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A.NSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. LE LIBRE ARBITRE

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avec ténacité et persévérance, la vouloir au point qu’on ne peut vouloir le contraire, c’est vouloir et être libre au même degré, car, si la liberté ne peut être sans la volonté, la volonté ne peut être sans la liberté. C’est la thèse formelle de saint Thomas, De veritate, q. xxii, a. 5 (De potestate, q. x, a. 2, ad 5<"n. Cette nécescité volontaire n’est appelée nécessité que très improprement, car la volonté reste maîtresse de ses actes ; seule, la nécessité de contrainte ou de coaction détruit la liberté, c. vi.

3. Liberté et pouvoir de mal (aire (c. vH-xxxm). — Dans les chapitres suivants, Jansénius s’attache à prouver cette thèse : Dieu est souverainement libre ; cependant il ne peut faire le mal. Julien a donc tort de prétendre que la liberté suppose le pouvoir de faire le mal. En Dieu, cette nécessité de ne pas pécher, c’est la volonté très ferme, absolument immuable d’adhérer au bien. C’est l’amour parfait de la justice qui détermine la volonté de Dieu au bien. C’est une nécessité simple ou plutôt une volonté immuable d’aimer le bien et la justice qui le rend incapable de changer. Les anciens théologiens ne plaçaient pas la liberté de Dieu dans le pouvoir de choisir tel ou tel bien, ]comme le font certains modernes, mais dans le fait qu’il voulait le bien très librement, quoique nécessairement, c. vu.

De même, les bienheureux et les anges, par une volonté immuable, aiment Dieu, au point qu’ils ne peuvent pécher : ils sont dans cette heureuse nécessité de ne pouvoir aimer que le bien et cependant ils sont parfaitement libres. Donc l’indifférence de contrariété et de contradiction n’est pas essentielle à la liberté. La volonté, affermie dans le bien, est très libre, bien que n’étant plus en état de tomber dans le péché. Dieu a supprimé l’infirmité, l’inconstance de la volonté et l’âme reste immuablement attachée à ce qu’elle aime le plus. Pour saint Augustin, la liberté n’est point détruite, avant la grâce, par la nécessité de pécher et, aprèz la grâce, par la nécessité de faire le bien et l’impossibilité de faire le mal, contrairement aux thèses pélagiennes et scolastiques qui n’admettent qu’une liberté hésitante, quasi in bioio (luctuanlem Les actions faites par une semblable nécessité, dit saint Augustin, sont libres au oegré le plus infime. La liberté parfaite des bienheureux consiste précisément dans la volonté de ne plus pécher, dans la volonté de ne pas s’écarter de Dieu. Le pouvoir de pécher n’est donc point essentiel à la liberté ; ce pouvoir n’est qu’une imperfection de la liberté. Les bienheureux sont très libres, non point parce qu’ils peuvent choisir entre plusieurs biens, comme le disent quelques modernes, mais parce qu’ils ne peuvent et ne veulent pas pécher. Mieux on connaît le bien, moins on a le choix entre plusieurs biens. La volonté d’Adam était moins libre que celle des bienheureux, parce que sa volonté de ne pas pécher ne fut pas assez forte pour rester immuable. Devenir incapable de faire le mal ; acquérir une volonté persévérante et immuable de faire le bien, voilà l’idéal de la liberté. Ainsi saint Augustin appelle libre notre volonté d’être heureux, volunlas qua beati esse sic. volumus ut esse miser i non solum nolimus sed neque velle possimus, Ici l’indifférence d’exercice par laquelle, dans la réalité, se manifeste cette volonté d’être heureux, n’intervient qu’accidentellement, c. vin.

Jésus-Christ ne pouvait vouloir le mal ; il était d’autant plus libre qu’il était plus éloigné du péché, comme les bienheureux et les anges, comme Dieu dont la liberté est parfaite, parce que sa volonté puissante est plus constamment tournée vers le bien et vers la justice. Certains supposent l’indifférence pour faire tel ou tel bien, mais cela est absolument étranger à la pensée de saint Augustin qui déclare, avant saint Thomas, que la nécessité n’ôte rien au mérite, c. ix.

Jansénius tire un autre argument de l’état de la

volonté jouissant du souverain Bien clairement vu et connu. L’homme veut le bonheur et ne peut pas ne pas le vouloir ; la volonté connaissant le souverain Bien ne peut pas ne pas l’aimer et cependant elle est maîtresse de son action, elle est libre ; car ce que nous voulons constamment est en notre puissance et le voulant toujours, nous le voulons librement, quoique nécessairement. La volonté constante de rester uni à Dieu fait qui nous ne voulons pas pécher ; la volonté inamissibledepratiquerla justice et d’aimer Dieu porte toujours sur des actes qui sont en notre puissance, donc libres, c. x.

Les principes mêmes des scolastiques conduisent logiquement à la même conclusion. Les scolastiques ; en particulier, saint Bonaventure, admettent que l’indifférence de contrariété n’est pas requise ; l’indifférence d’exercice qui choisit entre plusieurs biens, qui choisit entre agir ou ne pas agir, sufflt pour que la liberté existe. Mais alors Dieu ne serait pas libre. L’amour des bienheureux et la volonté perverse des damnés ne sont pas autre chose que la volonté ou élection première libre, persévérant d’une manière plus ferme et plus forte par la grâce qui fait faire le bien ou le châtiment qui suit le mal. La volonté récompensée des premiers persévère et reste ce qu’elle était dans le premier instant, c’est-à-dire libre.

Bref, l’acte béatifique s’identifie avec l’acte d’amour de Dieu fait librement sur la terre et l’acte permanent des damnés s’identifie avec le péché fait librement par le méchant, c. xi.

Et cette doctrine, dit Jansénius, n’est point une opinion personnelle de saint Augustin. Pour les Pères qui ont précédé le grand docteur, comme pour ceux qui ont subi son influence, la liberté consiste essentiellement dans l’absence de coaction et le volontaire se confond avec le libre ; seule, la contrainte s’oppose à la liberté ; on est libre, quand on fait ce qu’on veut. L’homme a été créé libre et Dieu ne le moleste pas, quand il le fait agir. En fait, les scolastiques ont mal interprété certains textes de saint Augustin, par exemple, quand ils identifient la nécessité et la contrainte.

Jansénius cite de nombreux textes de Pères antérieurs à saint Augustin : Denys l’Aréopagite, Clément, saint Irénée, Tertullien, Origène, saint Hilaire, saint Épiphane, Macaire, Basile de Séleucie, Eusèbe, saint Chrysostome, saint Cyrille, c. xii, et ensuite les Pères et les théologiens postérieurs à saint Augustin : saint Prosper et saint Fulgence, c. xiii, le Vénérable Bède qui exclut seulement la nécessite de contrainte, c. xiv, saint Jean Damascène qui déclare que l’homme est libre par le fait qu’il a une raison et une volonté, c. xv, saint Anselme qui affirme que Dieu est juste non par nécessité, mais par volonté, parce qu’il est juste par lui-même et que Jésus-Christ est libre, quoiqu’impeccable, c. xvi. Saint Bernard, dans son livre, De gratta et libero arbitrio suit de près saint Augustin auquel il emprunte le titre même de cet ouvrage, c. xvii. Enfin dans les chapitre, ; suivants, Janséi.ius cite Hugues et Richard de Saint-Victor, le Maître des Sentences. Alexandre de Halès, Guillaume de Paris et Guillaume d’Autun, saint Thomas, Scot, saint Bonaventure, Henri de Gand, Richard de Mittletown, Thomas de Strasbourg, Denys le Chartreux, Marsile de Padoue, Nicolas d’Orbais, Etienne Brulefer, Gabriel, c. xviii-xxxiii

4. Difficultés et réponses (c. xxxiv-xxxvhi) — Après avoir cité ce3 autorités, Jansénius entreprend de résoudre les difficultés qu’on peut tirer de l’Écriture et des Pères dont quelques textes semblent exiger l’indilférence comme élément essentiel de la liberté. Le texte de Eccli., xv, 14-17 : Rcliquit hominem in manu consilii sui ; unie hominem vita et mors, et les autres paraissent affirmer que, pour être libre, il faut être « flexible au bien et au mal, n’être pas déterminé à