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    1. JANSÉNISME##


JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS. T. III. EFFETS DE LA GRACE 401

Seule l’inspiration de la grâce répandue en nos cœurs par la charité opère le vouloir et le faire, nous fait éviter le mal et faire le bien ; une œuvre n’est bonne que lorsqu’elle est faite par l’amour de Dieu et de la justice ; car cette justice qu’il faut aimer est la justice immuable qui s’identifie avec Dieu. C’est qu’en effet, il n’y a pas de milieu entre la cupidité vicieuse qui fait le mal et la charité qui fait le bien, entre l’amour de la créature et l’amour du créateur. L’homme doit ou aimer la créature par la cupidité qui est toujours vicieuse parce qu’elle détourne de notre fin, ou aimer le créateur par la charité. Pour aimer la créature et faire le mal, la grâce n’est pas utile, car les forces de la volonté corrompue par le péché suffisent. La grâce n’est nécessaire que pour l’amour du créateur qui est Vérité et Justice, c. n.

La vertu n’est pas autre chose que cet amour de Dieu. Cette proposition toute contraire aux principes d’Aristote, est absolument conforme à la doctrine chrétienne. En effet, le souverain Bien auquel tout doit être rapporté et dont la possession fait et constitue la Léatitude, c’est Dieu seul ; or, on ne peut adhérer à Dieu que par l’amour, la charité ; donc la vertu qui conduit au souverain Bien ne peut être que l’amour souverain de Dieu : virtus est charitas. Par cette vertu, on aime ce qui doit être aimé et on aime comme on doit aimer : c’est pourquoi la vertu, si elle est vraie, participe plus ou moins à la charité.

De là découlent certains principes très nettement affirmés par saint Augustin : a) la vertu consiste uniquement à aimer ce qui doit être aimé et recherché pour soi-même ; ainsi saint Augustin se sépare des épicuriens qui placent la vertu dans les biens du corps, des stoïciens et des péripateticiens qui la placent dans l’action elle-même, b) La vertu, c’est la volonté bonne ou le ferme propos de bien faire et de vivre saintement par la charité qui s’attache à Dieu seul, c) La vertu consiste à diriger sa vie par des règles dont la vérité est immuable, des règles qui montrent ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut faire et auxquelles on rapporte toutes ses actions ; or, ces règles ne se trouvent que dans l’éternelle vérité, dans la loi éternelle, c’est-à-dire, en Dieu lui-même. Cette justice n’est point une qualité passagère des choses, mais l’éternelle substance du souverain Vrai et du souverain Bien que l’on a toujours devant les yeux. On n’est bon et vertueux que lorsqu’on suit, en les aimant, les vérités éternelles que nous imprimons dans nos cœurs et que nous exprimons dans notre conduite, d) La vertu est l’affection bonne de l’âme, l’amour de Dieu.

Cet amour de Dieu établit ou plutôt rétablit l’ordre que Dieu avait mis entre Lui et sa créature raisonnable et que l’amour de la créature avait troublé, c. m.

Toutes les vertus se ramènent à l’amour. Les vertus cardinales ne sont que des manières différentes d’aimer Dieu. La prudence, c’est l’amour en tant qu’il recherche la vérité pour discerner le bien du mal et connaître ce qui convient au bien-aimé. La tempérance, c’est l’amour en tant qu’il adhère à ! a vérité et qu’il se détache des voluptés terrestres. La force, c’est l’amour adhérant fortement à cette vérité afin de n’en être point séparé. Enfin la justice, c’est l’amour qui se subordonne à Dieu, à côté des créatures raisonnables et au-dessus du monde corporel. C’est qu’en effet, seul, l’amour est capable de faire le bien. Celui qui aime ce qu’il faut et comme il faut, que ne fait-il pas pour plaire à celui qu’il aime’.' Il affronte les dangers, supporte les épreuves, brise les obstacles, méprise les attraits et ne songe qu’à posséder ce qu’il aime, c.iv.

Tortes les autres vertus sont des modes de l’amour de Dieu, puisque toutes les vertus se ramènent aux quatre vertus cardinales. Saint Augustin place à part la vertu de religion, la plus élevée de », vertus morales ;

elle se rattache à la justice qui rend à chacun ce qui lui est dû. La vertu de religion elle-même n’est qu’un mode particulier d’aimer Dieu et de le servir ; elle comprend le culte que nous rendons à Dieu, or Dieu n’est vraiment honoré que par l’amour ; autrement on ne l’honore que pour les biens que nous espérons de lui ou que par la crainte de perdre les biens que nous possédons. L’honorer ainsi, ce n’est pas pratiquer la vertu de religion, c. v.

Enfin les vertus théologales elles-mêmes se ramènent toutes à l’amour de Dieu. En effet, la foi vraie vient de la charité d’après saint Augustin, car a) la foi suppose une première affection de l’âme qui est le commencement de la bonne volonté, laquelle vient de la charité (ceci contre les pélagiens) ; b) c’est en obéissant que l’on croit, or on ne peut obéir à Dieu sans l’aimer ; c) nous n’avons la volonté de croire que si nous avons le désir du bien qui commence à naître à mesure que nous commençons à croire ; d) notre justification commence par la foi, or la foi ne peut être sans la charité ; e) pas de précepte qui puisse être accompli sans la charité, donc on ne peut observer le commandement de croire sans la charité ; f) il faut être attiré pour croire, or, il n’y a que le plaisir qui attire et le plaisir suppose l’amour, amando trahitur homo ad veritatem. L’amour seul meut la volonté à croire, c. vi. Il faut remarquer en passant que Jansénius parle souvent de l’espérance en même temps que de la foi. dans les c. vi et vii.

L’amour ou dilection qui engendre la foi (et l’espérance ) est une charité imparfaite, mais une charité sincère et vraie. Pour saint Augustin, en effet, la charité est un amour par lequel nous aimons Dieu vraiment, sincèrement et gratuitement, du fond du cœur, et pour lui-même et non point en vue d’une créature, mais pour lui seul. Cette charité, quelque faible qu’elle soit, est toujours un fruit de l’amour pur de Dieu, sans aucun mélange de concupiscence. C’est cet amour là qui nous porte à croire, car autrement notre foi serait semblable à celle des démons, laquelle est née de la crainte des peines ou de l’amour des créatures. La foi naît d’un amour commençant qui soumet l’intelligence de l’homme à l’autorité de Dieu et la captive sous l’obéissance de Dieu. Cette charité imparfaite ne suffit point à la justification, car elle n’aime pas Dieu par-dessus tout. Ce n’est qu’une simple complaisance qui n’est pas assez forte pour vaincre tout ce qui s’oppose à la bonne volonté ; c’est un amour par lequel on aime sincèrement Dieu, mais pas d’un amour parfait ; c’est la petite charité. Elle ne justifie pas encore, car la justification ne se produit que lorsque l’amour de Dieu l’emporte sur la concupiscence. Cette petite charité fait que la vérité éternelle qui nous révèle les mystères nous plaît et fait naître en nous un certain respect, une certaine révérence. C’est en cela précisément que la foi se distingue de la charité ; elle a le même objet que la charité parfaite : à savoir, Dieu aimé pour lui-même, sans aucune considération de récompense mercenaire, c. vu.

2. L’espérance (c. viii-xii). — Enfin Jansénius aborde directement la question de l’espérance dont il parle parfois dans les deux chapitres p/écédents. L’espérance procède de l’amour. C’est un mouvement qui porte l’âme vers le bien absent et l’encourage à poursuivre des choses difficiles à atteindre, dont l’amour a engendré le désir. L’espérance vient donc de l’amour qui se porte vers le bien par le désir. Parce que la vérité et la justice commencent à être aimées, l’amour de Dieu devient l’espérance de posséder celle vérité et cette justice, par le fait même que ce bien, grand et ardu, nous attire et nous apparaît comme pouvant être atteint, c. viii.

L’espérance chrétienne ne naît donc pas de l’amour