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301 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. ŒUVRES DES INFIDÈLES 362

Pourtant certains textes de saint Augustin semblent donner raison à l’interprétation de Suarez. Ainsi au c. v du livre De la prédestination, le docteur dit que les œuvres du centurion Corneille sont allées jusqu’au ciel ; c’est que, répond Jansénius après Augustin, le centurion, comme quelques Juifs, avait la foi. De même, la continence de Polémon était un don de Dieu ; d’ailleurs, il faut distinguer soigneusement la continence elle-même et l’œuvre de la continence ; l’action, ne se rapportant pas à la seule fin légitime qui est Dieu, est un péché parce qu’elle ne saurait être l’œuvre d’une volonté bonne (pas de volonté bonne sans la foi). Il faut remarquer encore que Dieu a parfois accordé aux infidèles des secours pour les empêcher de faire des actions plus mauvaises. Saint Augustin distingue aussi les actes bons matériellement, objectivement ; il distingue l’acte et la fin, ofjicium et finis ; il est louable de faire l’acte bon matériellement et, si on ne le faisait pas, on serait plucoupable, mais, pour que l’acte soit complètement bon, il doit tendre à la fin requise, c. v.

Jansénius examine d’autres passages de saint Augustin. L’action de Dieu dans les œuvres des infidèles est une action de sa Providence générale qui agit véritablement en tant qu’elle permet le bien ; parfois même Dieu peut tourner le cœur de l’homme au mal pour en tirer du bien. S. Augustin avait d’abord dit que, avant la grâce, l’homme peut vouloir bien vivre et ne pas pécher et que la volonté avait besoin de la grâce pour faire ce qu’elle voulait ; mais il a rejeté plus tard cette opinion, car il enseigne que le commencement de la bonne volonté vient de la foi et que la foi vient de la grâce de Jésus-Christ.

Saint Augustin parle aussi d’actions bonnes faites par les impies ; sans doute, on peut les louer. Cependant il faut rappeler la dictinction établie par S. Augustin entre le devoir qu’on doit remplir et la fin pour laquelle on doit le faire, officiumeslquodfaciendum, finis vero propter quod jaciendum est. Or saint Augustin appelle souvent œuvre bonne Vofficium seul, l’acte objectif commandé, alors qu’en fait, cet acte, bon en soi, est mal fait, non bene bonum faciunt. Ainsi faire l’aumône est une œuvre bonne par son objet, mais elle est une œuvre mauvaise, si elle n’est pas faite pour Dieu ; ainsi encore les Romains ont fait des œuvres bonnes dont Dieu les a récompensés, en leur donnant l’empire, écrit S. Bonaventure : mais, dit S. Augustin, ce sont des œuvres de gloire humaine, vera vitia… perceperunt mercedem suam, c. vi.

Telle est aussi la doctrine des disciples de saint Augustin, de saint Fulgence et de saint Prosper. Ce dernier a écrit au chapitre xvi de son poème De ingratis, ce passage resté célèbre parmi les jansénistes et traduit par M. de Sacy :

Car, si nos actions, quoique bonnes en soi Ne sont des fruits naissant du germe de la foi, Qjelqu’attrait spécieux qui nous les rende aimables, Elles sont des péchés qui nous rendent coupables ; Et la gloire stérile enflant la volonté Augmente son supplice avec sa vanité.

Les pélagiens, de leur côté, regardent cette doctrine comme étant celle de saint Augustin, pour la combattre. Contre Julien, saint Augustin déclare formellement que les païens ne peuvent triompher d’un péché que par un autre : aliis peccalis alia peccata vineuntur, c. vu.

Les vertus des philosophes sont également de véritables vices et ceci est la conséquence logique des principes déjà posés : leurs vertus ne sont que de fausses vertus ou plutôt sont des vices revêtus d’apparences vertueuses, elles n’ont même pas un commencement de bonté, car il leur manque l’intention, la volonté bonne ; les philosophes ont, tout au plus,

de bonnes habitudes par rapport à l’objet des vertus. Ces vertus, en tant qu’elles ne rendent pas les hommes meilleurs en les faisant agir, ne sont que des fantômes, c. vin. Telle est, comme le montre Jansénius, l’opinion de saint Prosper, de saint Jérôme, de saint Ambroise et d’Origène. Saint Prosper, en particulier, dit que ces prétendues vertus sont plus nuisibles qu’utiles, non prodesse, sed obesse, c. ix.

Jansénius justifie cette théorie par la nature c| la fin de la vertu, La vertu, dit-il, est une habitude de l’âme, une affection habituelle de la volonté : sa nature dépend de la volonté de qui elle vient ; elle naît d’un amour de la volonté, or tout acte de la volonté se fait pour une fin ; dès lors, la vertu ne doit pas seulement regarder l’acte matériel et objectif, considéré en lui-même et pour lui-même, mais encore la fin que prescrivent l’ordre et la sagesse et dans laquelle la volonté se repose. Or la seule fin de l’homme est Dieu. Voilà ce que dit la raison. Le philosophe, au contraire, désire jouir de ce dont la vérité nous ordonne de nous servir seulement. Cette conception erronée trouble l’ordre, en transformant l’amour transitoire des créatures en un amour permanent, c. x.

En conséquence, les vertus des épicuriens et des stoïciens doivent être blâmées comme celles des Romains, à cause de la fin qu’ils ont poursuivie dans leurs actes : ils rapportaient leurs actes ou au corps ou à l’âme. De là les deux écoles épicurienne et stoïc : enne. Les épicuriens placent la fin de l’homme dans les voluptés du corps et leur doctrine est rejetée par tous les chrétiens et par la majorité des philosophes eux-mêmes. Les stoïciens placent la fin de l’homme dans l’âme (puissance, beauté des faits et des paroles, vertu en elle-même) : c’est l’orgueil, le vice des Romains les plus célèbres qui n’ont poursuivi que la gloire etles louanges… autant de vices, dit saint Augustin, pompatica effigies uirtutis, c. xi. Ainsi l’orgueil se cache sous les prétendues vertus des Romains et des philosophes : tous placent la fin de leurs actes dans les choses créées, aimées et recherchées pour elles-mêmes ; c’est le renversement de l’ordre. De là naissent les différents vices : gourmandise, colère, avarice, curiosité, vanité, ambition, et, par-dessus tout, orgueil. L’orgueil, en effet, est le fond de toutes les vertus païennes qui adorent la raison et ne cherchent la vertu que pour elle-même. Épicuriens et stoïciens vivent selon la chair, parce qu’ils vivent selon l’homme ; les premiers pour le corps, les seconds pour l’âme, ni les uns ni les autres pour Dieu, notre fin dernière à qui toutes nos actions doivent se rapporter. Ce devoir s’impose au chrétien, et à tout homme, car il découle non point de la Rédemption, mais de la Création, non point d’une loi positive de Dieu, mais de notre nature même. Si on relève les vertus des grands hommes de l’antiquité, c’est à cause de la fausse idée que les philosophes ont de la vertu, ils ignorent quelle doit être la fin unique de nos actes ; ils confondent la fin des vertus avec leur office, l’action elle-même avec la fin qu’on doit avoir. Or, la différence essentielle entre la vertu et le vice vient non de l’action regardée en elle-même, mais de la fin, qui seule, spécifie l’action et la fait être ce qu’elle est. C’est la fin qui gouverne la volonté et lui imprime le mouvement ; aussi les hommes se trompent dans les jugements qu’ils portent sur les actions, parce qu’ils les considèrent en elles-mêmes et les apprécient mal, même quand ils prêtent attention à la fin, parce que leur aveuglement les empêche de discerner la fin que l’homme doit avoir dans ses actions. Donc-, il ne SUlïll pas de « lire que les œuvres des païens sont stérile, et ne méritent rien devant pieu ; ce sont la des atténuations de la vérité pure et simple, des inventions humaines de notre esprit qui veut nous rendre indépendants de Dieu et qui