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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES


ne voit pas que celle de l’ecclésiastique ait été plus limitée que celle de son compagnon. Le grand empereur convoque des assemblées générales où les clercs délibèrent avec les séculiers sur toutes les affaires de ses Étals, temporelles aussi bien que religieuses. Mais, tout en faisant des hauts dignitaires ecclésiastiques ses collaborateurs assidus, Charles ne va pas jusqu’à faire des évoques et des abbés des gouverneurs de provinces et de cités à titre permanent, sauf en Saxe. Louis le Débonnaire suit la même politique.

Cependant, dès la mort de Charlemagne (814), l’anarchie féodale commence ; elle se développe avec les invasions des Normands, si bien que l’autorité centrale s’afîaiblissant de plus en plus, elle laissa tomber en déshérence nombre de fonctions dont évêques et abbés devinrent les titulaires, tantôt sur leur propre initiative, tantôt du fait de la confiance des populations. Les évêques-conites ne sont pas rares dans la seconde moitié du ixe siècle et au xe siècle. Cf. P. Viollet, Histoire des insliludons, t. i, p. 388. Parallèlement apparaissent les abbés-comtes, toutefois avec cette notable différence que ce sont des comtes qui deviennent abbés, qui absorbent la dignité abbatiale, ce ne sont pas des abbés qui absorbent la dignité comtale, sauf exception naturellement, à Saint-Riquier, par exemple. Ibid., p. 388-389, avec renvoi à Thomassin, t. ii, p. 489 ; t. vi, p. 583. En d’autres cas, si l’évêque ne s’annexe pas le gouvernement civil, il le contrôle ; tandis que Louis le Débonnaire le chargeait de surveiller le comte, mais en confiant réciproquement à ce dernier la surveillance de l’évêque, Capitulaire de 823-825, a. 14, Boretius, 1. 1, p. 305, l’auteur des faux capitulaires attribue à l’évêque seul relativement au comte un droit de contrôle, Capital., 1. VIT, 293, édit. Baluze, col. 1090-1091, ce qui était d’ailleurs plus un désir qu’une réalité et un capitulaire italien de 876 donne à l’évêque une supériorité effective sur le comte en le déclarant missus permanent du roi, a. 12. Pertz, Leges, t. i, p. 531 ; Viollet, ibid., p. 386.

Le mouvement s’accentuant, il en résulte que « les évêques et les abbés étaient devenus par l’importance des domaines qu’ils possédaient et par les fonctions administratives et judiciaires qu’ils exerçaient de vrais seigneurs féodaux. Un évêque avait, au cours du XIe siècle, au point de vue temporel, les pouvoirs d’un comte. » Fernand Mourret, Histoire générale de l’Église. Paris, 1916, t. vi, p. 184. Seulement ces pouvoirs à peu près indépendants lors de la désagrégation gouvernementale du xe siècle durent se soumettre de plus en plus à l’autorité du suzerain suprême, empereur ou roi, à mesure que cette autorité reprenait son influence sur les diverses seigneuries. Entrés dans la hiérarchie des vassaux et des suzerains, évêques et abbés se virent ainsi obligés de rendre effectivement aux chefs temporels des diverses féodalités nationales les devoirs de la vassalité : l’hommage lors de l’investiture de leurs fiefs ; l’aua ; /71um, c’est-à-dire le service militaire et des subventions en nature ou en argent, et le consilium, ou service de cour, qui consistait à se rendre auprès du prince pour l’aider de ses conseils dans les affaires embarrassantes. Le devoir de Yauxilium et du consilium ou placilum (plaid) pour les fidèles ou les bénéficiers est affirmé dès 851 au Conventus apud Marsnan secundus, a. 7, Kraus, Capital.. t. ii, p. 73, cité par "Viollet, Histoire des institutions, t. II, p. 460, note 4.

C’est en Allemagne tout d’abord que le pouvoir central en renaissant se subordonna tous les seigneurs tant ecclésiastiques que laïcs. De là naquit la querelle des investitures. Justement effrayée de l’immense péril de la sécularisation qu’elle courait, l’Église eut recours à des mesures radicales. Au synode romain de 1075, Grégoire "VII prononça l’anathème contre

tous ceux qui recevraient ou donneraient l’investiture d’une charge ecclésiastique quelconque, sans distinguer entre la fonction spirituelle et le fief possédé par le titulaire de cette dernière. Cf. P. L., t. cxlv, col. 1142. Quatre ans après la mort de l’intrépide pontife, le concile de Melfi (1089) interdisait encore à tout clerc de recevoir l’investiture d’un laïc sous peine de déposition, can. 8, cf. Hefele.t. v, p. 344, et il déclarait que les laïcs ne doivent avoir aucun droit sur les clercs. Mais l’état de la société rendait ces mesures extrêmes impraticables. On aboutit à un compromis, au concordat de Worms du 23 septembre 1122 : « l’empereur Henri I"V renonçait à l’investiture par la crosse et l’anneau et le pape Calixte II concédait au souverain la collation des « régales " (participation aux droits temporels du souverain) aux seigneurs ecclésiastiques par le sceptre. » Mansi, t. xxi, col. 273.

Dès lors l’Église reconnaissait qu’au point de vue temporel évêques et abbés faisaient partie de la hiérarchie féodale, en devaient accepter les devoirs et remplir les charges. Il en advint que la participation des clercs aux fonctions publiques, même à celles qui ne leur imposaient pas directement la vassalité, môme aux plus hautes, deint un fait normal. Thomassin en donne de multiples exemples pour tous les pays de la chrétienté. Son c. xxiv du 1. III de sa III « partie est ainsi intitulé ; « Des prélats et des ecclésiastiques qui ont eu rang dans les conseils des rois et dans le ministère. » Il insiste en particulier sur les cas de Suger, de Lanfranc, de Ximénès et sur le rôle des pairs ecclésiastiques en France. Au chapitre suivant (xxv) il pose en principe que les offices de grand chancelier ont été « affectés pour toujours ou très souvent commis à des ecclésiastiques en divers royaumes de la chrétienté, » en France, en Allemagne, en Espagne et en Angleterre, t. vii, p. 320-343. La participation du clergé aux grandes charges de l’État devait durer aussi longtemps que l’ancien régime. Il faut remarquer d’ailleurs qu’au moins en France les souverains n’attendirent pas le plein développement de la féodalité pour appeler les clercs dans leurs conseils, puisque « les chanceliers de France ont tous été ecclésiastiques sous le règne de la seconde race (Carolingiens), tandis qu’au temps de la 3 « (Capétiens) ils furent en partie ecclésiastiques et en partie laïcs ». Thomassin, t. ^^I, p. 334.

Service de l’empereur carolingien, suppléance de l’autorité publique défaillante, service des suzerains, service du roi sous toutes ses formes, l’exercice des fonctions publiques s’impose donc sans cesse au clergé jusqu’à la Révolution. Cette obligation ne fut sentie comme une gêne qu’à l’époque de la réforme grégorienne, après on s’y habitua comme auparavant, la notion même que ce pouvait être une infraction à l’immunité personnelle des clercs n’a que de rares et éphémères survivances. L’Église et le pouvoir civil y voyaient surtout soit un privilège, soit un avantage ; étant donné l’état de la société, on comprend aisément leur accord sur ce point, parce que dans l’ensemble il favorisait le bien public. Sans doute la sécularisation du clergé restait un danger permanent et c’est pourquoi, au xm’e siècle, des textes assez nombreux interdisent encore aux clercs tout office public, cf. P. "Viollet, Histoire du droit civil français, p. 306, avec renvoi à "Vincent de Beauvais, Spéculum doctrinse, 1. X. c. cxx^^, cxxvra, et au xj’siècle, le concile de Trente leur défend de s’occuper des affaires séculières, sess. XXII, CI, De re/orm. : réitération de toutes les sanctions des papes et des conciles De ssecularibus negotiis fugiendis. Mais les mœurs et l’opinion furent les plus fortes jusqu’à ce que la grande tourmente vînt les bouleverser. Nos pères pensaient sans doute que de deux maux il faut choisir le moindre et que les clercs