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IGNACE DE LOYOLA (SAINT ;


avis, « de cent personnes très adonnées à l’oraison, <juatre-vingt-dix (peut-être même a-t-il dit 99) étaient dans l’illusion. » Monumenla Ignaliana, série iv, t. i, p. 251. En tout cas, au-dessus de la contemplation la plus élevée, il estimait, comme plus glorieuse à Dieu, l’imitation parfaite de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la vie apostolique. C’est à cette imitation qu’il pousse par tous ses Exercices, en faisant bien comprendre ce qu’elle demande, à savoir le généreux renoncement aux aises du corps et la mortification totale de l’amour-propre et de l’amour du monde.

Dans la vie spirituelle il Importe d’être armé contre les tentations de l’ennemi des âmes et contre les illusions de l’orgueil et de l’imagination. Saint Ignace y pourvoit, d’abord, par la direction, puis, par ses admirables règles pour le discernement des esprits.

Le saint juge le secours d’un maître spirituel indispensable pour « donner » ou faire faire les Exercices, du moins à qui les fait pour la première fois. Aussi c’est à ce directeur qu’il adresse la plupart de ses instructions. Le rôle qu’il lui assigne est caractéristique et bien conforme à l’esprit de toute sa spiritualité. Que le dirigé fasse connaître tout ce qui se passe dans son âme, afin de recevoir les avis appropriés (Annot. xvii) ; que le directeur le soulienne avec bonté dans les moments difficiles, et qu’en revanche, dans les temps de ferveur intense, il l’empêche de prendre des engagements précipités (Annot. vii, xiv) : mais qu’il ne s’ingère pas autrement dans les affaires à traiter entre l’âme et Dieu seuls, comme celle du choix d’un état de vie (Annot. xv) ; enfin qu’il encourage, éclaire au besoin les bonnes initiatives, sans prétendre jamais les dicter.

Saint Ignace ne veut pas même que l’on développe beaucoup les points de méditation aux retraitants :

« En effet, dit-il. si celui qui médite vient à trouver,

soit par ses propres réflexions, soit par illumination divine, quelque chose qui fasse mieux pénétrer et « sentir » le sujet, le goût et le fruit spirituel en seront plus grands pour lui ; car ce n’est pas l’abondance de la science qui rassasie l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intimement » (Annot. ii). Le principe de psychologie pratique qui est au fond de cette raison, c’est que l’homme ne fait avec plaisir et, par suite, ne fait bien, que l’œuvre qui met en jeu son initiative et son action propre. La méthode spirituelle de saint Ignace a le grand mérite d’éveiller et de soutenir admirablement l’activité personnelle, autrement dit la bonne volonté ; c’est la cause principale de son efficacité, au point de vue humain. D’ailleurs, cela est en harmonie avec les lois ordinaires de la Providence divine, qui aime, suivant l’expression de saint Thomas, Sum. theoL, 1% q, xxii, a. 3, à communiquer la causalité aux créatures. Et ce qui est ainsi demandé à la nature ne fait point injure ni tort à la grâce ; car, comme saint Ignace le dit en concluant ses Constitutions : « Dieu, étant auteur de la nature et de la grâce, veut être glorifié par l’une et par l’autre ; il demande seulement qu’après l’emploi des moyens naturels on n’attende le succès que de la grâce, et des moyens surnaturels auxquels elle est attachée. »

Sur le discernement des esprits d’après saint Ignace, voir t. IV, col. 1391-1398.

II. Saint Ignace théologien.

Saint Ignace désirait que les profès de la Compagnie fussent théologiens excellents, éprouvés par des examens sévères sur la philosophie et la théologie scolastique. Constitutions, part. V, c. II, 2 ; part. X, n. 7. C’est lui-même aussi qui a marqué les principes fondamentaux de l’enseignement théologique de son ordre.

Était-il théologien ? S’il s’agit seulement de la connaissance des matières théologiques, on ne peut, semble-t-il, lui en refuser une profonde et étendue, reçue

du ciel. Il a dit au P. Lainez, qui le rapporte, en parlant des grâces qu’il avait reçues de Dieu à Manrèse, qu’il lui paraissait que si, par impossible, les Écritures et les autres documents de notre sainte foi venaient à se perdre, il lui suffirait, pour tout ce qui touche au salut, de la connaissance et de l’impression des choses que Notre-Seigneur lui avait communiquées en ce lieu. Monumenta Ignatiana, sér. iv, t. i, p. 204. Rappelons encore qu’à Salamanque il fut longuement interrogé parles dominicains et l’inquisiteur, sur les questions les plus subtiles de la théologie, sur la trinité, l’incarnation, l’eucharistie et d’autres semblables, et qu’il répondit à tout sans qu’on pût le prendre en défaut. Monumenta Ignaliana, sér. iv, 1. 1, p. 78, 109. Enfin sa science extraordinaire frappa également les docteurs de Paris, dont plusieurs recherchèrent son amitié ; quelques-uns firent les Exercices sous sa direction. L’un de ceux-ci, que Polanco nomme le

« docteur Martial », et qui doit être le docteur Martial

Mazurier, lequel fut pénitencier de Notre-Dame, voulut très sérieusement le créer docteur en théologie, alors qu’il n’était pas même encore bachelier es arts : Ignace s’y refusa.

Naturellement cette science infuse ne lui avait fait connaître ni la langue ni en général la technique de la théologie. Quand donc il fut décidé à se consacrer au ministère des âmes, il dut suivre des cours universitaires. Après des débuts peu fructueux en Espagne, il vint à l’université de Paris, la plus célèbre de toute l’Europe (1528). Il y reprit ses études par la base, en commençant par les humanités (février 15280ctobre 1530) ; puis il donna les trois années régulières à la philosophie et conquit la maîtrise es arts. Enfin il s’appliqua à la théologie, jusqu’à son départ de Paris, vers le milieu de 1535, donc pendant environ deux ans. Le certificat d’études qu’il obtint de la faculté de théologie, le 14 octobre 1536, ne lui donne qu’un an et demi d’études dans la faculté ; sans doute, on ne tient pas compte du temps qu’il avait employé à entendre les leçons des professeurs dominicains et franciscains dans leurs couvents. En effet, le certificat obtenu par son premier compagnon Pierre Lefèvre ne lui en donne pas davantage, bien qu’il n’ait pas fait moins de cinq années de théologie à Paris (1530-1536).

Les disciples d’Ignace nous ont conservé les noms de quelques-uns des maîtres qu’ils ont entendus et qu’il a dû entendre également. François-Xavier, des extrémités de l’Orient, demande au docteur Picard, séculier, de lui recruter des auxiliaires parmi les étudiants de l’université. Monumenta historica Societatis Jesu. Monumenta Xaveriana, t. i, p. 286. Il adressait la même requête au docteur franciscain Pierre de Cornibus. Celui-ci est aussi nommé avec grande distinction par Lefèvre, Monumenta, 1. 1, p. 99 et 548, et Bobadilla. Mon. Bob., p. 614. Ce dernier mentionne encore des dominicains dans un curieux passage de son autobiographie. Loc. cit. Il nous y apprend qu’après avoir fait quatre ans de théologie à Alcala et à Valladolid et enseigné la philosophie, il s’était rendu à Paris avec l’intention d’étudier les langues latine, grecque et hébraïque, mais qu’il avait renoncé à ce dessein, « en vojant qu’à Paris ceux qui grécisaient luthéranisaient », et surtout parce que

« le saint homme maître Ignace de Loyola l’exhorta

à poirsuivre les études de théologie scolastique et de positive des saints docteurs ». Il suivit ce conseil en allant entendre sur la théologie scolastique, « chez les dominicains, le docteur Benoît et maître Mathieu de Ori, hommes très doctes, et chez les franciscains, maître de Cornibus, qui ne peut être assez loué par tous les théologiens 11. Le nom du docteur franciscain Pierre de Cornibus (en français Cornu, ou de Corne,