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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES

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III. Origine juridique.

Les opinions sont sur ce point partagées.

1’De nombreux théologiens et certains canonistes soutiennent que les immunités sont de droit naturel ou tout au moins de droit positif divin. Cf. Ferraris, Promplabibliolheca, i

mot Immunilas, ad li"n, n.7-14.

Ils invoquent d’abord l’usage général des nations où partout les temples, les personnes et les propriétés consacrées à la divinité se trouvent dans des conditions spéciales. Ils allèguent également les privilèges des prêtres et des lévites, le droit d’asile auprès de l’autel dans l’Ancien Testament. Ilsfontremarquerque du moment où les empereurs romains ont cessé de la persécuter, l’Église leur a demandé de respecter non seulement sa liberté, mais encore ses immunités. Enfin ils citent des textes où les souverains pontifes en particulier, en appellent au droit divin aussi bien qu’au droit humain quand il y a lieu de prolester contre la violation de ces mêmes immunités : un des plus récents est celui où Pie IX déclare le service militaire des clercs contraire aux droits divin, ecclésiastique et humain. Lettre du 29 septembre 1864 à l’évêque de Montréal, source de la 32^ proposition condamnée par le Syllabus. Cf. L. Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du saint-siège. Paris, 1913, p. 295-296.

2 » Prenant le contrepied de l’opinion précédente. les régalistes ont prétendu que toutes les immunités n’étaient que des concessions du pouvoir civil, concessions que ce dernier pouvait reprendre si les circonstances l’exigeaient. Cf. Héricourt, Les lois ecclésiastiques de France, t. V, tit. viii.

Les clercs, disaient-ils, sont, en dehors de leur ministère, des citoyens comme les autres. Quant à la propriété ecclésiastique, elle reste, malgré son usage à des fins pieuses, chose essentiellement temporelle. D’ailleurs l’histoire est là qui prouve qu’en fait ce sont des lois civiles qui se trouvent à l’origine des immunités.

3° Enfin, tenant un juste milieu entre ces deux doctrines extrêmes, beaucoup de canonistes estiment que si l’immunité de l’Église et des personnes ecclésiastiques ne tire pas son origine du droit civil (30^ proposition condamnée par le Syllabus, extraite de l’allocution Multipliées inter de Pie IX, du 10 juin 1851), et s’il est inexact de professer avec les Espagnols Cavarruvias et Molina (Schmalzgrueber, op. cit., 1. II. tit. II, n. 97) que l’exemption des clercs et des églises est uniquement de droit humain ecclésiastique, on doit reconnaître qu’un tel privilège, bien qu’ayant son origine dans le droit divin, qui en insinue la convenance, ne s’y trouve pas à titre de précepte strict et .proprement dit, et que la loi n’en a été formulée de façon précise que parles papes et les conciles. Tel est, en particulier, le point de vue de Schmalzgrueber, t. II, tit. II, n. 98 ; de Gonzalez Tellez, c. 8, t. II, tit. i. De judiciis, n. 10 et 11 ; deLessius, De justilia et jure, t. II, c. xxxiii, dub.iv, n. 30, Anvers, 1617 ; de Santi-Leitner, t. II, t. ii, n. 25 sq. ; de Cavagnis, Institutiones juris publici ecclesiastici, t. ii, n. 162 sq., p. 323 sq. ; de Wernz, Jus Decrelalium, t. ii, n. 167 et not. 124. p. 258 ; de Mgr Boudinhon, art. Immunitij de la Catholic encycloptrdia, de New-York, et du P. L. Choupin, art. Immunités ecclésiastiques, du Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1912. Ces auteurs font remarquer, comme Mgr Boudinhon l’indique sommairement, que l’Église ne s’est pas prononcée officiellement sur le point controversé, mais que sa pensée peut être facilement déduite de deux séries de faits : d’une part, elle a souvent protesté contre la suppression par l’autorité civile de certaines immunités en les revendiquant comme des droits qui lui étaient propres. Cf, par exemple, les propositions

30, 31, 32 du Syllabus. D’autre part, elle en a laissé tomber d’autres, telle l’exemption fiscale des clercs, le droit d’asile, sans même tenter de les faire revivre. Bien plus, dans les concordats elle a fait abandon en faveur des gouvernements d’une partie des privilèges cléricaux ; c’est ainsi que dans les États de Costa-Rica, de Nicaragua, de San Salvador, de Guatemala, de Honduras, de l’Equateur, de Colombia, en vertu des conventions passées avec le saint-siège, les causes civiles et même, sauf exceptions nettement déterminées, les causes criminelles des clercs peuvent être soumises aux tribunaux séculiers. Cf. J.-B. Ferreres, Institutiones canonicæ, Barcelone, 1920, p. 104. Il est bien évident que si le privilège du for était de droit divin, au sens strict du mot, le souverain pontife ne pourrait jamais et sous aucun prétexte y renoncer.

Quant aux arguments des deux opinions opposées, ils ne paraissent pas irréfutables. Les usages universels, l’antiquité des décisions ecclésiastiques, les textes pontificaux mis en avant par les tenants de la première prouvent seulement la conformité de la législation canonique avec les principes généraux du droit naturel : il n’en résulte nullement que ce dernier n’avait pas besoin, en la matière, d’être précisé et complété par les décrétales et les canons.

Reste la loi mosaïque, mais tous les docteurs admettent aujourd’hui son caractère transitoire. Les régalistes ont raison d’affirmer qu’en plus d’un cas les constitutions impériales concèdent des immunités aux clercs et aux églises avant que les conciles les réclament. Cependant il ne faudrait pas généraliser ce fait : en d’autres circonstances les « canones » ont précédé les « leges », par exemple, en ce qui concerne l’exemption des hautes charges de l’État. Concile de Chalcédoine et code Justinien. De plus, reconnaître un droit et le créer sont deux choses très distinctes. Enfin les immunités répondent à un sentiment religieux trop général pour qu’on puisse juridiquement les considérer comme des faveurs purement gratuite.> de l’État.

En somme, le développement des immunités est l’œuvre de l’Église, mais leur principe général est un corollaire du droit divin. C’est ce qu’indiquait déjà le concile de Trente quand il invitait les princes à respecter et à faire respecter Ecclesiæ et personaram ecclesiasticarum immunitatem, Dei ordinatione et canonicis sanctionibus constiiutam. Sess. XXV, De reformatione, c. xx.

IV. Immunités personnelles.

Les immunités personnelles des clercs et des religieux sont le privilège du canon, le privilège du for, le privilège de l’exemption et le privilège de la compétence.

Le privilège du canon.

Ce privilège est ainsi

appelé parce que le canon 15 « du IP concile de Latran (1139) l’a étendu au clergé de toutes les églises.

1. Historique.

Dans le droit ecclésiastique ancien les agressions contre les clercs étaient déjà punies de pénitences particulièrement sévères et d’excommunication. Le concile présidé à Mayence par Raban Maur en 847 condamne à douze ans de pénitence le meurtrier d’un prêtre. Décret de Gratien, causa XVII, q. IV, c. 24. Le pape saint Nicolas l" (858-867), dans une lettre à l’archevêque de Milan, Thado, ordonne d’excommunier après une triple monition les flagellatores, occisores et prædones presbyterorum. Ibid., c. 23. Le canon 5 du concile de Ravenne de 877 prévoit la même procédure contre ceux qui font « injure » aux personnes ecclésiastiques. 76z’d., c. 21, §3. Alexandre II (1061-1073) punit d’anathème et de confiscation ceux qui se saisissent d’un évêque, le frappent ou l’expulsent de son siège, d’excommunication (et de déposition s’il s’agit d’un ecclésiastiques) ceux qui se rendent coupables des mêmes faits à l’égard d’un