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395 JANSÉNISME, L' A UGUST1NUS. T. 111. LA GRACE SUFFISANTE 396.

pas, car l’un quelconque de ces pouvoirs suffit pour qu’on puisse dire que l’acte ne lui est pas impossible. Mais il n’y a que le dernier pouvoir qui soit un pouvoir prochain et complet et, sans celui-ci, on n’a pas, en fait, tout ce qu’il faut pour agir. Mais alors les infidèles ou les fidèles qui n’ont qu’un des trois premiers pouvoirs sont excusables, puisque ces trois pouvoirs sont imparfaits, puisque, s’ils sont seuls, sans le dernier, il est impossible que le précepte soit réellement observé, aussi certainement qu’il est impossible de voler sans ailes.

A cette objection, Jansénius répond d’abord en disant qu’il y a une différence entre agir et pouvoir agir. Si tous les hommes avaient le pouvoir prochain (le quatrième), c’est-à-dire, la grâce victorieuse qui donne le vouloir et fait faire le bien, les commandements ne seraient pas seulement possibles, mais ils seraient toujours accomplis, car ce pouvoir n’est pas autre chose que Yaction elle-même. Ainsi Dieu ne nous commande rien d’impossible en ce sens qu’il ne commande rien sans que nous ayons un des quatre pouvoirs ; mais, en commandant, il nous avertit de faire ce que nous pouvons (avec les trois premiers pouvoirs de nature, de foi et de petite charité') et de demander ce que nous ne pouvons pas faire, c’est-à-dire de prier continuellement, afin que Dieu nous accorde le dernier pouvoir, le pouvoir prochain et complet.

Mais ceux qui sont dépourvus de ce dernier pouvoir, de la grâce efficace, sont réellement dans l’impossibilité d’accomplir le commandement ; oui, mais cette impuissance n’excuse pas, car elle accompagne l’action, elle ne la précède pas ; elle n’est pas cause qu’on fait ce qu’on ne voudrait pas faire ou qu’on ne fait pas ce qu’on devrait ; mais elle se rencontre seulement avec la volonté de ceux qui agissent, laquelle ne veut pas, parce qu’elle est attachée à la créature et ne veut pas s’en détourner. Cette impuissance ne vient donc que du défaut de volonté, de son obstination au mal, La volonté est dépravée par le péché antécédent ; si elle était ce qu’elle doit être, elle accomplirait facilement le précepte ; mais actuellement elle ne l’accomplit pas, parce qu’elle ne veut pas fortement et elle ne veut pas fortement à cause de sa perversion, à cause de la dureté du cœur qui s’est rendu esclave du péché. Pourquoi certains ne peuvent-ils pas croire ? Parce que vraiment, ils ne veulent pas croire et ils ne veulent pas croire, parce qu’ils sont attachés au mal par des chaînes que la volonté a elle-même forgées et avec lesquelles elle s’est liée.

L’impuissance ne vient donc que de notre volonté : on pourrait accomplir l’acte, si on le voulait. Qu’on veuille, qu’on veuille pleinement, fortement et aussitôt on accomplira l’acte ; mais on ne veut pas, parce qu’on s’est fait volontairement l’esclave du péché auquel on ne peut s’arracher : ce qui veut dire qu’on veut le péché avec ténacité : obslinata oolunias et voluntaria obstinalio. On ne peut pas, parce qu’on ne veut pas et l’impuissance actuelle est la conséquence du choix par lequel volontairement on est devenu pécheur. Dès lors, cette impuissance, au lieu d’excuser rend plus criminel. La nécessité où nous sommes de faire le mal ne détruit point la liberté, parce qu’elle est née de l’obstination de la mauvaise volonté qui fait adhérer au mal d’une manière permanente ; on fait le mal avec toute la liberté possible, puisqu’on le fait quand il plaît et les actions continuent d'être mauvaises comme les actions qui dérivent d’habitudes mauvaises. L’impuissance réelle, l’absence du pouvoir prochain pour accomplir les préceptes n’excusent donc pas, puisque cette impuissance, cette absence de pouvoir sont nées de la corruption de notre nature, sont une peine du péché ; elles n’excuseraient que si elles venaient île la nature et du créateur.

On peut résumer la réponse de Jansénius dans ce dilemme : ou bien les hommes ont toujours tout ce qui leur est nécessaire pour accomplir les préceptes de Dieu et alors à quoi bon prier pour demander des forces que nous avons déjà? et alors comment le concile de Trente peut-il dire que Dieu ne commande rien d’impossible, mais en commandant nous avertit de demander ce que nous ne pouvons pas ? Ou bien les hommes n’ont pas toujours tout ce qu’il faut et alors ils sont parfois dans l’impuissance de faire ce qui leur est demandé, c. xv.

Mais que penser du texte de saint Augustin dans son Exposition de quelques propositions de l'Épîlre aux Romains, où il dit que la désobéissance de Pharaon ne i.ii aurait point été imputée, parce que, dans son endurcissement, il ne pouvait obéir et qu’il était seulement coupable de s'être endurci par son infidélité? A l'époque où saint Augustin écrivait cet ouvrage, dit Jansénius, il ne s'était pas encore complètement dépouillé d’une opinion semi-pélagienne sur l’indifférence qu’il admettait même dans la nature corrompue ; mais depuis, sa pensée s’est précisée : avant le péché, l’homme pouvait indifféremment se porter au bien ou au mal, parce qu’il n'était pas esclave de la concupiscence. Aussi le péché d’Adam fut un vrai péché, un péché pur et complet. Cela n’est rigoureusement exact que du seul péché originel, car ce péché fut chez Adam le fruit de la seule liberté ; il y a encore des restes de cette liberté ; mais la grâce médicinale est devenue absolument nécessaire pour éviter le péché. Ainsi Pharaon ne put obéir aux ordres de Dieu et cette impuissance ne venait point de son libre arbitre, mais du châtiment des péchés antérieurs ; sa désobéissance ne lui est point imputable comme venant actuellement de sa liberté, mais comme étant la punition méritée. par le mauvais usage de sa liberté, c. xvi.

Les préceptes, conseils, exhortations ne sont pas inutiles à ceux qui n’ont aucune grâce suffisante, car la grâce ne fait pas le bien toute seule ; il faut aussi la volonté ; or les conseils, les exhortations servent au libre arbitre avec le secours de la grâce. Cela indique ce que l’homme doit faire par sa propre volonté, afin que, s’il le peut, il fasse ce qui est ordonné et afin que. s’il ne le peut pas, il gémisse de la faiblesse engendrée par le péché et il demande les forces nécessaires. Dieu a établi tous ces moyens pour le salut des hommes ; il faut se servir de ces moyens, bien qu’en fait ils soient inutiles, si Dieu, par un mouvement intérieur de sa grâce, ne touche pas le cœur et ne le gagne pas pour qu’il profite de ces préceptes, de ces conseils, de ces exhortations, de ces châtiments.

Tous ces moyens ont pour effet : a) de faire connaître à l’homme ce qu’il doit faire et de dissiper son ignorance ; b) d’engager à remercier Dieu, s’il donne la grâce d’exécuter ce qui est proposé et connu, de prendre conscience de son infirmité et d’exciter à demander la grâce, si Dieu ne l’a pas donnée ; c) de rendre inexcusables à leurs propres yeux ceux qui n’obéissent pas aux commandements, scientes peccanl ; d) de faire connaître le juste châtiment de Dieu à la volonté orgueilleuse qui est instruite et qui peut constater sa faiblesse et ses désordres ; e) de servir à ceux qui recevront la grâce et qui sont prédestinés ; f) d’apprendre que ces moyens ne servent que si Dieu donne sa grâce parce que, sans la grflee, la volonté est aveugle, inerte, esclave du péché.

En tout cela, la justice de Dieu ne saurait être incrimine^ car Dieu n’est pas tenu de donner à l’homme pécheur la grflee qu’il lui donnait avant son péché, ni de substituer à la grâce qu’il accordait à Adam innocent une grflee nouvelle qui puisse réparer les forces de l'âme perdues par la mauvaise volonté de l’homme cl lui rendre le pouvoir de faire le bien, c. xvii.