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IDOLATRIE, IDOLE


sières : le problème de l’origine du monde se posait à l’esprit de l’homme. En se demandant qui avait fait le monde, on avait l’idée d’un pouvoir distinct du monde et supérieur à lui. C’est là l’une de ces idées simples, accessibles aux intelligences les plus primitives, qui est à l’origine de la religion : « Aussitôt que l’homme eut l’idée de « faire » des choses, il put conjecturer un faiseur de choses que lui-même n’avait pas faites et ne pouvait pas faire. » Lang, The making of religion, 2<= édit., Londres, 1900, p. x. Ainsi peut s’expliquer la notion de la divinité qui est à la base de toute religion, même polj’théiste. — Comment, avec cette idée fondamentale du divin, expliquer la multiplication des dieux ? « Cette multiplication, écrit le P. Lagrange, np. cil., p. 25, résulte du simple fractionnement des groupes sociaux. Chacun veut avoir son dieu. Renan a raillé agréablement le roi de Piiisse qui avait toujours à la bouche unser Goll et Lang rappelle que Milton, lui aussi, admire ce que Dieu a fait avec ses Anglais. A défaut d’un dieu particulier, les peuples modernes veulent du moins avoir leur Église, sans comprendre que l’unité de l’Église est le reflet et aussi la garantie de foi au sujet de Dieu. Après que les tribus sémites eurent ainsi partagé leur El en plusieurs dieu.v différents, la scission fut irréparable. Lors même que de grands États fondés par la conquête furent parvenus à cimenter l’union politique la plus étroite, les dieux ne fusionnèrent pas toujours. Sans doute, il y eut du déchet. Quand les dieux avaient les mêmes attributs, on se contentait d’un seul. Même les petits peuples furent exposés à voir disparaître leurs dieux dans la tourmente. Mais, d’une façon générale, le nombre des dieux ne cessa de croître. Il augmentait fatalement toutes les fois que des tribus se réunissaient volontairement pour former un État ; il augmentait le plus souvent lorsque l’union était le résultat de la conquête. Les vainqueurs négligèrent souvent de rendre hommage ^ux dieux des vaincus ; ils affectaient même <le les mépriser ; mais rarement les vaincus abandonnèrent les dieux du pays et plus d’une fois les vainqueurs se plurent à leur rendre hommage. Rien de plus connu que ces faits, mais pourquoi fermer les yeux à une vérité banale à force d’être répétée ? » — cj Enfin, dans l’éclosion de l’idolâtrie, il faut faire la part de Vanimisme, sous toutes ses formes, appliquant aux " esprits qui étaient censés mouvoir toutes choses, ime portion plus ou moins considérable de ce qu’on ittribuait plus ou moins confusément au divin : ’lorsqu’on reconnaissait à l’esprit, qu’il s’agît d’un mort ou de l’agent d’un phénomène, la puissance, la bonté, la justice, dans une large mesure, lorsque le culte était public et l’attitude respectueuse, l’esprit était un dieu et l’hommage qu’on lui rendait, une religion. iMais s’il s’agissait d’un esprit anonyme, plus redouté qu’aimé, on essayait de le tenir à sa discrétion en exploitant ses appétits et ses défauts ; on se contentait de la magie. Il est difRcile de dire si cette religion a précédé la magie, et le polythéisme le polydémonisme. Nous n’affirmons nullement que la magie soit une religion dégénérée, ni que le polydémonisme soit issu du polythéisme..Mais nous demandons qu’on n’afflrme pas non plus le contraire sans de bonnes raisons. Tout suggère une marche parallèle, si on peut donner ce nom à la rivalité des meilleurs sentiments et des plus bas instincts du creur de l’homme, i Lagrange, op. cit., p. 27. Que l’homme traduise.ses senliments, à l’égard des dieux ou des démons, en représent ant sous une forme Rcnsible ceux auxquels s’arlressentsps hommages, Cl nous sommes en face de l’idolâtrie proprement dite. Le passage de l’animisme à l’idolâtrie est, avons-nons dit, voir col. r>18, extrêmement facile.— dj De plus, aucune théorie purement naturiste ne peut prétendre donner la raison dernière et morale

de la déformation du culte divin transposé du vrai Dieu aux fausses divinités.. Cette raison dernière et d’ordre moral se trouve évidemment dans le péché originel, qui a obscurci l’intelligence de l’homme et dépravé sa volonté. « Peu satisfaite de l’invention du mal, écrit saint Athanase, Conl. génies, n. 8, P. G., t. XXV, col. 16-17, l’àme humaine peu à peu se mit à tendre vers le pire. Elle connaissait les différences entre les plaisirs, se plongeait dans l’oubli des choses divines, prenait goût aux émotions corporelles et aux seules choses présentes, s’arrêtant aux opinions courantes. Elle crut donc qu’il n’existait rien en dehors des êtres visibles et que seul l’éphémère et le corporel était le bien. Elle se pervertit et oublia qu’elle était à l’image du Dieu bon ; sa force intime ne lui servit plus à voir le Dieu Verbe son modèle ; sortie d’elle-même, elle s’occupa du néant et le façonna. Dans l’étreinte des passions corporelles, cachant le miroir intérieur, où seulement elle pouvait voir l’image du Père, elle ne voit plus ce qu’elle doit penser ; emportée çà et là, elle n’aperçoit plus que ce qui tombe sous les sens. Aussi, pleine des désirs charnels, troublée par leur image, elle finit par se représenter le Dieu que sa pensée a oublié, parmi les choses corporelles et sensibles, appliquant aux objets visibles le nom de Dieu et n’attachant d’importance qu’à ce qu’elle désire et regarde comme agréable. La malice est donc la cause inlroduclrice de l’idolâlric. » Trad. de F. Cavallcra, Saint Alhanase, Paris, 1908, p. 22ô. La théologie scolastlque approfondira cette conception de la cause première de l’idolâtrie et la placera dans les dispositions défectueuses de l’homme, perverti par le péché, inordinalus ajjcclus, reprxsenlationis delectnlio, ignoranlia. S. Thomas, Sum. theoL, II » IIp, q. xciv, a. 4.

— c) Conclusion ; Il faut donc distinguer — et c’est là aussi la conclusion dos beaux travaux du P. Lagrange, de Mgr Le Roy, du P. Condamin — dans les actes idolâtriques, deux éléments : l’un, que j’appellerais volontiers élément formel, la persistance de l’idée transcendante de Dieu, indépendante des théories naturistes, et dont l’origine est antérieure à l’apparition de l’idolâtrie sur la terre, idée qui donne précisément au culte divin rendu à des êtres qui n’en sont pas dignes, d’être une déformation et une dépravation coupable de l’acte latreutique réservé à Dieu seul, l’autre, élément matériel de l’idolâtrie (le seul que louchent les hypotliôses émises par les savants rationalistes), qui est le choix fait par l’homme, sous l’une des influences psj’chologiques analysées par les historiens des religions, et sous l’influence originelle d’ordre moral que représente le déséquilibre introduit dans la nature humaine par le péché, des objets indignes du culte divin.

Schmidt. op. cit. ; Lagrange, Études sur les religions sémitiques, Paris, 1^5 ; A. Borchert, 75cr Animismus oder Ursprung nnd Entwicklung der Religion aus dcr Scelen-Ahncn und Geislerkult, l’ribourg-en-Brisgau, 1900 ; P. Buffriicourt, art. Animisme, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique ; Mgr Le Roy, art. Naturisme, ibid. Voir aussi, dans les Recherches, les Bulletins d’histoire comptu-cc des religions du P. Bouvier.

3. Une application. l’évhâmérisme— — L’évhémérisme (d’Évhémère, iV siècle av. J.-C.) divinise les hommes ou humanise les dieux, ce qui est, sous ses deux aspects opposés, la même doctrine philosophique. C’est la plus simple et la plus facile explication de l’idolâtrie, celle à laquelle, pour mieux combattre le paganisme, auront recours les pères de l’Église, voir plus loin, ’col. GÔ8. C’est également une des explications proposées par saint Thomas, Sum. Ilienl., Il » H », q. xciv, a. 2. El le plus curieux, ainsi que le remarque le P. Lagrange, op. cil., p. 463. est que l’évhémérisme peut naître de deux principes absolument opposés, le mo-