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ILLUMINÉS DE BAVIÈRE (ORDRE DES ;


mais non avéré, de ruiner de fond en comble l’autorité paternelle dans la famille, l’autorité civile dans les États, l’autorité religieuse dans les Églises, sous prétexte de ramener l’humanité à son état originel, à l’âge patriarcal, à l’époque où il n’y avait ni propriété privée, ni société organisée, ni gouvernement établi, ni Église. Il regardait, en effet, l’égalité et la liberté comme les droits essentiels de l’homme. Or la propriété privée blesse l’égalité, la société et les gouvernements sont contre la liberté ; et comme le seul appui de la propriété et des gouvernements se trouve dans la loi religieuse et civile, il fallait, pour rétablir l’homme dans ses droits primitifs d’égalité et de liberté, détruire toute religion, toute société, toute propriété.

Un but aussi nettement révolutionnaire devait rester profondément secret ; car il importait de ne pas heurter de front les opinions et les préjugés et de donner le change aux candidats, en tenant sur l’autorité, la religion et le christianisme, le langage courant ; il fallait savoir attendre, par une préparation suffisante, le moment propice avant de soulever un coin du voile. Ce but ultime ne devait être connu que de quelques adeptes, assez discrets pour le dissimuler et assez audacieux pour le poursuivre. Weishaupt s’y appliqua avec une habileté consommée et par des moyens dénués de tout scrupule, mais combinés de manière à préparer graduellement les esprits, à grouper les intelligences d’élite et les volontés décidées, de manière aussi à capter en même temps la confiance des princes et des supérieurs et à les soumettre, sans qu’ils s’en doutassent, à sa direction souveraine.

Recrutement et choix des adeptes.

Pour atteindre

un tel résultat, il convenait de choisir des adeptes d’une docilité absolue, en leur faisant entrevoir, outre l’importance et la grandeur du rôle qu’ils étaient appelés à jouer en vue de la perfection du genre humain, les avantages qu’ils devaient en recueillir personnellement, tels que des fonctions lucratives dans l’Église et dans l’État, le commerce des plus hautes intelligences, l’acquisition de sciences occultes, la connaissance du véritable christianisme primitif. Ce choix étant fait, il fallait former peu à peu les candidats, les initier graduellement, en les utilisant suivant leurs aptitudes, leur savoir-faire et leur bonne volonté. Pour cela on devait s’adresser de préférence aux jeunes étudiants, si accessibles à ce qui flatte l’orgueil et l’ambition, les transformer en meneurs capables de soulever, d’entraîner et d’enrôler les autres, de manière à piquer la curiosité et à faire naître le désir de progresser dans la connaissance du secret de la secte. Ce rôle de frère insinuant, de propaganchste et d’apôtre était capital : de son succès dépendait non seulement le recrutement de l’ordre, mais encore la promotion à un grade supérieur de celui qui savait ijien le jouer.

4 » Conditions de l’admission. — Pour être admis dans la secte, tout candidat devait faire préalablemenl une confession écrite de ses préjugés, de ses erreurs, de ses rléfauts, de ses fautes, ne pas hésiter à révéler les secrets de sa famille et de ses amis, seul moyen prétendait Weishaupt, de faire connaître son aptitude à recevoir ultérieurement la communication de certaines doctrines politiques et de certaines opinions religieuses, en réalité moyen insidieux pour Weishaupt de s’assurer l’asservissement de l’adepte et (le tirer profit de ses révélations. De plus, le candidat devait faire l’abandon et le sacrifice de sa volonté, de sa liberté, de son honneur, de sa famille, de sa patrie, de sa religion, et au besoin de sa vie. pour obéir fidèlement aux ordres reçus, quelque immoraux ou injustes qu’ils pussent paraître aux yeux

du vulgaire : l’intérêt de l’illuminisme exigeait une telle attitude. Enfin le candidat devait apprendre à se dissimuler, à copier des documents, à se procurer des livres rares ou des manuscrits précieux, à répandre de faux bruits, à rapporter tout ce qu’il pouvait découvrir de secrets ; autant d’actes, assurait-on, qui n’avaient rien de repréhensible, du moment qu’ils avaient pour but de servir la secte, au nom de ce double principe, à savoir que tout ce qui est utile est un acte de vertu, et que le but justifie les moyens : principes monstrueux qui devaient servir à justifier non seulement l’hypocrisie et la délation, la calomnie et le vol, mais encore l’empoisonnement et l’homicide.

Précautions prises.

D’aussi graves engagements

devaient donner à réfléchir et faire redouter l’intervention des pouvoirs publics. Mais non, assurait Weishaupt, nul risque à courir, nulle crainte à avoir sous la protection toute-puissante de l’ordre. La pohce ne pouvait rien, ni sur les adeptes tous affublés d’un nom de guerre, ni sur la correspondance d’une société qui avait son langage à elle et usait d’une géographie spéciale. Weishaupt s’appelait Spartacus ; le baron de Knigge, Philon ; Zwack, Caton ; le baron de Bassus, Annibal ; le marquis de Constanze, Diomède, etc. La Bavière, c’était rvchaïe ; la Souabe, la Pannonie ; la Franconie, l’IUyrie ; l’Autriche, l’Egypte ; etc. Munich était devenu Athènes ; Bamberg, Antioche ; Inspruck, Samos ; Vienne, Rome ; Wurzbourg, Carthage ; Heidelberg, Utique ; Ingolstadt, Éphèse ou Eleusis, etc. La secte usait en outre de l’ère persane commençant en 630, d’un calendrier spécial ; l’année commençait le 21 mars, devenu le ! ’Pharavardin, etc. Malgré tant de précautions, on pouvait être pris et menacé ; mais il restait alors un expédient suprême, celui de recourir au suicide : palet exitus, la sortie est libre. Ce dernier moyen permettait ainsi de se soustraire à tout danger. La seule chose interdite sous peine de mort était lu divulgation du secret ; car sans recourir à la force publique, le poison ou le poignard d’un frère sutlisait à punir le traître. Pour réussir avec de pareils moyens, Weishaupt avait compté sans doute sur la curiosité de tous, la crédulité ou la sottise des uns, l’ambition ou la scélératesse des autres. Le fait est qu’il réussit. En moins de dix ans, il en vint, avec l’aide de Caton-Zwack tout d’abord, puis et surtout avec celle de l’hilon-Knigge, à mettre sur pied l’illuminisme.

II. Organisation de la secte.

1° Hiérarchie et grades. — La question des grades et de la hiérarchie ne fut pas tranchée de prime abord. Au début, Weisliaupt s’était contenté de deux ou trois grades, qui parurent insudisants lorsque des francs-maçons se furent afilliés à la secte. Il parut bon de tenir compte du rituel de la franc-maçonnerie et de ses trois grades, ainsi que de la franc-maçonnerie écossaise, et de couronner le tout par des grades supérieurs, exclusivement propres à l’illuminisme. Chargé de mettre au point la hiérarchie de la secte, Knigge envoya l’i Munich, le "20 janvier 178’2, un projet qui partageait les illuminés en trois classes : la première, ou pépinièrc, coni()renait les grades de novice, do minerval et d’illuminé mineur ; la deuxième, ou francmaçonnerie, comprenait ceux d’apprenti, de compagnon et de maître, et ceux d’illuminé majeur ou de novice écossais et d’illuminé dirigeant ou de chevalier écossais ; la troisième, classe des mystères, comprenait les petits mystères avec les grades d’épople on de prêtre et de prince ou de régent, et les grands mystères avec les grades de mage ou de philosophe et d’homme-roi. iVdcWrr ; (7 mn iveilcren Originalschrilten, t. i.p. 108. Ce projet ne reçut plus de modifications, et Knigge rédigea aussitôt tout ce qui concerne ces