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391 JANSÉNISME, L’AUGUST I NUS. T. III. LA GRACE SUFFISANTE 392

Ainsi l’Ancien Testament n’est qu’un état figuratif et prophétique ; il ne révèle point les mystères et il laisse la première place aux choses temporelles. Peu de juifs ont compris cela ; presque tous acceptaient les figures en elles-mêmes et pour elles-mêmes et s’y attachaient à la lettre ; c’était la servitude charnelle avec la crainte des châtiments et l’apparence des vertus. Les juifs ignoraient la grâce cachée et voilée dans l’Ancien Testament, car la grâce commence par la foi et opère par la charité. C’est pourquoi les juifs, pour la plupart, ont nié l’auteur de la grâce de qui ils n’attendaient d’autres biens que ceux que pouvait leur procurer un roi de la race de David. Trop grossiers pour comprendre, ils ont rejeté le médecin dont ils ne croyaient pas avoir besoin. La grâce donnée aux juifs fut plutôt une grâce empêchante, car elle ne faisait qu’éclairer leur intelligence, en excitant la concupiscence et en augmentant les mauvais désirs, c. vin. L’Ancien Testament n’était donc pas un état de justice, mais un état de péché et de mort. Il y avait bien peu de justes qui eussent la foi de Jésus-Christ et la grâce pour accomplir vraiment la loi. Presque seuls, les patriarches et les prophètes attendaient le Messie et les biens éternels dont la félicité temporelle n’était, à leurs yeux, qu’une figure. Eux seuls, quoiqu’enfants de l’Ancien Testament, étaient cohéritiers de Jésus-Christ, et, à ce titre, ils ont reçu des grâces efficaces. La plupart des juifs étaient esclaves des promesses temporelles et attachés aux signes ; aussi l’Ancien Testament a peu servi aux juifs ; il a servi surtout aux chrétiens, qui, avec le Nouveau Testament, ont compris les figures de l’Ancien, c. ix.

Après avoir montré que la grâce suffisante a été refusée aux juifs, Jansénius montre qu’elle est refusée aux pécheurs aveugles et endurcis : ceux-ci sont privés de tout secours suffisant, car ils ne peuvent ouvrir les yeux et se tourner vers le bien. Cet aveuglement est la peine de leur péché. Dieu ne les aide point ; il les abandonne complètement de telle sorte qu’ils ne peuvent vouloir le bien et qu’ils ne peuvent même pas le voir, c. x.

b) Les infidèles. — Les infidèles manquent également de la grâce suffisante éloignée et prochaine et leurs œuvres sont toutes des péchés ; en effet, ils n’ont pas la foi, or la foi est la première grâce, car il fauttout d’abord connaître Dieu. Ils ne peuvent avoir une grâce suffisante de foi sans que les vérités à croire leur soient proposées ; donc ils ne peuvent aimer Dieu qu’ils ne connaissent pas ; ils sont privés de la vraie foi qui est absolument nécessaire pour bien agir, car il est impossible de bien faire quand on croit mal ; sans la foi, il ne saurait y avoir la moindre volonté du bien, car celle-ci est inspirée par la foi. La foi règle l’intention et l’intention bonne fait la bonne action. La grâce, autrement dit, l’amour de Dieu, la charité, vient par la foi qui en montre la nécessité et qui fait implorer la grâce. Ainsi la conversion d’une âme commence toujours par la foi ; par la foi, l’âme connaît son infirmité et implore l’assistance de Dieu, ce qu’elle ne saurait faire, si la foi n’avait préalablement fait connaître le libérateur.

En résumé, pour saint Augustin, être sans foi, c’est être sans grâce et sans charité, esse sine // sine gratta = esse sine charitate ; car la foi est la base de toutes les vertus. Celles-ci ne sont et ne peuvent être qu’apparentes, si la foi ne règle pas les intentions et ne nous apprend pas à recourir à l’auteur de la grâce, c. xi.

Les infidèles n’ont pas même des grâces suffisantes pour garder les préceptes d’ordre naturel. Qu’est-ce d’ailleurs que cette grâce inventée par les semi-pclagiens ? Ils imaginent en Dieu la volonté de sauver tous les bommes ; par suite, Dieu doit accorder à tous, même aux infidèles, des grâces suffisantes pour obser ver la loi naturelle et se sauver. Ces prétendues grâces ne sont que des secours extérieurs incapables de porter au bien qu’il faut aimer pour lui-même, sans considérer autre chose que Dieu, auteur de tout bien. Tout autre motif est vicieux ; seule, la charité permet de faire le bien. En dehors de la grâce, il n’y a que l’amour des créatures ou la crainte des châtiments et ces deux principes ne sauraient détruire le péché et faire accomplir vraiment le précepte, c. xii.

c) Les justes. — Dieu n’accorde de grâce suffisante ni auxjuifs niauxinfidèles, ni mêmeauxjustes qu’il abandonne quelquefois Sur ce point, se présentent de nombreuses objections. Saint Augustin dit formellement que Dieu n’ordonne jamais des choses impossibles, or, il ordonne d’obéir au Décalogue, donc il doit donner des grâces suffisantes pour obéir au Décalogue ; d’autre part, les in fidèles pèchent, quand ils violent les lois naturelles, donc ils doivent avoir les grâces suffisantes pour les observer, autrement Dieu leur ordonnerait des choses impossibles. Enfin, les prédications, les remontrances, les exhortations, les conseils sont inutiles, si on n’a pas les grâces suffisantes pour les suivre. Toutes ces objections, répond Jansénius, sont tirées de la raison humaine qui devrait se taire ; pour le moment, il ne veut parler que de la possibilité des commandements.

3. Impossibilité d’accomplir certains commandements (c. xiii-xiv). — Le principe de saint Augustin est que Dieu ne commande que ce qu’on peut faire ou par ses propres forces ou par des forces étrangères auxquelles on peut recourir. Dieu commande des choses que l’homme ne peut pas faire par lui-même mais qu’il peut faire avec la grâce ; cela suffit pour qu’on puisse dire que ces commandements sont possibles, puisqu’ils peuvent se faire de quelque manière et que Dieu les commande, afin qu’ils deviennent possibles. Lorsqu’il commande des choses que nous ne pouvons faire et qu’il ne nous accorde pas la grâce nécessaire pour les accomplir, c’est afin que nous nous mettions en peine de l’obtenir, ce que nous ne ferions pas, si nous avions toujours la grâce. Deus impossibilia non jubel, sed jubendo monet et facere quod possis et petere quod non possis, et le concile de Trente ajoute : et adjuoat ut possis. Donc si Dieu commande des choses que l’homme ne peut faire par ses propres forces et, en même temps, soustrait son secours qui permettrait d’exécuter l’ordre, ce n’est point pour désespérer l’homme et le faire pécher, mais pour l’humilier et lui apprendre à demander le secours divin dont il est privé. Ainsi Dieu a donné la loi au peuple juif pour lui faire constater son impuissance et l’obliger à demander sa grâce ; il commande à des hommes estropiés de marcher droit, afin que, reconnaissant qu’ils ne le peuvent faire, ils aient recours à un médecin. Dieu donc ne commande rien qui soit absolument impossible, car si nous ne pouvons obéit* à ses ordres de nous mêmes, nous le pouvons. quand Dieu nous accordera sa grâce. C’est à lui a commander et à nous donner sa grâce, quand il lui plaît. Il donne la grâce à certains qui la lui demandent a fin de les faire avancer dans la perfection ; il la refuse à d’autres pour les instruire, eux ou les autres et toujours, dans ce refus, il est équitable. C’est pour cela que saint Augustin répète souvent qu’il faut demander a I Heu les secours nécessaires pour accomplir ses commandements.

De ce principe, Jansénius déduit les conséquences suivantes : a) Il y a quelques préceptes qui sont impossibles dans l’état et avec les forces que nous avons : c’est ce qui arriva au peuple juif et ce que prouvent h s prières que nous faisons pour obtenir de Dieu ce que nous ne pouvons pas faire. — b) On n’a pas toujours la grâce qui Bufflt, c’est-à-dire, celle avec laquelle nous pouvons réellement accomplir un précepte, puisque