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IDOLATRIE, IDOLE


hommes anciens, qui, s’ils sont postérieurs à Adam, peuvent être néanmoins appelés « primitifs » en ce sens qu’ils ont précédé l’histoire. C’est dire que la méthode à employer dans cette recherche doit être à la fois spéculative et expérimentale : « Le raisonnement et la philosophie entrent ici de plain-pied à un double titre. Toute religion devant nécessairement correspondre à une certaine disposition de l’esprit et du cœur, on serait bien près de connaître la religion de l’homme primitif si on avait pénétré dans sa philosophie, vraie ou fausse, et si on était édifié sur ses attraits moraux et sociaux. De plus, la philosophie, et cette fois, la vraie, nous renseigne sur la nature de l’homme et sur ce qu’on peut attendre de ses facultés. Encore est-il que la spéculation ne doit point trop s’éloigner de l’observation des faits. » Lagrange, op. cit., p. 4. — b) Esquisse des théories naturistes. — Nous ne pouvons songer à exposer ici les théories naturistes proposées pour expliquer l’origine de la religion. Toutefois, parce qu’elles ont une part de vérité, lorsqu’il s’agit d’expliquer la déformation du culte divin dans les diverses applications qu’en a faites la malice ou l’ignorance humaine à des objets indignes d’un tel culte, il convient d’en tracer une rapide esquisse. — a. L’animisme. — La mythologie naturiste, voir les ouvrages de W. Schwartz, A. Kuhn, Max Muller, M. Bréal, qui prit naissance sous l’influence d’une découverte linguistique (la parenté existant entre les langues indo-européennes), suppose que, dans les mythes des peuples, le soleil, les nuages, les tempêtes, l’aurore, les phénomènes de la nature, jouent un rôle considérable. Cette théorie, déjà vieille et aujourd’hui abandonnée, a fait place à la théorie dont elle était d’ailleurs le prélude. La théorie évolutionniste, formulée tout d’abord avec quelque réserve par le philosophe positiviste A. Comte, distingue, sous la forme première qu’elle a revêtue, dans l’évolution religieuse, trois étapes nécessaires, fétichisme, polythéisme, monothéisme. Elle fut reprise d’une manière plus ferme et plus complète (qui lui assura un succès prodigieux), par Lubbock, The oriqin of the civilisation and the primitive condition of mankind, Londres, 1870, par H. Spencer (théorie du mdnisme), dans ses Principes of sociologn, Londres, 1879, et surtout par Tylor, l’rimliive culture, Londres, 1872, trad. franc., Londres, 1891. Tylor mit en vogue la théorie de l’animisme. L’idée d’âme est à la source de toute manifestation religieuse. L’âme individuelle, conçue comme distincte du corps, survit après la mort. L’existence d’esprits, dirigeant les forces de la nature, est, à son tour, conçue par une véritable assimilation des objets du dehors il la nature humaine. Mais tous les auteurs n’expliquent pas de la même façon l’évolution du système. Le préanimisme veut que l’homme ait commencé par l’échelon le plus bas, c’esl-à-dire par l’adoration des objets corporels eux-mêmes. C’est le naturisme direct d’A. Réville, que Guyau appelle panthélisme : « Le mot panthélisme, s’il n’était un peu barbare, exprimerait mieux cet état de l’intelligence humaine, qui place tout d’abord, dans la nature, non pas des « esprits », plus ou moins distincts des corps, mais simplement des intentions, des désirs, des volontés inhérentes aux objets eux-mêmes. » L’irréligion de l’avenir, Paris, 1886, p. 31. Pour expliquer ce panthélisme, il faut fiue l’on accorde que l’homme soit frappé par des elTels inattendus, qui font naître en lui le vague sentiment lie forces supérieures et libres, dont l’intervention, souhaitée ou redoutée, puisse être implorée ou conjurée. Cf. E. R. Hull, Sludies in idolnlnj, Rombay..Mais l’homme ne lient compte, au point de vue religieux, que d’êtres semblables à lui par l’intelligencc et la volonté, qui peuvent agir dans la nature, en s’unissant plus ou moins étroitement au corps. Ces êtres sont les

esprits. Les tenants (’e l’animisme simple, Tylor en particulier, expliquent la conception des esprits par assimilation des objets du dehors à la nature humaine elle-même. « Des qae l’homme en est arrivé à concevoir l’existence d’une âme humaine, cette conception a dû lui servir de type, d’après lequel il a élaboré non seulement ses idées relatives à d’autres âmes inférieures, mais encore ses opinions par rapport aux êtres spirituels en général. » Op. cit., trad. franc., t. ii, p. 143. Est-ce le concept de l’âme des morts, le mânisme, qui est à l’origine de l’animisme ? Tjlor ne s’explique pas nettement sur ce point, encore qu’il le laisse parfois entendre. C’est, à proprement parler, la thèse de Spencer. D’après Spencer, l’idée des esprits s’est formée par la vue de la mort. C’est par assimilation aux esprits des morts que les forces de la nature ont été conçues comme des personnes. Cf. Réville, Prolégomènes de l’histoire des religions, Paris, 1880. L’homme, ayant admis que son esprit pouvait être séparé de son corps, et ayant assimilé la nature des objets à la sienne, ne tarda pas à croire que, chez les êtres animés, l’esprit pouvait, comme chez lui, « quitter son enveloppe ordinaire, se transporter loin d’elle, se cacher sous d’autres formes et même ne pas prendre du tout de forme visible » ; puis, il s’accoutuma à admettre l’existence d’esprits doués d’un pouvoir supérieur, dont il fallait ou solliciter l’intervention bienfaisante, ou repousser les maléfices. De là, la magie et le fétichisme. Le fétichisme, voir ce mot, t. v, col. 2191-2196, considère les objets matériels comme les habitations des divinités, sinon comme des divinités elles-mêmes. De là, à l’idolâtrie, il n’j’a qu’un pas, et la transition est à peine sensible : « Quelques lignes tracées sur le bois ou sur la pierre, quelques parcelles enlevées, quelques couches de peinture, suffisent à transformer le poteau et le caillou en une idole. » Tylor, op. cit., t. ii, p. 209. L’idole est donc à la fois portrait et fétiche et présente ainsi les deux aspects par lesquels on peut envisager l’idolâtrie. Voir col. 606. H. Spencer croit trouver l’origine des idoles dans les portraits qu’on plaçait sur la tombe des morts ou dans leur ancienne maison. Cf. Goblet d’Alviella, L’animisme et sa place dans l’évolution religieuse, dans Revue de l’histoire des religions, 1910, t. lxi, p. 1-19 ; A. f^ang, The origins of religion, Londres, 1908 ; Magic and religion. Londres, 1901.

La théorie magique de J. M. King, The supcrnatural, ils origine, nature and évolution, Londres, reprise, avec de nombreuses variantes, en Angleterre, par i^Iarett, Preaminislic religion, dans Folk-lorc, 1900, p. 102-182 ; reproduit dans The threshold of religion, Londres, 1909, Sidney, Martiand, Frazer, Golden Bough, Londres, 1908 ; trad. franc., Le rameau d’or, Paris, 1903 ; en h’rancc, parllubertet Mauss, Mélanges d’histoire des religions, Paris, 1909 ; Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910 ; en Allemagne, par Preuss et Vicrkandt, est aussi une hypothèse favorablement accueillie des savants : l’homme, en face de faits dont l’explication lui échappe, attribue aux ôlres dont émanent les phénomènes inexpliqués, des vertus secrètes et magiques, qui en font des êtres surnaturels et divins. La magie aurait précédé la religion, non pas parce que, comme certains l’ont pensé, elle s’oppose ù la religion, et que l’homme a passé de la première, par laquelle il tentait en vain de soumettre à son pouvoir les forces de la nature, à la seconde, par laquelle il recommissait, dans la nature, des forces suiiérieures à la sienne propre ; mais plutôt parce que la magie est la religion des peuples non civilisés. La magie a la prétention d’atteindre les esprits et de les soumettre à l’homme ; mais elle est devenue religion, dès l’instant qu’elle a pris conscience de la supériorité des esprits et de la nature des