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357 JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. II. PEINES DU PÉCHÉ ORIGINEL 358

volonté reste sans force ; bien plus, la défense de faire le mai augmente le désir de pécher. Sans hyperbole, dit Jansénius, on pourrait faire un volume entier avec les textes de saint Augustin sur ce sujet : Avant la loi et sous la loi, avant que la grâce de Jésus-Christ ne délivre la volonté captive du juste ou même avant la foi sans laquelle la volonté ne peut être délivrée, l’âme n’a aucune liberté pour le bien et elle ne peut s’arracher à la servitude du péché, c. vi.

Pour confirmer son interprétation de la thèse augustinienne. Jansénius s’appuie sur la nature de la grâce de Jésus-Christ essentiellement libératrice, d’après saint Augustin ; c’est donc que l’âme est esclave. La grâce confère à la volonté la liberté du bien et elle suppose la foi. Seule, la délectation céleste répandue dans l’âme par le Saint-Esprit nous délivre de la délectation terrestre’qui nous asservit et permet de dominer et de subjuguer la cupidité. Seul, l’amour de la justice nous rend vraiment libres ; la crainte de la peine ne suffit point, car elle n’est qu’une forme de la concupiscence et de l’amour des créatures. La définition de la liberté donnée par saint Augustin conduit à la même conclusion : est libre, l’acte qu’on a en son pouvoir ; or. avant la grâce, le bien n’est pas au pouvoir de la volonté. La volonté n’est pas libre de ne pas pécher et de faire le bien, car, pour ne pas pécher et faire le bien, il faudrait pouvoir accomplir toute la loi ; or, la volonté, sans la foi et sans la grâce, peut accomplir quelque loi, mais point toute la loi, c. vu.

Les polémiques de saint Augustin et de Julien prouvent la même thèse. Julien et les pélagiens proclament que la liberté suppose le pouvoir de choisir, avec indifférence, entre le bien et le mal ; contre eux, saint Augustin soutient que le libre arbitre subsiste, lors même que la volonté ne peut faire ou choisir ou vouloir qu’un acte déterminé. Ainsi Dieu, les anges, les bienheureux sont libres et cependant ils ne peuvent faire que le bien ; par contre les démons, les infidèles et ceux qui sont sous la loi et n’ont pas été délivrés par la grâce, ne peuvent faire que le mal. Pour être libre de faire le bien, la volonté doit être délivrée par la grâce, car le péché lui a fait perdre ce pouvoir de faire le bien. A Julien qui l’accusait d’être manichéen, saint Augustin répond que, pour le manichéisme, l’homme, composé de deux éléments, est naturellement esclave de la nature mauvaise, tandis que, pour le catholicisme, la servitude de l’âme est une servitude volontaire, une servitude qui est une peine du péché. Le concile d’Orange a employé les expressions même de saint Augustin, c. vin.

Ce n’est pas tout : par le péché, non seulement l’homme a perdu la liberté de faire le bien, mais encore le pouvoir de s’abstenir du mal, periil libertas abslinendi a peccalo. Par le péché, l’homme a contracté la nécessité de pécher dont, seule, la grâce de Jésus-Christ peut le délivrer. Sur ce sujet, saint Augustin a discuté avec les pélagiens : Julien s’appuie sur des textes allégués par saint Augustin contre les manichéens avant la naissance du pélagianisme, en particulier, sur un texte où le grand docteur déclare que le péché suppose le pouvoir de s’abstenir : unde liberum est abstinere. Mais, dit Jansénius, saint Augustin fait remarquer lui-même que cette définition ne convient qu’au péché d’Adam, au péché qui n’est que péché et non point au péché, peine du péché. Si l’homme avait été créé dans la nécessité de pécher où il naît aujourd’hui, Adam n’aurait point péché, parce qu’il n’aurait pas été libre avec une telle nécessité, mais après la chute, cette malheureuse nécessité de pécher ne supprime pas le péché, parce qu’elle est un châtiment du péché, c. ix.

Cette thèse de saint Augustin exposée formellement dans l’Opus imper/eclum découvert au temps

de Jansénius, se retrouve dans les autres écrits de ce Père, en particulier, dans ses Rétractations. D’ailleurs, elle est une conséquence des principes posés par lui : la volonté n’a aucune force pour résister à la concupiscence dont elle est esclave, pas plus qu’elle ne peut résister à une mauvaise habitude qu’elle a contractée, c. x. Livrée à elle-même, la volonté est donc dans la nécessité de pécher. Comme Julien reprochait à saint Augustin de supprimer la liberté en plaçant la volonté dans la nécessité de pécher, saint Augustin soutient que la liberté peut coexister avec la nécessité de faire le seul bien ou de faire le seul mal. Dieu, les anges, les bienheureux ne peuvent faire le mal ; les méchants, par leurs mauvaises habitudes, ne peuvent s’abstenir de faire le mal et cependant ils sont libres ; de même, la nécessité de faire le mal née de la concupiscence, peine du péché, ne supprime pas la liberté chez l’homme déchu. Le péché originel a enlevé à l’homme le pouvoir de faire le bien, et maintenant, avant la foi et la grâce, il n’a que le pouvoir de faire le mal, absolument de la même manière que les bienheureux n’ont plus que le pouvoir de faire le bien, sans le pouvoir de faire le mal, c. xi.

Saint Augustin soutient cette opinion dans ses écrits soit contre les manichéens, soit contre les pélagiens et il explique cette nécessité de pécher par l’ignorance qui envahit l’intelligence et la concupiscence qui asservit la volonté. Cette double faiblesse tient, d’après les manichéens, ù la nature même ; d’après les pélagiens, le péché n’a rien enlevé à la nature ; d’après saint Augustin, cette nécessité est issue de la première liberté d’Adam ; par sa liberté, l’homme est devenu pécheur et cette corruption pénale de la nature, née de la liberté, a engendré la nécessité de pécher. Ici Jansénius prévoit les protestations des scolastiques et le bruit que fera son livre, mais il doit dire la vérité, c. xii.

Cette doctrine de saint Augustin est d’accord avec la foi catholique. Avant d’être délivrée par la foi et la grâce, la volonté ne peut faire le bien ; cependant la liberté n’a point péri, car la volonté peut, très librement, pécher, bien qu’elle ne puisse par elle-même faire le bien. En effet, l’indifférence entre le bien et le mal n’est pas essentielle à la liberté. Après le péché, la volonté est libre, par elle-même, pour faire le mal ; elle devient libre pour faire le bien, quand elle est délivrée par la foi et la grâce. Ainsi on ne peut agir ni bien ni mal sans la liberté qui intervient dans les deux cas ; mais la liberté suffit pour le mal, tandis qu’il lui faut le secours de la grâce pour le bien. Après le péché, la liberté de faire le bien reste à la volonté en ce sens qu’elle demeure capable de faire le bien et qu’elle peut recouvrer, avec le secours de la grâce, le pouvoir perdu de faire effectivement le bien. Ainsi saint Augustin s’écarte entièrement des théories manichéennes, d’après lesquelles la servitude de la volonté est naturelle à l’homme dont la nature est mauvaise et incapable de tout bien. Pour saint Augustin, cette servitude n’est qu’accidentelle et elle est réparable par le secours de Dieu. Entre le libre arbitre des démons et celui des infidèles, il y a une différence profonde : chez les premiers, la liberté ne saurait être affranchie par la grâce, tandis que chez les seconds, la liberté peut redevenir capable de faire le bien, c. xiii.

Jansénius tire les conséquences de cette thèse. Avant la grâce, l’homme ne peut plus faire aucune action bonne même moralement, car il ne peut ni observer toute la loi morale, ni même faire une seule action bonne, honnête, puisque le péché a corrompu la volonté au point qu’elle ne peut s’abstenir de faire le mal ; avant la grâce, toute action est péché, c. xiv. Par suite, toutes les actions des infidèles sont mauvaises, au moins pour leur motif. Jansénius veut prouver cette doctrine par saint Augustin lui-même : a. la