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d’après Moreri) ne rappelle guère aujourd’hui que les moqueries de Rabelais, qui lui en voulait de son zèle contre le protestantisme. Le docteur dommicain Benoît est un peu moins oublié des historiens de la théologie. Féret, La faculté de théologie de Pans. Epoque moderne, t. ii, p. 263 (à rectifier POur ant et a compléter par les Études, 1905, t. civ, p. 105). Son collègue, le P. Mathieu Ory, était prieur du couvent de Saint-Jacques et inquisiteur général en France. C’est en la dernière qualité qu’il fit en 1529 une enquête sur saint Ignace, dont le résultat favorable fut plus tard attesté et confirmé par son secrétaire, devenu son successeur, le P. Jean Laurent. Acte du 23 janvier 1537, dans Acla sanctorum, juhi t. vii, Comm. præv de S. Ignatio, n. 185 ; mais cf. Études, loc. cit., p. 106, note, et Acta S. Ignatii a P. Consalvio, n. 81, dans Monvmenta historica Societatis Jesu, Ignatiana, sér. IV, t. I, p. 85.,

Le témoignage de Bobadilla montre que ce n est ras seulement la formation spirituelle, mais encore une direction utile pour leurs études, que pouvait donner à ses disciples l’ancien soldat, dont on a voulu faire un ignorant. Au reste, cette direction se trouve indiquée déjà dans ses Règles pour penser commet’Église. Ces règles, par lesquelles il a terminé son livre des Exercices, furent probablement rédigées à Paris en vue des premières agitations protestantes. Il recommande de louer à la fois la théologie positive et la scolastique. Et remarquons comment, à cette occasion, il définit le but et la méthode de la vraie scolastique :

« C’est, dit-il, le mérite le plus particulier des docteurs

scolastiques, comme saint Thomas, saint Bonaventure, le Maître des Sentences, etc., de définir et élucider pour nos temps les choses nécessaires au salut, et de combattre et démasquer toutes les erreurs avec toutes leurs fraudes. Car les docteurs scolastiques, étant plus récents, ne profitent pas seulement de la vraie intelligence de la sainte Écriture et des écrits des saints docteurs positifs, mais illuminés eux-mêmes et éclairés par l’assistance divine, ils ont en outre le secours des conciles, des canons et des constitutions de notre sainte mère l’Église. » Saint Ignace ne concevait donc pas la vraie.scolastique isolée de la positive et négligeant, comme Melchior Cano accuse ses contemporains de le faire, l’étude sérieuse de l’Écriture, des Pères et en général des monuments de la tradition catholique.

Quant à la mesure de science acquise par Ignace, voici ce qu’en dit son compagnon, le P. Jacques Lainez. le théologien admiré au concile de Trente : Quoiqu’il eût plus d’empêchements que les autres étudiants, il mit à l’étude autant d’application et fit autant ou plus de progrès, toutes choses égales d’ailleurs, que tous ses condisciples. Il parvint ainsi à une science moyenne, comme il l’a montré dans les examens publics et dans les disputes de son cours. » Monumenta historica. Scripta de S. Ignatio, t. i, p. 110. Le P. Jérôme Nadal atteste également son ardeur et sa persévérance extraordinaires au travail, son assiduité aux exercices et le grand fruit qu’il en retira. Monumenta historica. Epist. P. Nadal, t. iv, p. 226. Une véritable compétence ne manquait donc pas à saint Ignace pour organiser l’enseignement théolofïique dans son ordre. Par le fait il en a très sagement posé les bases essentielles dans la IV » partie de ses Constitutions. Voici comment débute le c. xii, où il traite des « facultés (disciplines), qui sont à enseigner dans les universités de la Compagnie : « Comme la fin de la Compagnie et des éludes est d’aider les prochains à la connaissance et à l’amour de Uieu et au salut de leurs âmes ; et pour cela le moyen le plus propre étant la théologie, c’est sur celle-ci qu’il faudra insister princlialement dans les universités de la Compa IGNACE DE LOYOLA (SAINT ;

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gnie, en faisant traiter avec soin, par de très bons maîtres, ce qui touche à la doctrine scolastique et à la sainte Écriture, et aussi, de la positive, ce qui convient pour la dite fin, sans entrer dans la partie du droit canonique qui sert pour le for contentieux. »

Au c. XII, Des livres qu’il faut lire, c’est-à-dire expliquer, après avoir rappelé ce qu’il a dit en parlant des collèges (d’étudiants jésuites, c. v), « on ne lira, continue-t-il, dans chaque faculté que les livres dont la doctrine est tenue pour la plus solide et la plus sûre, sans en admettre qui soient suspects, ou eux ou leurs auteurs. Mais voici en particulier ceux qui doivent être nommés pour chaque université, dans lathéologie : on lira l’Ancien et le Nouveau Testament et la doctrine scolastique de saint Thomas ; pour la positive, on choisira ceux qui conviennent le mieux à notre fin. »

Quand le fondateur de la Compagnie prescrivait ainsi d’expliquer saint Thomas à ses étudiants, c’était là presque une nouveauté. En effet, malgré la grande autorité dont il jouissait depuis longtemps dans l’Église, le docteur angélique n’avait guère eu jusque-là de commentateurs, même dans son ordre. C’était le « Maître des Sentences >, Pierre Lombard, que les professeurs, même dominicains, glosaient cl exposaient à leurs auditeurs. Aussi saint Ignace, dans une déclaration ajoutée au passage des Constitutions que je viens de rappeler, pour ne point rompre tro]) vite avec l’usage consacré, indiquait encore le Lombard à « lire » avec saint Thomas. C’est ce qui fut exécuté par le premier professeur de théologie du Collège romain, durant trois ans. Mais depuis lors, le Maître des Sentences céda la place à saint Thomas, qui fut seul commenté par tous les grands théologiens jésuites. A Paris, Maldoiiat en 1569 commence également par suivre Pierre Lombard ; mais Mariana, dès 1570, prend saint Thomas : ce fut le premier cours de ce genre fait à Paris en dehors du couvent des dominicains. Tout le passé de l’enseignement théologique dans la Compagnie autorisera la Congrégation générale de 1645 à dire au pape, que, « depuis déjà tout un siècle, peut-être nulle autre famille religieuse n’avait consacré plus de travaux et de veilles à faire connaître la doctrine de saint Thomas ». C’est là un mérite qui ne saurait être effacé parce qu’on s’est permis d’abandonner son sentiment dans des cas très rares, et pour de très fortes raisons, à l’exemple de Victoria et d’autres thomistes illustres.

Saint Ignace n’a jamais prescrit à ses professeurs d’enseigner toutes et rien que les opinions de saint Thomas. Il leur donne pour règle générale de suivre la doctrine « la plus solide », « la plus sûre », " la plus approuvée dî^ns l’Église ». Il précise sa pensée en déclarant que « des opinions nouvelles ne sont pas à admettre », c’est-à-dire, comme il s’explique immédiatement, n des opinions contraires au sentiment commun de l’Église et des docteurs ». Il ajoute que, dans les questions mêmes où les docteurs catholiques ont des opinions différentes ou contraires, il faut dans la Compagnie viser à l’uniformité, surtout dans l’intérêt de la charité fraternelle ; et le moyen qu’il indique pour cela est que chacun. « aut ant <iue possible, s’accommode à la doctrine la plus commune dans la Compagnie ». Les termes précautionneux dont use le saint fondateur indiquent sulTisamment qu’il n’a jamais espéré ni désiré l’uniformité absolue de senliment dans son ordre. Sa connaissance de la nature humaine le lui interdisait, aussi bien que le souci du progrès légitime, qui ne lui était pas indifférent. Il ne dit pas qu’il condamnerait des explications, des théories nouvelles, sur des points où il n’y a pas de « sentiment commun de l’Égli.se et des docteurs ». si elles avaient leur utilité pour l’Intelligence et la défense de la doctrine catholique.