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IGNORANCE


garder si quelqu’un y passe, au risque de le tuer. De malo, q. iii, a. 8.

Les moralistes déterminent encore généralement des degrés différents dans l’ignorance vincible non affectée. Elle est simplement vincible chez le sujet qui fait bien quelque enort pour sortir de son ignorance, sans en faire toutefois un assez grand pour y parvenir. Elle est crasse ou supine, quand aucun moyen ou à peu près aucun n’a été pris pour la dissiper. Quelques théologiens identifient l’ignorance crasse et supine. D’autres les distinguent, en reconnaissant une gravité plus grande à l’ignorance supine, soit en raison de sa plus longue durée, soit que l’ignorance crasse ne résulte que de la seule négligence et que la supine provienne d’une affection excessive ou d’une sollicitude trop grande, apportées à d’autres affaires et qui empêchent de s’appliquer à l'étude des choses qu’on est tenu de savoir.

3° Au point de vue de l’objet, l’ignorance peut porter sur une question de droit, ou sur une question de fait, ou encore sur une question de sanction ou de peine. L’ignorance du droit est celle de la loi ou du précepte qui ordonnent ou interdisent un acte. Saint Thomas, De malo, q. iii, a. 8, cite l’exemple de l’homme qui ignorerait que la fornication est un péché et s’y livrerait. Un catholique pourrait ignorer que l’affinité est un empêchement dirimant du mariage, ou que le jeûne ecclésiastique est imposé tel jour de l’année. Cette sorte d’ignorance peut s’appliquer au droit naturel, au droit divin et au droit humain, ecclésiastique ou civil.

L’ignorance de fait est celle d’un homme qui ne sait pas que l’acte qu’il accomplit est un acte interdit j par une loi. Saint Thomas, loc. cit., cite l’exemple de l’homme qui, croyant s’unir à sa femme, en connaît une autre. Un catholique, qui sait que l’affinité dirime le mariage, ignore que cet empêchement existe entre lui et sa femme. Celui qui connaît la loi du jeûne ecclésiastique à tel jour de l’année, ignore que ce jour est arrivé et ne jeûne pas. Les exemples de ce genre pourraient facilement être multipliés.

L’ignorance de la sanction ou de la peine existe chez f-ekii qui, sachant qu’un acte est interdit par la loi, ignore qu’une sanction, par exemple, l’excommunication, est attachée à l’acte prohibé, tel que frapper violemment un clerc. Un catholique peut aussi ignorer que l’absolution du péché qu’il a commis est réservée au souverain jiontife.

4 » Enfin, en raison de l’action dont elle peut être cause, l’ignorance est ou bien antécédente, ou bien concomitante, ou bien conséquente.

Il ne s’agit pas ici de l’ignorance alTectée qui est directement ou indirectement l’elTet d’un acte volontaire, mais de l’ignorance qui est cause d’un acte voulu par suite d’elle ou avec elle. L’ignorance est alors antécédente ou concomitante. Elle est antécédente, qxiand elle précède l’acte voulu, dont elle est la cause involontaire, puisque l’agent n’aurait pas voulu son acte, s’il avait su l’effet imprévu qui devait en résulter. Le cas se produit, dit saint Thomas, quand un homme, ignorant une circonstance de son acte, qu’il n'était pas obligé de savoir, accomplit ce qu’il n’aurait pas fait s’il avait connu cette circonstance, et l’exemple cité par le saint docteur est celui du sagiltairc qui, après un examen diligent, ignorant qu’un passant est sur la route, lance une flèche et tue le passant, ce qu’il n’aurnil pas fait s’il eût su la présence du passant. L’ignorance est alors antécédente à l’acte. Elle est rnnromitnnle, quand l’agent, ignorant la portée de son acte, aurait cependant voulu l’accomplir, même s’il avait su ce tpn devait résulter. L’ignorance ne l’a pas poussé ii faire ce qui est advenu, mais il est arrivé que ce qu’il ne vouloit pas s’est produit

au lieu de ce qu’il voulait. C’est le cas du chasseur qui, voulant tuer un cerf, tue son ennemi. Ce chasseur ne voulait pas tuer son ennemi, dont il ignorait la présence ; cependant, il aurait tiré alors même qu’il eût su viser son ennemi. Il n’a donc pas fait un acte qui aurait répugné à sa volonté ; son acte toutefois n’a pas été voulu, puisqu’il ignorait sa portée. L’ignorance n’a pas précédé l’acte et n’en a pas été la cause ; elle l’a seulement accompagné, et le chasseur a tué son ennemi, non pas ex ignorantia, mais cum ignorantia.

L’ignorance conséquente porte, elle, sur l’acte de volonté, puisqu’elle est voulue elle-même directement ou indirectement. Elle suit donc cet acte, dont elle est un effet. Par suite, elle est elle-même volontaire : directement, quand l’acte d’ignorance est voulu, par exemple, lorsque quelqu’un veut ignorer, soit pour excuser son péché, soit pour ne pas sortir de la voie du péché dans laquelle il est entré selon cette parole : Scientiam viarum tuarum nolumus. Job., xxi, 14 ; indirectement, lorsqu’on refuse de prendre les moyens de conijaître ce qu’on peut et ce qu’on doit savoir. La première sorte d’ignorance conséquente est donc l’ignorance affectée. Saint Thomas appelle la seconde sorte ignorantia malæ electionis, qui provient de la passion ou de la mauvaise habitude. Ainsi quelqu’un n’a nul souci d’acquérir une connaissance qu’il doit posséder : par exemple, les principes universels du droit que chacun doit savoir ; sa négligence à s’instruire est volontaire et conséquente à l’acte de volonté qui l’a produite. Sum. theol., I" U^, q. ^^, a. 8.

III. Culpabilité.

1° De l’ignorance vincible cl invincible. — Il est clair, dit saint Thomas, ibid.. q. Lxxvî, a. 2, que quiconque néglige d’avoir ou de faire ce qu’il est tenu d’avoir ou de faire, pèche par omission. D’où celui qui par sa négligence à s’instruire ignore ce qu’il est tenu de savoir, commet un péché. On n’imputera à la négligence de personne qu’il ignore ce qu’il ne peut savoir. L’ignorance invincible, qu’aucune étude ne peut faire cesser, n’est donc pas imputable, puisqu’elle n’est pas volontaire, ne pouvant être dissipée par celui qui en est atteint. Toute ignorance invincible n’est donc pas un péché. L’ignorance vincible est un péché, si elle porte sur les choses qu’on est tenu de savoir ; mais elle ne l’est pas, si elle porte sur les choses qu’on n’est pas tenu de savoir. La gravité de la faute d’ignorance est proportionnée à la gravité de la négligence mise à apprendre la vérité ou le devoir ; Suarez n’admet la gravité du péché d’ignorance vincible que si cette ignorance est crasse ou supine. De censuris, disp. IV, sect. x, n. 11, 12.

2° De l’ignorance antécédente, concomitante et conséquente. — L’ignorance antécédente et l’ignorance concomitante, quand elles sont involontaires, ne sont pas coupables. Elles ne le seraient que si, avant d’agir, l’agent n’avait pas pris le soin suffisant de se renseigner sur la moralité de son acte. S. Thomas, Sum. theol., I" 11^, q. LXXVI, a. 4. L’ignorance conséquente ou affectée, même celle de mauvaise élection, sont coupables, parce qu’elles proviennent de la volonté d’ignorer. Le refus de s’instruire et la passion qui ])Ousse à agir sans connaissance suffisante sont répréhensibles. S. Thomas, ibid., q. vi, a. 8. La négligence à s’instruire et même la simple inconsidération avant d’agir sont des péchés. S. Thomas, ibid., a. 2, ad.'?'"". Ainsi un confesseur, un juge, un avocat qui négligent gravement d'étudier les devoirs de leur étnl, commettent une faute et ils sont rcsiionsables de toutes les fausses décisions ou consultations que leur ignorance leur fait donner.

IV. Applications mobai.ks. — L’ignorance entre souvent en ligne de compte dans les traités de théologie morale. On a déjft dit quelle sorte d’ignorance excuse de l’hérésie. Voir Mi’ri^.sii :, t. vi, (01.2220-2221.