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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES

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les membres des corps privilégiés (le clergé et la noblesse par opposition au tiers-état) n’étaient ni taillables, ni corvéables.

Sur l’exemption des tutelles, les textes ne révèlent aucun conflit entre les législations civile et religieuse. L’ancien droit français, qui s’est longuement occupt’de la tutelle, ne paraît pas avoir déterminé ce qui était imposé ou ne l’était pas aux ecclésiastiques à cet égard. Cf. P. Viollet, Histoire du droit civil français, Paris, 1905, p. 531-551. Les canonistes citent généralement en faveur de l’exemption des tutelles et curatelles les c. 1 et 2 du titre xlix du III « livre des Décrétales. Cf. Santi, Prælectiones juris canonici, édit. Leitner, t. iii, p. 457. Ces deux chapitres, dont l’un est le canon 14’du concile de Mayence de 813 et l’autre une décrétale du pape Eugène III (1145-1153), défendent aux clercs d’être conducteurs, can. 1, et procurateurs, can. 1 et 2, des biens des séculiers. Il n’y est pas question expressément des tutelles, mais les expressions employées peuvent comprendre ce cas particulier. Gratien, en citant le canon 3°= du concile de Chalcédoine qui permet en certains cas aux ecclésiastiques d’être tuteurs, se sert justement des termes : conducere possessiones aut misceri sœcularibus procuraiionibus (en réalité conducere signifie prendre à bail ou entreprendre des travaux à forfait.) Décret, part. I, dist. LXXXVI, c. 26. L’exception de Chalcédoine au bénéfice des orphelins devait être maintenue, puisque le concile de Mayence de 813, en interdisant aux clercs de plaider devant les tribunaux séculiers, insère la clause traditionnelle excepta defensione orphanorum aut viduarum et qu’au can. 6 il déclare que l’Église doit prêter son appui aux orphelins dépouillés de leur héritage pour leur permettre de le recouvrer. Hefele, t. ui, p. 1139. Cf. Mansi, t. XIV, col. C3 sq.

Quant aux fonctions qui étaient moins une gêne qu’un honneur et un avantage, il faut reconnaître que l’immunité féodale devint souvent le contraire de l’immunité ecclésiastique. Les ofRciers impériaux ou royaux étaient écartés du domaine de l’immuniste et il leur était interdit de lever des recrues ou de rendre la justice sur les terres données par le souverain à l’un de ses « fidèles ». Mais le fidèle n’était pas pour autant dispensé d’envoyer ses hommes au chef de l’État en cas de guerre ou de rendre la justice en son nom. Nous avons vu que, de ce chef, une sorte de service militaire qui, sans impliquer l’obligation d’exercer le métier des armes, entraînait, au moins en beaucoup de cas la présence aux armées, incombait aux évêques et aux abbés. Ces derniers devaient également rendre la justice sur leurs domaines. L’Église ne protesta pas officiellement contre la charge ainsi imposée à ses hauts dignitaires, parce qu’elle ne violait pas à proprement parler l’exemption cléricale : les tribunaux ainsi constitués devenaient en effet des tribunaux ecclésiastiques, bien qu’en réalité on y jugeât tous les crimes et tous les délits, aussi bien ceux de l’ordre séculier que ceux de l’ordre spirituel.

Mais, à partir de la fin du xie siècle, une autre cause que l’immunité féodale poussa les clercs à s’occuper de procès temporels. A cette époque, à Ravenne. puis à Bologne, surtout avec le célèbre Irnerius, le droit romain renaît en Occident. Or les clercs et les moines, qui constituaient presqu’à eux seuls la classe des lettrés, s’adonnèrent en grand nombre à son étude. La tentation était bien forte pour eux d’en tirer profit en se présentant comme avocats auprès des cours séculières, voire même en s’y faisant agréer comme assesseurs. Ils avaient pu d’ailleurs se former, auprès des cours épiscopales ou abbatiales, au maniement d’affaires toutes semblables à celles dont s’occupaient les juges laïcs, puisque, nous venons de le voir, évêques

et abbés avaient une compétence judiciaire universelle sur leurs domaines.

Clercs et moines n’eussent-ils pas pris une telle initiative que d’eux-mêmes plaideurs et juges laïcs auraient eu recours à leur savoir qui était presque un monopole. Il en résulta un envahissement des tribunaux par le clergé séculier et régulier, fort préjudiciable au ministère et à la vie contemplative et contre lequel les conciles furent obligés de réagir. A vrai dire, c’est dès le règne de Charlemagne que le danger apparut, puisque le concile de Mayence de 813 interdit déjà aux moines, parmi d’autres occupations séculières : Contenliones, vel lites, vcl rixas amare. In placitis sœcularibus disputare, excepta defensione orphanorum et viduarum. Conductores sœcularium rerum aut procuralores esse, can. 14. Décrétales, t. III, tit. l, cl. Mais à l’époque carolingienne cette interdiction est isolée, et il faudra attendre plus de deux siècles pour voir les conciles insister, par des décrets multipliés, sur la défense faite aux ecclésiastiques et aux religieux de plaider et de juger en cour laïque. Le concile de Melfi de 1089 s’oppose à ce que certains clercs, acéphales, vivent à perpétuité dans les châteaux, sans doute à titre d’intendants, et leur permet simplement d’y résider temporairement comme aumôniers. Mansi, t. xx, col. C70 sq. Il est probable que ces clercs estaient parfois en justice au nom de leurs patrons. Au début du xii’e siècle, l’abus persiste en Angleterre, il est même aggravé, puisque le concile de Londres de 1102 doit interdire aux ecclésiastiques d’être prévôts, procurateurs des séculiers ou juges des causes où il y a effusion de sang, judices sanguinis, can. 8. Mansi, t. xx, col. 1150. Puis, dans le courant du même siècle, se produit un exode de moines et de chanoines réguliers, qui abandonnent le cloître pour étudier la jurisprudence (et la médecine) afin d’en tirer profit, et les conciles s’efforcent de leur faire réintégrer les couvents et les chapitres. Concile de Clermont, 1 130, can. 5, Mansi, t. xxi, col. 437 ; II « concile de Latran de 1139, can. 9, Mansi, ibid., col. 723 (ce concile renvoie aux constitutions impériales) ; concile de Tours de 1163, can. 8, contre les profès qui enseignent la phj’sique probablement en vue de l’exercice de la médecine, (le physicus était le médecin) et les lois séculières, Mansi, ibid., col. 1179 ; concile d’Avranches de 1172, can. 12, contre les clercs séculiers qui à leur tour envahissent les tribunaux laïcs et deviennent juges sous les ordres des seigneurs. Mansi, t. xxii, col. 140. Lors du 111= concile de Latran de 1179, le mal s’est encore étendu, et la suspense doit être prononcée contre les clercs, y compris les minorés, recevant un salaire de l’Église, qui remplissent les fonctions d’avocats au for laïc, sont intendants de villæ, exercent des juridictions séculières sous les ordres de princes ou d’autres personnages et deviennent leurs justiciers, parce que ncmo militans Deo implicat se negoiiis sœcularibus. Les ecclésiastiques ne pourront plaider que pour eux-mêmes, leurs églises ou les pauvres. Les religieux seront, s’ils enfreignent cette règle, punis encore plus sévèrement. Ce texte est devenu classique en droit canonique et a été inséré dans les Décrétales, t. I, lil. xxxvii, c. 1 ; t. III, tit. i, c. 4.

La réaction n’eut pas toute l’efRcacité désirable et au xine siècle le mouvement est si fort qu’il en résulte un certain flottement dans la législation. Sans doute Honorius III ordonne, en 1218, à l’évêque d’Amiens, de ne pas défendre les clercs qui invoquent le privilège clérical après s’être exposés aux sanctions séculières, en se mêlant de negotiationes illicilæ, termes d’ailleurs un peu vagues, Décrétales, t. III, tit. i, c. 16 ; et de plus jusqu’au début du xive siècle, des conciles maintiennent l’interdiction absolue pour les ecclésiastiques d’être juges, conseillers, assesseurs,