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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES


d’ailleurs que les clercs eux-mêmes aient été victimes de l’abus signalé. Personnellement le roi s’opposait si peu chez les Wisigoths à l’exemption de la corvée, que le IV « concile de Tolède de 633 la décréta (can. 47, Bruns, t. i, p. 235) sur l’ordre de Sisenand.

Bien plus, les ecclésiastiques semblent avoir été dispensés d’une manière générale dans le royaume wisigothique de toutes fonctions publiques. La lex romana Wisigolhorum ajoute en effet à un rescrit de Constantin exonérant les clercs ab omnibus omnino muneribus, l’interpretalio suivante : id est ab omni officio omnique servitio, Lex romana Wisigothorum, t. XVI, til.i.loi 2. Et le III « concile de Tolède, dans le canon que nous venons de citer, excommunie tout juge et tout agent du fisc qui voudrait contraindre un clerc ou l’esclave d’un clerc à s’occuper d’affaires publiques ou privées : in publicis ac privalis negotiis occupare. En vertu de ce principe le IV « concile de Tolède fait, au canon 19, des fonctions curiales, un empêchement à l’épiscopat, décision parallèle à celle du Bréviaire d’Alaric, d’après lequel un clerc ne pouvait être astreint à la curie qu’après avoir été déposé, 1. XV I, tit. I, loi 5 ; cf. 1. On comprend facilement une telle corrélation, car dans l’Espagne wisigothique les canons des conciles de Tolède, véritables assemblées nationales, étaient en même temps des lois de l’État. Cependant l’exonération générale des charges et offices n’empêchait nullement les évêques d’intervenir à maintes reprises dans les affaires publiques, comme surveillants des juges séculiers chargés de défendre les intérêts de la population contre les excès de zèle de ces derniers (111’= concile de Tolède, can. 18 ; IV’concile de Tolède, can. 32 ; Bruns. 1. 1, p. 217, 232 ; cf. Leges Wisigolhorum, t. II, lit. i. De judiciis el judicatis, lois 23, 29, 30), comme collaborateurs de ces mêmes juges dans certains cas (W’^ concile de Tolède, can. 31, ibid., p. 232), comme assesseurs dans les procès de haute trahison à condition qu’il n’y ait pas d’effusion de sang (IV" concile de Tolède, can. 30, ibid., p. 232), comme diplomates. Cf. E. Magnin, L’Église wisigothique, Paris, 1912, t. i. p. 193-194.

Chez les Francs, vers la même époque, le rôle des évêques dans la vie civile et politique n’était pas moindre. Une ordonnance, qui est probablement de Clotaire II, s’exprime ainsi : < l’évêque pourra obliger le comte à réviser ou faire réviser une sentence, si cette sentence a été rendue contrairement à la loi et en l’absence du roi. » Clolarii præscri pi io, a. 6, Boretius, Capil., t. I, p. 19. Des Novelles de Justinien avaient déjà, il est bon de le remarquer, autorisé l’évêque à siéger avec les magistrats si les parties le demandaient, Nov. LXXXV 1, 2, et à recevoir les plaintes des populations contre les magistrats sortis de charge. .Nov. CXXVIII, c. 23 ; VllI, c. 9. Les fonctions gouvernementales et judiciaires se confondaient souvent et, dans la législation romaine, les judices sont les gouverneurs de province. Bien plus, à la fin du vii siècle, au commencement du viii, Limoges, Reims et beaucoup d’autres villes ne paraissent pas avoir d’autre chef que l’évêque, » Paul Viollet, Histoire des institutions, t. i, p. 385, et, prenant la place du comte, ils en prennent parfois le titre (exemple d’Agathon de Bennes et de Reims A la fin du vu’- siècle. Cf. dom Bouquet, t. iii, p. 6.35, cité par Viollet, ibid., p. 388).

Plus logiques que les lois et les canons wisigothiques les conciles mérovingiens n’affirment pas le principe général de l’incompatibilité de la cléricature avec les fonctions publiques. Lœning fait observer qu’on ne retrouve plus à l’époque mérovingienne l’interdiction de la militia stecularis, portée par les conciles de Chalcédoine, d’Angers et de Tours. L’épiscopat franc se contente de défendre aux clercs d’assister à la question et au supplice des criminels (II* concile de Mâcon de 585, can. 19 ; concile d’Auxerre de 578 ou 590, can. 33 et 34 ; Bruns, t. ii, p. 255, 240) et de s’opposer à ce que les judices contraignent les clercs aux actiones publicæ, par lesquelles il faut entendre sans doute l’exercice de la justice séculière (IV « concile d’Orléans de 541, can. 13 ; Bruns, t. ii, p. 204). Ces interdictions n’impliquaient pas pour les clercs la prohibition de siéger volontairement aux tribunaux, quand il n’y avait ni péril de mort, ni mutilation. Cf. Lœning, t. II, p. 314-315.

Sur l’exemption de la tutelle nous n’avons qu’un texte, le 13’canon du IVe concile d’Orléans, qui a l’air de plaider en faveur de cette immunité, puisqu’il invoque l’exemple des privilèges des prêtres païens. Lœning conclut de ce ton apologétique à l’absence de l’exemption dans la législation franque, t. ii, p. 316. En fait, les ordonnances des mérovingiens sont muettes sur ce point et il en est de même pour celles des rois de Tolède.

c) La situation privilégiée faite au clergé, surtout aux évêques et aux abbés, à partir des invasions, même en Orient comme en témoigne la législation de Justinien, tenait à des circonstances passagères, surtout à l’anarchie de l’époque, qui obligeait les populations ou les souverains à recourir aux bons offices des chefs spirituels ; elle pouvait donc disparaître avec ces circonstances elles-mêmes. La féodalité généralisa et régularisa un tel état de choses, en le rendant solidaire de la constitution de la société prise dans son ensemble. D’autres causes moins générales et dont les effets se firent sentir longtemps après qu’elles eurent disparu contribuèrent à affermir les privilèges cléricaux : l’esprit religieux de Charlemagne et de ses premiers successeurs, l’anarchie des x « et XIe siècles pendant laquelle les mêmes nécessités se firent jour qu’à l’époque des invasions, l’hégémonie intellectuelle du clergé aux xii « et xiue siècles. Les résultats de ces influences furent d’ailleurs très divers et même opposés suivant les catégories d’immunités, exemptions des fonctions servîtes et onéreuses d’une part, exemptions des fonctions judiciaires et politiques de l’autre. Les premières se maintinrent sans grandes difficultés ; les secondes, en dépit d’une réaction de l’Église qui se rattache à la querelle des investitures et au mouvement de réforme inauguré par Hildebrand, finirent par disparaître à peu près complètement ; elles constituaient d’ailleurs, aux yeux de beaucoup de laïcs et de l’immense majorité des clercs, plutôt des incapacités gênantes que d’enviables privilèges.

Le respect qu’on avait généralement pour le caractère clérical, respect avec lequel de nombreuses violences individuelles n’étaient pas incompatibles, fit que l’exemption des corvées et des occupations servîtes ou onéreuses en faveur des ecclésiastiques demeura en vigueur par la force même de l’opinion sans que l’Église ou l’État eussent à la rappeler souvent. Il n’y a guère à signaler à cet égard qu’un canon du concile de Melfi tenu en 1089, sous Urbain II, et une constitution de Frédéric II. Le concile, afin d’éviter sans doute que des seigneurs prissent prétexte de l’origine de certains clercs pour les astreindre à des prestations et à des fonctions humiliantes ou pénibles, défend aux évêques d’ordonner des individus de condition servile ou ayant tenu des offices dans une curie soit municipale, soit féodale, can. 11. Mansi, t. XX, col. 676 sq. Frédéric II, par une authentique, renouvela, entre autres dispositions, l’exemption accordée jadis par Constantin on cette matière angarias vtl pnranganns ecclesiis vrl aliis piis locis aul ecclesiasiicis personis imponcrr. Ce texte se trouve encore dans les éditions du (^ode Justinien, I. I, tit. iii, loi 2. On sait d’ailleurs que, sous l’ancien régime,