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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA RÉPROBATION

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de Dieu sans rechercher minutieusement ce qu’on ne saura que lorsqu’on ne sera plus en état de travailler. Il faut faire le bien connu et Dieu aidera ; si on ne peut faire le bien, il faut prier pour que Dieu accorde sa grâce : pelere jubemur ut accipiamus. Dieu est trop miséricordieux pour refuser sa grâce à celui qui la lui demande comme il faut. Il nous arrivera ce que Dieu a décrété, mais il faut s’appliquer soigneusement et courageusement aux bonnes œuvres, parce que nous sommes assurés qu’en persévérant dans ces bonnes œuvres, il est impossible que nous ne soyons pas sauvés, c. vin.

Cette doctrine, ajoute Lessius, étouffe le zèle qu’on doit avoir pour le salut des âmes et rend inutiles les prédications, les corrections ; elle engendre le scandale et la débauche, puisque les âmes sont sauvées d’une manière absolue et définitive avant toute prévision des mérites. Conclusion fausse, répond Jansénius, la doctrine de saint Augustin condamne le zèle qui n’est pas selon Dieu, le zèle issu de cette erreur qui fait croire que l’homme peut quelque chose conlre les décrets de Dieu, mais ne détruit pas le zèle véritable qui consiste à se conformer toujours à la volonté divine. Il faut être zélé pour procurer le salut du prochain, car nous ne savons pas qui Dieu veut sauver et par quels moyens il veut sauver ; peut-être a-t-il décrété que nous serions les instruments des conversions qu’il veut faire. Donc nous devons accomplir notre devoir à l’égard du prochain et agir comme si nous devions sauver tous les hommes, car la prédestination décrétée par Dieu ne s’opère que par la coopération des hommes. L’ordre de Dieu est qu’on se serve de tous les moyens et qu’on soit convaincu que tout ce qu’on fait ne sert de rien, si Dieu ne touche les cœurs par sa grâce, laquelle seule fait bien user des prédications et des corrections, c. ix.

Enfin Jansénius signale longuement une septième objection tirée de ce fait qu’une telle doctrine est contraire à la bonté divine, car on peut reprocher à Dieu de ne créer et de ne conserver les réprouvés que pour les damner.

Dieu, écrit Jansénius, avait créé l’homme et lui avait donné tout ce qu’il fallait pour arriver à sa fin et à son bonheur ; cette création était un bienfait. Mais l’homme a abusé et il s’est perdu par sa faute. Ce que Dieu a fait est bon ; c’est pourquoi il le maintient ; s’il y a du mal, c’est de l’homme qu’il vient et Dieu ne pouvait pas permettre que l’homme, par sa malice, vint troubler l’ordre établi par Lui. La création, bonne en elle-même, est devenue mauvaise par la volonté perverse de l’homme. Dès lors, tous les hommes sont damnables. Dieu sauve les uns par miséricorde et laisse les autres dans leur damnation, mais Dieu n’est nullement responsable de la perdition de ces derniers, c. x.

3. La réprobation et le plan divin (c. xi-xviii). — Les réprouvés ne naissent et ne vivent que pour l’utilité et l’avantage des élus. Il y a sujet d’abord de s’étonner de ce que le nombre des réprouvés soit si grand et celui des élus si petit ; mais il faut se rappeler que Dieu est juste et qu’il a été très gravement offensé ; il est miséricordieux sans doute, mais il n’est pas stupide : il a laissé les anges mauvais dans l’abîme ; il n’en a retiré aucun et il sauve des hommes I D’ailleurs les réprouvés sont le rebut du monde et ils ne méritent pas de voir la lumière du jour. Dieu les tolère avec patience pour le plus grand avantage des prédestinés en qui sa miséricorde se manifeste, c. xi.

Les réprouvés procurent aux élus trois avantages principaux : a) Ils servent à la beauté, à la perfection, à l’ornement du monde dont l’usage n’appartient vraiment qu’aux élus ; il faut des ombres à un tableau et des ténèbres dans la nuit. Par la création, Dieu

mit les choses d’ici-bas sous l’empire de la créature raisonnable, maintenant il veut que les créatures raisonnables déchues servent à ceux qu’il a élus. Les réprouvés travaillent spécialement à l’amélioration matérielle du monde et ainsi ils procurent aux élus les commodités de la vie qui leur permettent de s’occuper davantage de leur âme et de pratiquer mieux la loi divine. Ce sont des animaux, jumenta ra’ionalia, c. xii.

b) Ils fournissent aux élus des connaissances qui leur sont nécessaires et des instructions très utiles. Par la malédiction qui pèse sur eux, ils apprennent aux élus : a. Ce que peut le libre arbitre laissé à lui-même, dans l’esclavage des passions, b. Ce que l’homme mérite par sa faute : la réprobation était le lot de tous, sans la miséricorde de Dieu. c. Quelle est la grandeur des bienfaits qu’ont reçus les élus, lesquels trouvent ainsi un juste sujet de s’humilier devant Dieu qui les a délivrés, non à cause de leurs mérites, mais par pure grâce ; cette considération augmente leurs actions de grâces et leur fait redouter de tomber dans le péché, d. Quelle est la puissance de Dieu qui condamne les méchants et se sert de leur malice pour accroître les mérites et la gloire de ceux qu’ils persécutent, c. xiii.

Le nombre des réprouvés beaucoup plus grand que celui des élus, sert également à l’instruction de ces derniers : a. Cette multitude de misérables fait voir la grandeur du péché qui a causé la perte de tout le genre humain, b. Nous connaissons ainsi la souveraine majesté de Dieu qui se suffit à lui-même ; cette multitude de réprouvés n’est rien aux yeux de celui qui, par un très juste jugement, a damné tous les anges prévaricateurs et aurait pu damner tous les hommes, si sa miséricorde n’en avait arraché quelques-uns à la damnation qu’ils avaient tous méritée, c. xiv.

c) Les réprouvés fournissent aux élus l’occasion d’exercer, d’éprouver et de faire éclater leur vertu qui languit sans l’épreuve. C’est dans les persécutions que les martyrs montrent leur constance ; c’est parmi les mensonges de l’hérésie qu’éclate la vérité de la doctrine. Les prédestinés doivent lutter contre les réprouvés et cette opposition même met en relief leur courage et leur permet de triompher. Les bons et les méchants sont comme dans une fournaise : « qui n’est pas or, brûle avec les méchants, mais si on est or, le méchant sert de paille pour éprouver », c. xv. Ainsi le mélange ici-bas des prédestinés et des réprouvés n’est pas sans utilité : ceux-ci exercent la vertu de ceux-là ; ils leur servent d’exemple et leur donnent sujet de craindre la colère de Dieu, de reconnaître ses bienfaits, de l’aimer plus que tout et de devenir humbles et défiants d’eux-mêmes, c. xvi.

La conduite de Dieu est convenable et même nécessaire à la faiblesse de l’homme après sa chute pour qu’il puisse montrer sa justice et sa miséricorde d’une manière sensible ; ainsi les prédestinés savent ce qu’ils avaient mérité et ce qu’ils doivent à la bonté de Dieu ; ainsi Dieu rappelle la misère de l’homme par les supplices qu’il inflige aux réprouvés.

Dieu aurait pu employer d’autres moyens ; il aurait pu communiquer les connaissances nécessaires par une lumière infuse répandue dans les esprits et ainsi il n’aurait pas eu besoin de créer cette multitude de misérables qui ne servent qu’à rendre la sagesse aux autres, mais il n’a pas agi ainsi pour des raisons à nous inconnues. Il a voulu s’accommoder à la faiblesse de notre nature accablée d’imperfections, d’ignorances et de passions. L’intelligence qui a pour objet tout ce qui est intelligible est comme embourbée dans la matière et présentement elle ne connaît quelque chose que par de faibles images empruntées aux sens ; elle conçoit avec peine ; ses raisonnements sont lents et rien ne nous touche que le sensible. Dans cet état de