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efficace seule est vraiment suffisante pour produire I l’acte ; seule, elle donne le vouloir et l’ael ion. Le secours de simple possibilité a été inventé par les pélagiens et il a été condamné avec les Marseillais, parce qu’il permettrait à l’homme de s’attribuer ses œuvres et il rendrait la prière inutile, étant donné que la grâce suffisante est accordée à tous ; bref, cette grâce serait préjudiciable à l’homme, puisqu’elle étouffe la prière et nourrit l’orgueil, c. i.

La grâce suffisante est un bienfait de la nature plutôt qu’un don du rédempteur ; elle est due à la nature et elle n’est point une grâce du rédempteur dont le but est de guérir l’infirmité de notre nature blessée par le péché ; la grâce suffisante ne peut être utile qu’à la nature saine ; aujourd’hui, l’homme déchu a besoin d’un remède. Si un homme est laissé en prison sans nourriture, il ne peut vivre ; si, ensuite, on lui donne une nourriture, cette nourriture ne saurait le guérir, car, en soi. les aliments ne sont pas des remèdes. Aussi la grâce de Jésus-Christ n’est pas seulement une grâce t alimentaire ; c’est une grâce médicinale ; une grâce qui donne non seulement le pouvoir d’agir, si on veut, mais qui donne de vouloir ce qu’on peut. Bien plus, la grâce suffisante serait pernicieuse, car elle ne peut que faire encourir une plus grande damnation, puisqu’elle ne servirait qu’à rendre nos péchés plus énormes ; cette grâce demeure toujours sans effet réel, puisque de cette grâce jamais personne n’a usé, n’use et n’usera. Il vaudrait donc mieux ne pas recevoir une telle grâce qui rend criminel quand on la reçoit, car elle ne permet jamais de faire l’acte, tandis que l’homme est innocent, s’il ne la reçoit pas, c. n.

C’est une grâce « monstrueuse qui n’a jamais son effet, quoiqu’elle puisse toujours l’avoir et qui, par suite, conduit à une damnation plus terrible ; grâce singulière » que notre volonté pourrait transformer en grâce efficace. Ainsi on retrouverait la grâce des anges et de l’homme innocent, ce qui serait nier la chute et le péché originel. Jansénius fait la même observation pour la grâce congrue de Suarez, quæ dal potse si vellet et non velle quod pussit, c. in.

Les nouveaux théologiens prétendent que cette grâce suffisante est accordée à tous les hommes, mais cette opinion est absolument contraire à la pensée certaine de saint Augustin : la grâce de Jésus-Christ ne peut être inefficace relativement à ce pour quoi elH est donnée ; aussi le grand docteur oppose cette grâce à la loi et à la doctrine qui ne font qu’ajouter la prévarication au péché, parce que la loi n’était donnée que pour humilier les orgueilleux et leur faire connaître leur impuissance radicale à observer la loi. C’est donc que la loi n’était pas toujours accompagnée de la grâce, puisque la loi ne produit directement que le péché ; puisqu’il faut demander la grâce d’accomplir la loi, c’est donc qu’on n’a pas toujours la grâce suffisante pour l’accomplir. La loi est donnée à l’hommeepour qu’il demande à Dieu la grâce de l’observer, c. iv. £ Jansénius complète ce qu’il a dit ailleurs de la loi et de son impuissance. La loi a été donnée aux juifs « ans aucune grâce suffisante dans le dessein de confondre leur orgueil et de leur apprendre, par expérience, la nécessité de la grâce. Aussi, la loi, sans la grâce, est, en elle-même, plutôt pernicieuse, car elle entretient et développe la concupiscence. Dieu, encore aujourd’hui, agit de la même manière à l’égard de quelques chrétiens qu’il abandonne à leurs passions, en leur refusant sa grâce ; alors ces chrétiens, par leurs propres forces, non seulement ne peuvent pas modérer leurs passions, mais encore ils y succombent et, ainsi, ils apprennent leur faiblesse et ils sont amenés à demander la grâce qui, seule, peut leur donner la victoire, c. v.

2. La grâce suffisante et les diverses catégories

d’hommes (c. v-xii). — a) Les juifs. — Pour compléter sa thèse. Jansénius décrit la condition de ceux qui vivaient sous la loi. Dieu a d’abord traité les hommes comme des enfants incapables d’user de leur raison ; il leur a donné une loi toute charnelle et leur proposait des récompenses temporelles et terrestres. Les hommes, alors, adoraient Dieu en tant que distributeur de ces seuls biens temporels, ils l’aimaient d’un amour mercenaire, charnel, vicieux ; comme l’avare aime Dieu et le glorifie de ce que ses greniers sont pleins de blé et ses caves de vin. Cela était vrai même des meilleurs observateurs de’a loi : toujours, ils avaient des mol ifs charnels qui corrom paient leur amour de Dieu. Quelques-uns, très rares, aimaient sincèrement Dieu ; mais ceux-là n’étaient pas enfants de la synagogue, car la synagogue, en tant que telle, n’était qu’un peuple terrestre, lié à Dieu par une religion toute charnelle qui leur était utile en apparence, mais qui, en réalité, était très éloignée de la véritable justice. Ceux qui aimaient vraiment Dieu étaient déjà des enfants de l’Évangile dont l’esprit inspirait leur amour et faisait, par anticipation, couler en eux le sang et la grâce deJésus-Christ.

Cependant Dieu préparait ce peuple à une vie pluj haute, plus divine ; il le préparait à la venue du Messie par une série de prophètes durant des siècles. Dieu, en effet, ne permettait ces désordres que pour en tirer de plus grands biens ; ils se servait de ce peuple pour être le truchement et la figure des mystères du Messie. Les uns en étaient pleinement informés, comme les prophètes ; les autres n’y pensaient point et se contentaient d’observer à la lettre les cérémonies sans savoir leur signification. L’Ancien Testament n’a été que « comme une grande comédie » dans laquelle on représentait tout autre chose que ce qui paraissait au dehors, qui était jouée non pas tant pour elle-même que pour ce qu’elle préfigurait, c’est-à-dire, pour le Nouveau Testament, pour l’Église. On a beaucoup reproché à Jansénius cette comparaison ; Arnauld s’est appliqué à la justifier. Seconde apologie, Œuvres, t. xvii, p. 163sq.

Par cette crainte et par cet amour charnel, les justes alors gardaient charnellement ou plutôt croyaient garder le Décalogue et les méchants le violaient ouvertement. Toute leur justice naissait de cet amour et de cette crainte ; aussi elle n’était qu’apparente et les juifs ne l’emportaient guère sur les gentils. Leur seule supériorité venait de ce qu’ils s’adressaient au vrai Dieu pour obtenir les biens de la terre, tandis que les gentils demandaient ces biens aux idoles et au démon ; les uns et les autres n’aimaient la divinité que pour eux-mêmes et pour obtenir d’elle des biens temporels.c. vi.

Les fils de l’Ancien Testament avaient la loi, mais ils n’avaient aucune grâce suffisante pour l’observer ci. pour faire leur salut ; leur esprit était attaché à la terre et ils ne songeaient point à la vraie justice laquelle suppose la charité. Dans l’Ancien Testament il n’y avait et il ne pouvait y avoir qu’une observation toute matérielle et terrestre, née de l’amour ou de la crainte des choses temporelles. Et les juifs se sont glorifiés, comme l’ont fait les gentils, de cette observation toute matérielle qui constitue une vraie faute. En effet, celui qui observe un précepte par crainte ou par amour charnel, l’accomplit à contre cœur, malgré lui et il est coupable de violer la loi plus que digne de louanges pour L’avoir observée, car il ne l’a observée qu’extérieurement. Il est impossible d’observer vraiment un précepte sans aimer la justice de ce précepte ; sans cet amour, on n’obéit point à la loi, on n’accomplit pas même un seul précepte. Il était réservé à l’Évangile de donner a l’homme’cet amour victorieux pour le bien-aimé en lui-même. L’esprit de l’Évangile est la plénitude de la loi, c. vu.