31 mai 1653, l’accord était complet entre les jansénistes et leurs adversaires sur le sens de la première proposition que les uns regardent comme très catholique et les autres comme hérétique.

Bien plus, après la condamnation de la’proposition par Innocent X, les jansénistes continuent à donner à la proposition le même sens.

Ainsi Arnauld, dans sa Seconde lettre à un duc et pez’r de France, p. 226, écrit la célèbre proposition sur la chute de saint Pierre qui le fera exclure de la S’rbonne et il reprend la défense de sa thèse dans sa Lettre à la faculté de Paris, du 7 décembre 1655. De même, Nicole (Paul Irénée) dans sa Disquisilio, il, a. 2, déclare qu’un juste qui n’accomplit pas le précepte a manqué du secours suffisant pour l’observer.

La défense de la constitution du pape Innocent X, IIe partie, c. xxiii, p. 271, parle également du pouvoir prochain qui manque parfois aux justes pour faire le bien. Si, dit-on, on ne peut prier sans la grâce qui fait prier, il s’ensuit qu’il y a quelques justes qui, quelquefois, ne peuvent pas prier comme il faut et persévérer à prier ou qui n’en ont pas le pouvoir prochain qui vient de la grâce efficace nécessaire pour prier salutairement et pour persévérer.

D’après quelques jansénistes, la grâce dont l’absence fait que le juste n’observe pas le commandement csi la grâce suffisante des thomistes, cette grâce qui ne fait point faire le bien, puisque la grâce efficace est

VIII.

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