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INFIDÈLES


cisément notre problème du salut des infidèles, et l’un des principes que doit respecter toute solution orthodoxe, celui-ci : « Dieu a une sérieuse volonté du salut de tous les hommes, et donne à tous une vraie possibilité de salut. « Parcourons ce qu’Estius dit là-dessus dans ses divers ouvrages.

1. Dans son ouvrage dogmatique, W a un paragraphe intitulé : « Dans quel sens l'Écriture dit-elle que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ? a In IV Senl., Paris, KiSO, t. I, dist. XLVI, § 4, p. 197. Il y mentionne d’aiiord l’explication donnée par l’Ambrosiaster. admettant une volonté sérieuse, mais conditionnelle, du salut de tous, car « Dieu ne veut pas sauver les hommes malgré eux, mais à la condition qu’ils le veuillent, eux aussi. » P. L., t. xvii, col. 400. Ce que d’autres expriment en ces termes ; « Dieu olTre sa grâce à tous, mais ils ne l’acceptent pas tous. » Cette explication, Estius la rejette. D’abord, parce qu' « elle ne convient pas aux enfants » qui meurent avant l'âge de raison. Cela va de soi, mais on ne la donne que pour les adultes. Ensuite, parce que les « Pères l’ont désapprouvée », même si l’on prend les seuls adultes. Or, en fait de Pères, il ne cite qu’Augustin, avec deux disciples, Prosper et F"ulgence. Examinons-les. — Préoccupé de défendre contre les pélagiens ou semipélagiens la prédestination et la grâce elTicace, deux choses très certaines qui supposent en Dieu la volonté absolue et injaillible d’atteindre un but, volonté qui s’accomplit toujours, mais qui n’est pas universelle, Augustin nie parfois l’existence de cette volonté divine qui n’aurait pas toujours son accomplissement. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 23992401, 2407, 2408. et Capéran, Problhne, etc., p. 128. Quant à ses deux disciples, saint F’rosper d’Aquitaine, contemporain du maître, est plus modéré que lui en élaguant ses formules excessives. Voir AuGusTiNisME, t. I, col. 2525. « Sans rien abandonner de la doctrine du maître, dit M. Capéran, il la présente sous un jour meilleur…, en remettant en lumière une thèse que les semi-pélagiens voulaient à bon droit maintenir et qu’ils croyaient mise en péril par le système augustinien : à savoir, la volonté divine du salut universel, s’affirmant par la concession à tous les hommes des secours nécessaires et suffisants pour se sauver, t II faut croire et professer, dit Prosper, que Dieu veut très sincèrement que tous les hommes soient sauvés, a Le problème du salut des infidèles. Essai historique, p. 135 Et F’rosper ajoute : « Parmi ces hommes, si beaucoup pcrissent, c’est qu’ils l’ont mérité par leur faute : si beaucoup sont sauvés, c’est par un don du Sauveur. Pro Aug. Resp ad cap. object. Vincent., C II, P. L., t. i.i, col. 179. Ailleurs, il dit : « Dieu donc a soin de tous les hommes, et il n’est personne qui ne trouve, ou dans la prédication de l'Évangile, ou dans le témoignage de la Loi (mosaïque), ou dans la nature elle-même, une invitation. Mais l’infidélité des uns, atribuons-la aux hommes eux-mêmes, et la foi des autres, à un don de Dieu. Pro Aug. Resp. ad cap. Gallorum, c. viii, ibnl.. col. 164. Ce qui ne l’empêche pas de rappeler partout le mystère insondalde des faveurs de la prcdestinidion, ci de la distribution inégale des secours, par où il s’oppose à bon droit aux semi-pélagiens. 'oir ci-dessus, col. 1743. Estius ne peut se réclameide Prosper — Saint Fulgence, évêque de Ruspe en Afrique, au commencement du vie siècle, mérite sans doute liien des éloges. Voir Fulgence, t. vi, col. 968 sq. Mais sur ce point de doctrine mieux traité par Prosper, il excède. Sans parler du penchant naturel des Africains pour le rigoiisine et l’outrance, les circonstances extérieures l’ont fâcheusement influencé dans notre question. C’est tonte une curieuse série de réactions exagérées des uns contre les autres. Réagissant contre les semi-pélagiens de la Gaule, le prêtre gaulois Lucidus

exagère la doctrine de saint Augustin sur la prédestination, et ose dire « que Dieu prédestine au mal et à l’enfer tout comme au bien et à la gloire, que, notamment, aucun des gentils morts avant le Christ ne s'était sauvé, et donc, que le Christ n'était pas mort pour eux. » Capéran, op. cit., p. 144. Fauste, évêque de Riez, fait condamner Lucidus au concile d’Arles (475) et, dans un livre écrit sur la demande du concile, il dit non sans raison que « l'Église catholiqiîe a en horreur cette assertion que le Christ n’est pas mort pour tous. » De gralia Dei et libero arbilrio, t. I, c. xvi ; P. L., t. Lviii, col. 808. Et il traite d’ignorance énorme, de déraison et d’impiété l’opinion que la connaissance de Dieu ait manqué aux gentils avant la venue du Sauveur. Ibid., t. II, c. ix, col. 829. Mais Fauste exagère à son tour, et sa réaction contre le prédestinatianisme est gâtée par des emprunts aux.idées semi-pélagiemies. Capéran, p. 145, 146. Voir Fauste de Riez, t. V, col. 2101 sq. Alors les moines scythes, brouillons et querelleurs soit par leurs écrits, soit par leur présence et leurs intrigues à Constantinople et à Rome, attaquent, parmi d’autres questions, le livre de Fauste et cherchent à le faire condamner par le pape Hormisdas. Le pape refuse cette condamnation, dans une lettre à Possessor, son intermédiaire à Constantinople. Tout en louant les ouvrages d’Augustin contre les semi-pélagiens, et en constatant que ceux de Fauste n’ont pas d’autorité dans l'Église, et ne peuvent être lus qu’avec une prudente réserve, il s’en tient, comme document ecclésiastique sur la question de la grâce, aux capitula gardés dans les " archives romaines », De gratta indiculus, Denzinger-Bannwart, n. 129. Cette lettre â Possessor est alors injurieusement réfutée par Maxence, abbé des moines scythes qui, rebutés par le pape, se tournent vers Fulgence et les autres évêques d’Afrique. Voir Hormisdas, t. vii, col. 173, 174 ; Augustin (Saint), 1. 1, col. 2465 ; Augustinisme, ibid., col. 2521. Fulgence, pour condescendre aux instances des moines scythes, et venger son maître, écrit en 523 son livre « de la vérité de la prédestination et de la grâce », où il réagit vivement contre Fauste de Riez, et se montre parfois excessif, particulièrement sur le sujet qui nous occupe, a Fulgence… garde les obscurités (de son maître) sur la volonté divine de sauver tous les hommes et sur la distribution de la grâce. C’est ce point principal où il a été victime des formules violentes d’Augustin i. Augustinisme, loc. cit. Pour la prédestination, il la soutient avec modération et exactitude. Mais il voit trop exclusivement cette volonté absolue et infaillible, qui est la prédestination ; et faute de reconnaître cette autre volonté, antérieure à la prédestination dans l’ordre logique, et non pas absolue comme elle, mais conditionnelle, par laquelle Dieu voudrait sincèrement sauver tous les hommes et leur donner tous les moyens nécessaires pour obtenir le salut, si la lil(erté humaine n’y mettait pas d’obstacle, faute de voir dans cette volonté antérieure le vrai sens du texte de saint Paul : Vullomnes tiomines salvos fieri…, Fulgence, comme son maître, en est réduit à une explication forcée du mot omnes. qu’il développe avec plus de chaleur que de bonheur. De veritate pnedeslinationis et gralia ;, t. III, n. 14-20, B. L., t. lxv, col. 659-662.

Estius avoue que l’explication du texte par une volonté divine arUécédente du salut de tous est non seulement donnée clairement par saint Jean Damascène, mais suggérée par saint Augustin, De spiriiu et littera, n. 58, P. L., t. XLiv, col. 238, saint Jirôme et saint Bernard, et preférée par saint Thomas. Mais, pas plus que saint Fulgence, il ne veut l’admettre. Cependant, à cause du contexte, I Tim., ii, 1, 5, le grand excgète ne veut pas non plus de ces interprétations hasardées par Augustin et suivies par Fulgence, où I’oh détourne