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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LA PRÉDESTINATION


parce qu’ils ne sont pas prédestinés Les bonnes œuvres que peuvent faire les réprouvés, dans le temps où ils sont justes, sont des dons de la grâce et des effets de la miséricorde de Dieu : mais cependant ils ne sont pas appelés élus, prédestinés selon les décrets éternels de Dieu, parce qu’ils ne demeureront pas dans la justice jusqu’à leur mort ; par contre, les péchés dans lesquels peuvent tomber les élus pendant leur vie, ne sont point l’effet de la prédestination, car il n’y a prédestination que pour les actes que Dieu fait, mais ces péchés sont dans l’ordre de la prédestination, parce que Dieu permet que ses élus pèchent, afin qu’ils deviennent plus humbles et qu’ils connaissent mieux la nécessité de la grâce. Toutes choses tournent au bien de ceux que Dieu a prédestinés, c. ix.

3. La prédestination de mérites (c. x-xv). — La prédestination de grâce dont nous venons de parler n’existe que pour les hommes dont le chef a péché ; la prédestination des anges est une prédestination de mérite, ad gloriam electio non eleclione gratiæ sed meritorum. Ils ont été élus à la gloire non point par une prédestination gratuite, mais par une prévision des mérites de leur libre arbitre et de la persévérance de leur volonté dans le bien. Si, en effet, l’ange a bien usé de la grâce à lui conférée, c’est à sa liberté qu’il faut en attribuer la mérite, parce qu’il était maître de la grâce. Il pouvait se discerner lui-même, parce que ses mérites étaient non un don de Dieu, mais des effets de sa volonté. Il pouvait persévérer par les forces de sa nature, avec le secours de la grâce ; la gloire qui a suivi cette persévérance est une récompense plutôt qu’une grâce ; la vie éternelle est la récompense des mérites acquis par le libre arbitre.

L’ange n’avait donc pas besoin d’être prédestiné à la grâce, parce que la grâce qui lui était nécessaire restait au pouvoir de sa volonté ; par suite, les bonnes œuvres et la persévérance n’étaient pas un don de Dieu, mais le fruit de la volonté se servant de la grâce. Donc pas de prédestination à la grâce, puisque cette prédestination se rapporte à ce que Dieu doit faire et non point à ce que les anges peuvent faire.

Il faut dire la même chose d’Adam innocent et il faudrait dire la même chose de l’homme, si Adam n’avait pas péché. Ce n’est pas Dieu qui eût fait les bonnes œuvres par sa grâce, mais c’est le libre arbitre, aidé et se servant de la grâce, qui eût été la cause principale de ces bonnes œuvres ; le mérites auraient été des mérites du libre arbitre. Mais depuis la chute, il n’y a plus de prédestination de mérites ; c’est par la miséricorde de Dieu que les saints sont élus et obtiennei.t la grâce, les bonnes œuvres, les mérites, du commencement de la foi à la lumière de gloire. La damnation de tout le genre humain serait possible et juste : eliamsi nullus liberaretur, justum Dei judicium juste nemo

reprehenderet Quod ergo pauci in comparatione

pereuntium, in suo vero numzro mulli liberantur, gratia fil, gratis fit, c. x.

Dans l’état d’innocence comme après la chute, la grâce est nécessaire, mais chez l’homme tombé, il faut une grâce telle qu’elle donne le vouloir et la persévérance, tandis que, dans l’état d’innocence, la grâce laissait le vouloir et la persévérance au pouvoir de l’homme. Pour la nature saine, il fallait la grâce suffisante, soumise à la liberté, semblable à celle dont parlent Molina et Lessius ; pour la nature corrompue et malade, il faut la grâce efficace par elle-même, accordée gratuitement et qui produit les mérites ; c’est pour cela qu’aujourd’hui, il n’y a plus de prédestination de mérite, mais seulement prédestination de grâce, c. xi.

Pour les mérites et la persévérance des anges, il n’y a point eu une vraie prédestination, mais prescience de Dieu. Les anges ont été discernés et élus, séparés,

non par la grâce, mais par leurs mérites. Ici Dieu a prévu ceux qu’il n’a pas prédestinés, car il a bien vu ceux qui persévéreraient avec sa grâce, par Yadjutorium sine quo non qu’il leur conférait. Cette grâce dépendait de leur libre arbitre et, par suite, les mérites acquis avec cette grâce doivent être attribués à la volonté des anges, c. xii. Les anges ont donc été élus à la gloire, non par élection de grâce, mais par élection de mérite, car leur gloire est la récompense de leurs mérites. Sans doute, c’est Dieu qui leur accorde la gloire et les rend bienheureux, mais ce n’est pas gratuitement, c’est une récompense due à leurs mérites ; les anges se sont béatifiés eux-mêmes ; Dieu les a seulement fait participer à sa gloire, parce qu’il avait décrété que la gloire serait la récompense de leurs mérites,

c. XIII. t

A plus forte raison, on ne peut pas dire que les anges ont été prédestinés à la gloire avant la prévision absolue de leurs mérites et de leur persévérance, puisque ces mérites et cette persévérance qui les conduisaient à la gloire dépendaient de leur volonté aidée de la grâce ; mais Dieu ne pouvait décréter la gloire des anges avant d’avoir prévu l’usage qu’ils feraient de sa grâce. Au contraire, lorsque c’est la grâce qui détermine la volonté, Dieu peut prédestiner, même sans prévoir la détermination absolue de la volonté, parce que l’œuvre est attribuée à la grâce, parce que Dieu a en sa puissance la volonté qu’il fait agir comme il veut par le secours efficace qu’il lui donne, c. xiv.

Dieu n’a couronné les anges qu’après avoir prévu leurs mérites ; mais il en est tout autrement des hommes après leur péché. Dieu les a prédestinés après son intention efficace et absolue de les sauver. Il a élu efficacement les hommes non seulement à la gloire, mais encore à la grâce, gratuitement et avant toute prévision des mérites. L’homme innocent eût été élu, comme les anges, avant la prévision absolue des mérites ; il aurait pu faillir, car sa conduite dépendait d’une volonté saine et vigoureuse, qui usait de la grâce à son gré, mais, par le péché, l’homme est tombé dans la masse de corruption d’où il ne peut sortir ; il faut que que Dieu, par un décret tout gratuit de miséricorde, vienne l’arracher et le prédestiner à la gloire avant d’avoir prévu les mérites qu’il pourra acquérir par la grâce qu’il lui accorderait. Dans ce cas, la conduite de l’homme dépend tout entière delavolontéde Dieu dont les intentions ne sauraient être frustrées, c. xiv.

Ainsi, Dieu a montré ce que le libre arbitre était capable de faire avec le secours de la grâce chez les anges qui ont persévéré en partie et chez les hommes qui ont péché ; maintenant il montre ce que la grâce peut faire avec le concours de la volonté : sic admirari angclorum et hominum vitam ut in ea prias ostenderet quid poscet eorum liberum arbitrium, deinde quid posset suce gratise beneficium justiliwque judicium. Par là, Dieu a montré que la liberté saine, bien que vigoureuse, sans concupiscence, sans inclination au mal, sans ignorance, sans infirmité) est tombée et a plongé l’homme dans l’impuissance de faire le bien. Dieu, par sa miséricorde, a voulu guérir sa maladie ; il a secouru le malade qui, maintenant, est infailliblement conduit jusqu’à la fin par le secours de la grâce médicinale de Jésus-Christ.

La théologie moderne n’a pas voulu accepter ces principes de saint Augustin et elle est tombée dans de multiples erreurs : a) Les uns n’admettent que des secours efficaces, et, dès lors, ils enseignent que toutes les créatures raisonnables sont prédestinées à la béatitude pu une volonté absolue et efficace de Dieu avant toute prévision des mérites : Dieu prédestine par sa seule volonté, b) Les autres, en particulier Molina, suppriment le secours efficace, comme contraire à la liberté ; ils n’admettent, après comme avant le péché,