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ILLUMINÉS DE BAVIÈRE (ORDRE DES)


grades jusqu’aux petits mystères inclusivement ; les grands mystères ne devaient être rédigés que plus tard. Au-dessus de ces trois classes siégeait le conseil de l’ordre, ou l’aréopage, composé de douze membres ; et à la tête de toute l’association, comme grand-maître unique et chef absolu, Spartacus-Weishaupt, dont la personnalité et l’action ne devaient être connues que des seuls aréopagites.

2° Iniiialions successives et révélation progressive du secret. — L’entrée dans chaque grade avait un rituel propre, dont on peut voir les détails principaux dans Le Forestier, Les illuminés de Bavière et a franc-maçonnerie, Paris, 1914, p. 251-297 ; mais ce qu’il est intéressant de constater, c’est l’idée générale de l’ordre des illuminés donnée par Knigge dans le cahier préparatoire à la première initiation. Il y était question de frères, « qui possédaient les connaissances les plus étendues, qui avaient fait leur éducation dans plus d’une école de sagesse, qui avaient des aflidés à la tête de toutes les sociétés secrètes et de tous les systèmes maçonniques, qui savaient ainsi d’une façon certaine ce qui était bon, authentique et utile, et dont le but suprême était de rendre le monde meilleur et plus sensé, de ruiner dans leur principe les obstacles qui s’opposent au bien, et qui avaient choisi, afm d’atteindre ce but, les moyens les meilleurs et les plus sûrs pour récompenser la vertu dans ce monde même, pour se faire craindre du vice, mettre la méchanceté dans les chaînes et combattre le préjugé avec autant de courage que de prudence. » C’était de quoi allécher les plus récalcitrants en leur laissant entrevoir, par une ascension graduelle, l’initiation de plus en plus explicite sur le but final à atteindre. Il est vrai que l’initiation progressive correspondait à l’élévation en grade et que l’élévation en grade dépendait avant tout, pour chaque candidat, de son savoir-faire, de l’ardeur de son zèle et du succès de sa propagande : bon moyen pour exciter l’émulation et l’apostolat et récompenser les services rendus. Ce n’est pourtant que dans la classe des mystères que le langage de l’initiation dépouillait tout artifice et prenait une signification plus précise. En effet, dès son entrée dans les petits mystères, Vépopie ou prêtre apprenait que l’homme doit retourner à l’égalité et à la liberté primitives et par conséquent qu’il devait combattre les ennemis de ces biens, à savoir la propriété et le pouvoir, la société civile et ses lois, causes de tous les vices et de tous les malheurs du genre humain. Il apprenait aussi que la vraie morale consiste uniquement pour l’homme à devenir majeur et que la raison seule doit lui, servir de religion.

3 » Sur Jésus-Christ. — Sans doute il était encore question de Jésus-Christ dans le grade des époptes, mais c’était avec la prétention de faire de sa doctrine la garantie de l’illuminisme. Un peu d’exégèse complaisante suffisait à escamoter l’enseignement évangélique au profit de la secte. Philon-Knigge écrivait, en effet, à Caton-Zwack : « Jésus n’a point établi une nouvelle religion, il a voulu simplement rétablir dans ses droits la religion naturelle. En donnant au monde un lien général, en répandant la lumière et la sagesse de sa morale, en dissipant les préjugés, son intention était de nous apprendre à nous gouverner nous-mêmes, et de rétablir, sans les moyens violents des révolutions, la liberté et l’égalité parmi les hommes. Sa religion si simple fut ensuite dénaturée, mais elle se maintint par la discipline du secret, et elle nous a été transmise par la franc-maçonnerie. » Einige Originalschriften, t. ii, p. 104. Weishaupt disait de son côté : » Personne ne s’est si bien mis à la portée de ses auditeurs et n’a si prudemment caché le sens sublime de sa doctrine. Personne enfin

n’a frayé à la liberté des voies aussi sûres que notre grand maître Jésus de Nazareth. Il cacha, il est vrai, absolument en tout ce sens sublime et ces suites naturelles de sa doctrine ; car il avait une doctrine secrète, comme nous le voyons par plus d’un endroit de l’Évangile. » Et Weishaupl citait ce passage : « A vous il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, tandis qu’aux autres il est annoncé en paraboles. » Luc, viii, 10. Mais il se gardait bien de rappeler cet ordre : « Ce qui vous est dit à l’oreille, publiez-le sur les toits. » Matth., x, 27. Il citait encore :

« Les rois des nations dominent sur elles ; pour vous,

ne faites pas ainsi, mais que le plus grand parmi vous soit comme le dernier. » Luc, xxii, 25, 26. De ce précepte et de tous les conseils de l’humilité chrétienne, Weishaupt faisait des préceptes d’une égalité désorganisatrice, ennemie de toute supériorité des trônes et des magistrats. Mais il se gardait également de rappeler la leçon de Jésus-Christ et des apôtres sur le devoir de rendre à César ce qui est à César, de payer le tribut et de reconnaître l’autorité même de Dieu dans celle de la loi et des pouvoirs constitués. Si Jésus-Christ a prêché l’amour fraternel, c’est l’amour de l’égalité, prétendait Weishaupt ; s’il a inspiré à ses disciples le mépris des richesses, c’est dans le but de préparer le monde à la communauté des biens qui doit faire disparaître toute propriété privée. Et Weishaupt de conclure : « A présent, si le but secret de Jésus, maintenu par la discipline des mystères et rendu évident par la conduite et les discours de ce divin Maître, était de rendre aux hommes leur égalité, leur liberté originelles, et de leur préparer les voies, combien de choses, qui semblaient contradictoires et inintelligibles, deviennent claires et naturelles I A présent on conçoit en quel sens Jésus a été le Sauveur, le libérateur du monde. A présent on conçoit ce que c’est que l’état de pure nature, de la nature déchue et corrompue, et le règne de la grâce. » Nachtrag von weileren Originalschriften, t. II, p. 106 ; Die neuesten Arbeiten, p. 58.

Nouvelles révélations.

L’épopte, ainsi mis au

courant, pouvait s’élever au grade de prince ou de régent, s’il montrait assez d’habileté pour avoir part à la direction politique de l’ordre, c’est-à-dire s’il savait joindre à la prudence la liberté de penser et d’agir, combiner les précautions et la hardiesse, la fermeté et la souplesse, et s’il était ainsi tout acquis aux intérêts de la secte. Au nouveau grade, il devait aspirer à changer l’état actuel de la société. II apprenait alors que la morale est l’art d’enseigner aux hommes à secouer le joug de leur minorité, à se passer des autorités régnantes et à se gouverner eux-mêmes. Après quoi, il ne restait plus qu’à soulever le dernier coin du voile et à exprimer en termes explicites que la religion est à détruire en faveur de l’athéisme, que les gouvernements humains sont à renverser en faveur d’une indépendance absolue, que la propriété privée est à supprimer pour ramener la vie patriarcale. Et tel est l’objet des révélations faites dans l’initiation aux grades supérieurs. C’est ainsi qu’en devenant mage l’illuminé apprenait le devoir d’assurer le triomphe de l’athéisme sur toute religion, ce mot de religion n’ayant été employé jusque-là que pour donner le change, et ne signifiant que la chimère de la superstition et du fanatisme, favorisée par l’ambition et le despotisme pour tenir le genre humain dans l’esclavage. Voilà, en effet, ce qui ressort nettement de certaines lettres de Spartacus-Weishaupt à Caton-Zwack. Einige Originalschriften, t. I, lettre iv ; t. ii, lettre xv.

La pieuse fraude.

Tout ce qui précédait dans

les initiations précédentes était donc un mensonge, une comédie, un escamotage, ou, comme le dit Philon-