Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 7.2.djvu/538

Cette page n’a pas encore été corrigée
2325
2326
INTERPRETATION DE L’ECRITURE


mem consensum Patrum ipsam Scripturam sacram inlerprelari. Ce qui tend à suggérer, une fois admis le principe dogmatique de la juridiction ecclésiastique sur l’interprétation des Écritures, qu’à défaut du magistère l’accord unanime des Pères est une de » formes sous lesquelles le sentiment de l’Église se manifeste à nous.

Telle est, au regard même de l’Église la raison d’être de cette règle. C’est dans ce sens également que la théologie en comprend la valeur. « Souveraine, écrit Léon XIII, est l’autorité des Pères chaque fois qu’ils expliquent tous d’une seule et même manière quelque témoignage biblique comme appartenant à la doctrine de la foi ou des mœurs. Car de cet accord même il ressort nettement que, selon la foi catholique, ce point vient des apôtres par tradition. » Encycl. Providenlissimus, Denzinger-Bannwart, n. 1944. « En matière de doctrine dogmatique ou morale le consentement unanime des Pères n’est qu’un mode particulier de manifestation de la foi de l’Église et de son magistère ordinaire, de telle sorte que cette règle ne diffère de la précédente que pour la forme suivant laquelle l’enseignement ecclésiastique est donné, et non pour le fond. » Dict. de la Bible, art. Herméneutique, t. ii, col. C26.

Application de cette règle.

Pour remplir son rôle de règle efficace en matière exégétique, le consentement des Pères est soumis aux conditions générales que le traité De locis theologicis établit pour leur autorité. La vérification doit en être ici d’autant plus stricte qu’il s’agit d’un objet d’ordre plus précis.

1. Cet accord, suivant la formule conciliaire, doit être unanime. Alors seulement il exprime la pensée de l’Église, tandis que des voix isolées, à plus forte raison si d’autres les contredisent, ont chance de ne représenter que des opinions particulières. Bien entendu, il suffit d’une unanimité morale : l’autre serait pratiquement inconstatable et n’existe pour ainsi dire jamais. Cette unanimité morale est, du reste, assez difficile à vérifier. On peut en acquérir une assurance suffisante au profit d’une interprétation scripturaire quand elle apparaît notablement répandue, fermement affirmée chez des Pères d’écoles différentes et d’incontestable autorité, sans soulever nulle part d’opposition. A ces critères il faut toujours ajouter celui du temps. Il ne suffit pas que l’unanimité existe à un moment donné : il faut encore qu’elle s’affirme et qu’elle dure. Si elle venait à fléchir ou à disparaître, ce serait la preuve qu’elle procédait de quelque motif accidentel. Vacant, op. cit., 1. 1, p 552 et t. ii, p. 115.

De toutes laçons, l’unanimité des Pères ne doit pas être affirmée à la légère. C’est un fait positif, et qui demande à être établi preuves en mains. « Il sera utile de ne pas se fier aveuglément aux commentateurs lorsqu’ils allèguent l’autorité des Pères. Il y en a, en effet, qui donnent des conjectures de quelque Père pour un monument de la tradition ou pour un dogme réel. » Trochon, Inlrod. gén., Paris, 1901, t. i, p. 522. t C’est à une facilité indiscrète d’écrire : Omnes Paires consentiiint que nous devons le discrédit qui s’attache de nos jours à l’argument de tradition, tel qu’il a été pratiqué par beaucoup de théologiens et d’cxégètes depuis le xvie siècle. » A. Durand, S. J., Dictionnaire apologétique, art. Exégèse, t. i, col. 1839.

2. A l’unanimité de consentement il faut joindre Videntit^ de son objet. Condition élémentaire de logique, mais que des exégètes compétents n’ont pas cru inu ile de’rappeler.

t Le seul fait du consentement des Pères, surtout en matière d’exégèse, autorise à présumer qu’il n’a pas eu sa cause dans une opinion purement humaine… Cependant ce n’est là qu’une présomption. Il faudra considérer encore l’objet précis sur lequel porte le consentement. .. : il peut arriver qu’il n’y ait pas réelle ment accord sur un seul et même objet. » A. Durand, loc. cit., col. 1838-1839. Suit un exemple caractéristique rappelé par le même auteur d’après Cornely. « Le P. Patrizi : In Actus Ap., viii, 33, a fait une enquête complète de la tradition exégétique au sujet d’Is., Liii, 8 : Generalionem ejus quis ennarabit ? A l’exception de trois auteurs seulement, avant le xvie siècle, tous les auteurs ont interprété ce texte de la génération du Christ, mais 39 de la génération éternelle, 4 de la génération temporelle, 20 de l’une et de l’autre. » D’où il suit qu’il n’y a pas de consentement réel et que les exégètes ont le droit, jusqu’à nouvel ordre, de revendiquer leur liberté.

3. Même unanime et univoque, l’autorité patristique n’a de valeur absolue que dans les limites fixées par le décret conciliaire, c’est-à-dire in rébus fidei et morum. Ce qui exclut les questions qui relèvent de la science profane, où les Pères ne pouvaient avoir que les lumières de leur temps, et réserve leur compétence aux doctrines qui intéressent la révélation. « En effet, écrit le P. Cornely, le témoignage des Pères est à recevoir parce que et dans la mesure où ils sont les témoins de la foi apostolique… Rien n’empêche, par conséquent, que, dans les matières qui ne touchent pas la foi ou les mœurs, comme l’histoire, les sciences naturelles et autres questions de ce genre, nous puissions nous écarter de leurs explications. » Op. cit., p. 611-612. « De l’aveu de tous, l’obligation créée par le décret du concile ne s’étend pas, du moins directement, aux explications philologiques, scientifiques, purement historiques, sans connexion nécessaire avec la doctrine catholique, ni aux applications morales d’un caractère simplement édifiant, alors même que, pour des raisons étrangères à la révélation, les Pères s’accorderaient à entendre, de ce point de vue, un texte dogmatique. A. Durand, loc. cit., col. 1837.

Les progrès de l’exégèse ont rendu les esprits contemporains plus attentifs à marquer ces limites ; mais le principe en appartient à la théologie la plus traditionnelle. Saint Thomas a pris soin de bien distinguer ce qui appartient à la subslanlia fidei et ce qui n’y touche que per accidens. A la différence du premier, ce dernier domaine a toujours autorisé la liberté des opinions. In his quee de necessitate fidei non suht, licuit sanctls diversimode opinari, sicui et nobis. In II Sent., dist. II, q. i, art. 3. Cette diversité, assure ailleurs le docteur angélique, sauvegarde parfaitement la vérité des Écritures. Ibid., dist. XII, q. i, art. 2. Léon XIII cite le premier de ces textes, Enc. Provide ntissimus, Denzinger-Bannwart, n. 1943, et plus loin il reconnaît lui-même que les Pères ont parlé quelquefois prout erant opiniones œtatis in locis edisserendis ubi physica aguntur, Ibid., n. 1948. Dans les controverses récentes sur l’autorité exégétique des Pères, on a vu plus haut quel grand rôle ont joué les principes de saint Thomas. Voir col. 2306,

4. Dogmatique dans son objet, le consentement des Pères, pour s’imposer à nous, doit être encore catégorique dans sa jorme. Cette nouvelle condition est une conséquence de la précédente. La doctrine révélée est, en effet, de celles qui ne permettent pas d’hésitation. Si donc les Pères s’expriment avec une constante fermeté, on peut croire qu’ils s’appuient sur l’autorité de la révélation. Mais, quand ils se contentent d’énoncer une opinion ou une conjecture, il est évident qu’ils ne traduisent plus que leur sentiment personnel.

A cet égard il y a lieu de distinguer entre le caractère des ouvrages. Cornely, op. cil, p. 614, place au premier rang les commentaires proprement dits, puis les traités dogmatiques, enfin les écrits ascétiques et les sermons. Il est clair que, pour avoir la pensée ferme et réfléchie des Pères, ces derniers écrits offrent une moindre garantie que les précédents.