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IGNACE D’ANTIOCHE (SAINT)


voie Appienne ? C’est de toute vraisemblance. Mais les Actes, lui faisant contourner l’Italie, parlent d’une vaine tentative de débarquement à Pouzzoles, et nous le montrent prenant terre dans le port de Rome, aux bouches du Tibre, accueilli par des chrétiens, qui étaient venus à sa rencontre.

3 » Son martyre. — 1. Le désir qu’il en avait.— Cet évêque si humble, si sensible aux témoignages de respect qu’on lui rendait, si attentif aux besoins spirituels des Églises, si manifestement préoccupé des dangers qui menaçaient la foi et pouvaient rompre l’unité, si attaché à sa communauté d’Antioche, n’aspirait qu’à l’honneur de verser son sang pour le Christ, estimant que c’était là le moyen par excellence de ne faire qu’un avec son maître. Déjà, pendant son voyage, il s’était fait, contre certains docètes, un argument irrésistible des chaînes qu’il portait et du martyre vers lequel il marchait. Mais sa pensée éclate, véhémente, en traits de feu, sous une forme littéraire quelque peu déconcertante, dont les défauts disparaissent devant la grandeur et la beauté du fond, dans la lettre qu’il écrivit aux Romains. « La foi la plus vive, l’ardente soif de la mort, a dit Renan, Les Évangiles, p. 489, n’ont jamais inspiré d’accents aussi passionnés ; l’enthousiasme du martyre, qui durant deux cents ans fut l’esprit dominant du christianisme, a reçu de l’auteur de ce morceau extraordinaire son expression la plus exaltée. » La lettre serait à citer tout entière. Extrayons-en seulement quelques passages.

« A force de prières, écrit Ignace, j’ai obtenu

de voir vos saints visages ; j’ai même obtenu plus que je ne demandais, car c’est en qualité de prisonnier de Jésus-Christ que j’espère aller vous saluer, si toutefois Dieu méfait la grâce derester tel jusqu’au bout… C’est votre charité que je crains. Vous n’avez, vous, rien à perdre, moi, c’est Dieu que je perds, si vous réussissez à me sauver… Laissez-moi immoler, pendant que l’autel est prêt. Réunis tous en chœur par la charité, vous chanterez : Dieu a daigné envoyer d’Orient en Occident l’évêque de Syrie I II est bon de se coucher du monde en Dieu pour se lever en lui. » Ignace redoute tant l’intervention des Romains efi sa faveur qu’il donne à sa prière des accents pathétiques : t J’écris aux Églises ; je mande à tous que je veux mourir pour Dieu, si vous ne m’en empêchez. Je vous conjure de ne pas me montrer une tendresse intempestive. Laissez-moi être la nourriture des bêtes, par lesquelles il me sera donné de jouir de Dieu. Je suis le froment de Dieu : il faut que je sois moulu par la dent des bêtes pour que je sois trouvé pur pain du Christ. Caressez-les plutôt, afin qu’elles soient mon tombeau, qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps, et que mes funérailles ne soient à charge à personne. 11 espère trouver les bêtes bien disposées ; il se déclare prêt à les caresser pour qu’elles le dévorent sur le champ. « Si elles y mettent du mauvais vouloir, je les forcerai. » En même temps il s’excuse :

« Pardonnez-moi : je sais ce qui m’est préférable.

Maintenant, je commence à être un vrai disciple. » Et comme saint Paul il lance ce défi : « Nulle chose visible ou invisible ne m’empêchera de jouir de Jésus-Christ. Feu et croix, troupes de bêles, dislocation des os, mutilation des membres, broiement de tout le corp.s, que tous les supplices du démon tombent sur moi, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. » En conséquence, que les Romains lui fassent grâce, qu’ils lui laissent recevoir la pure lumière et imiter la passion de Dieu. « Et si, lorsque je serai avec vous, je vous supplie, ne me croyez pas : croyez plutôt à ce que je vous écris aujourd’hui. Je vous écris vivant, et désirant mourir. »

2. Sa mort.

En voyant les chrétiens de Rome, Ignace dut éprouver une grande joie, car ils ne lui

apportaient pas la nouvelle de sa grâce ou de la commutation de sa peine. Il était au comble de ses vœux. « On calcula probablement, dit AUard, op. cit., p. 200, le voyage d’Ignace de manière à le faire arriver à Rome avant la fin des fêtes qui célébraient, avec une pompe inouïe jusqu’à ce jour, le triomphe du vainqueur des Daces. Si la guerre dacique se termina en 106, ces fêtes, qui durèrent cent vingt-trois jours, durent rempUr l’année 107. Dix mille gladiateurs y périrent pour l’amusement du peuple romain ; onze mille bêtes féroces y furent tuées. Mais, avant de les tuer, on leur jeta sans doute, selon l’usage, quelques condamnés. C’est ainsi que, le 18 décembre, moururent deux compagnons d’Ignace, Zozime et Rufus. Deux jours après vint enfin le lourde l’évêque d’Antioche. Le 20 décembre, il obtint la grâce si ardemment désirée ; moulu par la dent des bêtes, il devint le froment de Dieu. C’était pendant les venationes par lesquelles on solennisait les saturnales. »

3. Ses reliques.

Saint Ignace eut la mort qu’il avait tant souhaitée : les bêtes déchirèrent son corps, broyèrent ses os, dévorèrent ses chairs. Ce qui en resta, notent les Actes, Marlyrium Colbertinum, vi, 5, dans Funk, op. cit., t. ii, p. 284, c’est-à-dire les parties les plus dures, fut pieusen.ent recueilli et transporté à Antioche comme le plus inestimable des trésors. On déposa ces reliques dans un sanctuaire hors de la porte de Daphné, où elles étaient encore du temps de saint Jérôme. De viris ilhist., 16, P. L., t. xxiii, col. 633. L’Église d’Antioche célébra longtemps le naialis de son évêque martyr le 17 octobre. C’est à pareil jour que saint Jean Chrysostomc, ne doutant ni de la mort de saint Ignace à Rome, ni de la translation et de la présence de ses reliques à Antioche, prononça le panégyrique du saint. Il y disait, entre autres choses :

« Rome fut arrosée de son sang ; vous avez recueilli

ses dépouilles. Vous avez eu l’avantage de le posséder comme évêque ; ils ont recueilli son dernier soupir ; ils ont été les témoins de son combat, de sa victoire et de son triomphe ; vous l’avez toujours au milieu de vous. Vous aviez envoyé un évêque, on vous a rendu un martyr. » In sanct. mari. Ignaiium, 5, P. G., t. XLix, col. 594.

4. Sa fêle.

Les reliques de saint Ignace ne devaient pas toujours rester hors de la porte de Daphné, car, sous Théodose le Jeune, lors de l’enibellisscment de la ville, on n’oublia pas l’évêque martyr, l’une des gloires d’Antioche. Par ordre de l’empereur, ses restes furent transportés en pompe dans le temple de la Fortune, sur lequel planait le génie de la cité, une statue de bronze doré, chef-d’œuvre d’Eutychidès, l’élève de Lysippe. — Et ce temple ne s’appela plus que la basilique de Saint— Ignace. L’évêque martyr avait pris la place du génie tutélaire. Évagre, h. E., i, 16, P. G., t. Lxxxvi, col. 2465. Cf. I.iphtloot, 17. /ff/ia/ius, t. I, p. 47-49. Désormais, en Orient, on célébra sa fête le 20 décembre, qui dut être la date de cette translation. L’Église latine la célèbre le 1° février.

II. Lettres.

1° Leur nombre d’après les témoignages primitifs. — 1. Le témoignage de saint Polycarpe.

— Nous avons dit que saint Ignace avait écrit quatre lettres de Smyrne : une aux Éphésiens, une aux Magnésiens, une aux Trailiens et une aux Romains, trois autres, deTroas : une aux Phili.dclpliiens, une aux Smyrniens et une à Polycarpe. Quelques jours après le passage de saint Ignace à Philippes, les Philippiens prièrent saint Polycarpe de leur communiquer les lettres de l’évêque d’Antioche qu’il possédait. La réponse de Polycarpe à cette demande est d’une importance capitale dans la question ignatienne, car c’est le témoignage d’un témoin oculaire en faveur des lettres de saint Ignace. C’est même pour cela que les uns rejettent sa réponse comme apocryphe, et que